« Adieu, dit le mourant au miroir qu'on lui tend, nous ne nous verrons plus. »
yonna
Le Douze Novembre Deux Mille Onze.
Je sentais que quelque chose de différent l’habitait. C’est comme si je pouvais voir les nuages, avant la tempête. Il y avait quelque chose en lui qui n’était plus réactif. Mais je vivais sans n’y prêter aucune attention, gardant cela profondément en moi.
Dernier soir, avant son départ pour Amiens, à 500Km de chez moi.
Nous faisions l’amour. Nous faisions l’amour comme on danse, on s’oubliait, on ne réfléchissait pas, on se dépassait, se faisait violence, sans états d’âmes. Nous faisions l’amour comme nous étions, le monde s’ouvrait à nous, un monde où tout semblait parfait. Nous partagions tout, sans rien attendre en retour. Donner, sans reprendre.
Je savais enfin. Je savais que c’était la dernière fois que je passais du temps dans ses bras, la dernière fois que je lisais son regard, que je touchais ses lèvres, goûtais sa peau, sentais son odeur. Je connaissais par cœur cet homme. Je comprenais soudain qu’il allait me quitter. Ca ne trompait plus. Il venait de tout me donner. Je devais m’en contenter, accepter. Je venais de recevoir un adieu. Au-delà des mots, quelque chose parfois nous propulse vers la solitude de l'autre, vers son désespoir, son impuissance ou sa colère, une décision, un point final ; cela même qui ne se partage pas et que l'on croît pourtant reconnaître. Dans cet élan obscur et aveugle, je m’étais laissé faire, j’avais laissé les choses venir. Rien encore n’était vraiment concret, mais je n’avais pas besoin de ses mots pour savoir, je n’avais pas besoin de paroles pour recevoir un tel adieu. J’étais dans l’instant, dans l’inconscience de l’instant. Incapable de me projeter quelques minutes plus tard, d’imaginer l’épaisseur du vide ni l’intensité du manque.
Quelques minutes avaient passées. Nous étions à présent au devant de la maison, il était prêt à partir, monter dans sa voiture et me dire au revoir –en théorie- jusqu’à la prochaine fois. Il déposa ses affaires dans le coffre, et me rejoint devant la porte. Nous nous tenions chacun en face de l’autre. Je regardais ses yeux pour percevoir ce que je pensais être une rupture. Inconsciemment je me disais que le mieux serait de lui dire maintenant, ce que je n’avais jamais pu lui avouer les yeux dans les yeux. Lui dire que je l’aimais. On ne s’avouait jamais vraiment que l’on aimait l’autre. Je n’avais jamais eu ce courage. Et si je l’avais enfin ce soir, cela le retiendrait-il ? Il fallait que je tente. Il fallait que j’aille au bout de moi-même, pour le garder. Au moment où les syllabes allaient sortir de ma gorge, je su. En faite, je ne pouvais pas faire çà. Je n’avais pas le droit de rattraper mes erreurs à ce moment, où j’allais le perdre. S’il me quittait, il y avait une raison, des raisons. Je n’avais certainement pas su aimer. On ne s’aime jamais comme dans les histoires, tout nus et pour toujours. S’aimer, c’est lutter constamment contre des milliers de forces cachées qui viennent de vous ou du monde.
Je n’ai pas su lutter contre moi-même, je n’ai pas réussi à dépasser mon angoisse, dire à l’être que j’aimais plus que tout, « Je t’aime ». Je ne voyais plus rien de lui dans ses yeux, je ne voyais plus que mon reflet, celui d’une incapable. Il m’embrassa, l’air de rien, mais qui disait tout. Il me dit faussement « On se voit à Noël ». Il monta dans sa voiture, il était désormais au plus loin de moi, je savais que jamais plus je ne toucherais cet homme. Il démarra, recula, et parti, sans me lâcher des yeux, un très long « Adieu ». Le regardant au loin s’en aller, je revins sur mes pas, rentrai et claquai la porte, pleurai.
Joli. La mise en page accentue l'etouffement...
· Il y a plus de 11 ans ·Alex De Querzen