« No sugar.. no milk… just your smile to make it sweet ! » (*)

elcanardo

(*) "Ni sucre ni lait... juste votre sourire pour le sucrer"

Moi, rougissant, souriant, stupéfait… A mon insu, les mots se sont glissés hors de mes pensées. Elle me rend mon sourire (que je sens pourtant niais) en me tendant mon café. Elle retourne à son occupation d’avant mon apparition, la « san phra phum », maison miniature traditionnelle thaï est désormais presque complètement débarrassée des stigmates de l’orage de cette nuit. Ici, ces petites reproductions fidèles sont le complément indispensable de chaque habitation. Destinée aux offrandes quotidiennes, elles abritent les pra phum (seigneurs des lieux) qui éloignent les mauvais esprits. Elevée du sol par un gros pilier central, celle-ci est particulièrement difficile d’accès. Sur la pointe de ses petits pieds nus, Joei inspecte consciencieusement la maquette. Une à une, les figurines renversées sont redressées. Certaines d’entre elles sont typiques, d’autres ont une origine bien moins proche. Offert par un hypothétique client de ce « guesthouse » (pension familiale), un petit moulin arborant la mention « Kinderdijk » a une de ses ailes mal en point. Par des gestes doux et précis, mon hôtesse la redresse et la refixe à l’aide d’un minuscule bout de ferraille. Satisfaite, elle le replace. Immédiatement, les toiles à petits carreaux bleu et blanc, certainement découpées dans un vieux mouchoir, se tendent et se meuvent. Le mariage improbable de tous ces objets compose une scène qui me rappelle les brocantes que j’affectionne tant. Elle se recule lentement, la tâche semble achevée. Elle me rejoint sur la petit banquette en osier. Cela me tire de ma torpeur et me ramène à la réalité de ma situation embarrassante.

« No sugar.. no milk… just your smile to make it sweet ! ». Comment ai-je pu laisser échapper cette phrase ? Je suis surpris. Je rougis à nouveau et quand elle s’en aperçoit, son sourire (qui ne l’a pas quitté une seule seconde) s’élargit encore. Rassuré de ne pas être perçu trop cavalier, je me réjouis de cette martingale improvisée qui m’a permis au final de libérer mes sentiments enfermés. La mélancolie qui me ligotait l’âme encore ce matin vient de voler en éclat. Désormais, c’est le battement de mon coeur au galop qui rythme le fil de mes pensées. Je détourne doucement mes yeux, je sens qu’ils deviennent trop insistants. Mes mains tremblent légèrement, imperceptiblement, du moins je l’espère. Elle est ravissante, troublante. Imperturbable, ses yeux noirs et profonds cherchent désormais les miens. Ils se rencontrent à nouveau. La légèreté de cette merveilleuse sensation de douceur partagée me berce, me calme. Dans le silence et la fraîcheur du petit matin, nous sommes là, côte à côte, sous le auvent principal de la grande demeure. Malgré les gros nuages annonçant d’autres pluies déferlantes, je suis maintenant encore plus impatient d’en finir avec mon petit déjeuner. En étalant ma marmelade, je révise mentalement le programme de la journée : gravir le pic voisin qui depuis mon arrivée me nargue et visiter les pagodes d’un roi et d’une reine jusque là totalement inconnus pour moi. Je meurs d’envie de lui proposer de m’accompagner. Je sais que c’est une curieuse invitation que celle de proposer de visiter cette sorte de mausolée mais aucune autre idée ne me vient.

Maintenant, je cherche les mots qui vont suivre. Je me fouille. Je lance une traque dans les méandres de ma mémoire. Comment agir ? Le faut-il d’ailleurs ? C’est la confusion totale.Tout se mélange. Je suis là, au bout du monde, en pleine nature, à quelques kilomètres à peine du plus haut sommet de la Thaïlande, le Doi Inthanon. Le parc national environnant recouvre toute la montagne. Les murmures de cette impressionnante forêt se font plus présents, comme encouragés par la clarté naissante. La surenchère des couleurs de l’envahissante végétation efface peu à peu le ton mauve de l’aube. S’emmitouflant dans une légère brume, tel un mirage, la nature, insatiable, reprend sa vie. Cette scène improbable pour un occidental comme moi ôte toute vraisemblance à cette jungle.

Tantôt considéré comme un intermittent de l’amour, tantôt comme un soliste épanoui, là encore, je ne sais plus sur quel pied danser. Bientôt, il me faudra retourner d’où je viens, me ramenant ainsi à ma misérable solitude. Plus que quelques jours et il me faudra rentrer chez moi, loin d’ici, rejoindre mon minuscule 30 m2. Dans un mimétisme parfait, je partagerai à nouveau ce quotidien fade et aliénant de mes semblables urbains de la grande métropole. Peur du vide ? Révolte de mon inconscient jusqu’à alors muet ? Mon être passe en pilote automatique. L’air emplit de nouveau mes poumons. Mécanique, ma respiration me redonne un semblant d’allant. A nouveau, les mots jaillissent par surprise mais cette fois, mon sourire s’est évanoui. Le tambour qui remplace mon coeur cogne si fort que je ne m’entends pas. Ma bouche cesse d’articuler. Je crois que j’ai fini de parler. J’attends. Le temps est suspendu dans une seconde à l’allure éternelle. Elle ne m’a pas quitté des yeux. Sans hésitation, elle me répond. Le reste n’a plus d’importance.

Elle accepte.

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