« When you’re strange », les portes de la perception s’ouvrent

Le Bruit Et La Harpie

Il y en avait du monde mercredi soir pour voir le documentaire de Tom Dicillo sur les Doors, When you’re strange. Parfois même, certaines personnes que je soupçonne de s’être perdues :

« Vous faites la queue pour le Strange ? »

Ah ça oui, il était strange le bon Jim Morrison, plutôt deux fois qu’une. L’impression est bizarre, c’est comme si l’on voyait l’une de ses photos les plus célèbres prendre forme, se mouvoir sous nos yeux. On n’avait presque plus en tête que le personnage incarné par Val Kilmer dans le film d’Oliver Stone, et Jim nous manquait presque.

Tout part d’une trouvaille extraordinaire sur laquelle tout fan des Doors – et réalisateur par la même occasion, ça aide – aimerait tomber : un film amateur de 45 mn réalisé par Morrison lui-même, où il met en scène son errance dans le désert, un peu avant sa mort. Coupée et montée entre les scènes stratégiques tout au long du documentaire, la pellicule fait office de fil rouge.

Le film respecte un ordre chronologique appréciable, qui mêle le récit du groupe aux événements de l’époque. La fin de Morrison est inéluctable, prévisible depuis le tout début, mais peu importe. On se laisse porter sur cette mélodie que l’on déjà, pour beaucoup par coeur, mais cela n’a pas d’importance. Les fans de la première heure n’apprennent certes pas grand chose, mais le but premier n’était pas de compléter notre cahier de fan.

Non. Ce qui nous pousse à voir un tel film, c’est la folie engendrée par ce groupe créée par des rêveurs et des idéalistes. De tous les rock band des 60′s et 70′s, les Doors avaient sans nul doute la combinaison la plus surprenante : une batterie qui se chargeait de sur-rythmer les chansons, un guitariste débutant, un clavier synthétiseur au son étrange, un chanteur timide puis exalté, enflammé par ses paroles poétiques puis vulgaires. Les images s’enchainent joliment, la narration est posée et agréable, on aime.

Le réalisateur n’a pas cédé à la tentation d’entrecouper son documentaire d’entretiens avec Manzarek, Densmore et Krieger, les trois autres membres, qui nous auraient chacun donné leur version de l’histoire. Non. Dans When you’re strange, on passe une heure et demie complète avec les Doors, portés par les images d’époque, sans invention, sans drame ajouté pour vendre. Juste leur histoire.

A la question « Profession ?«  que lui pose un ami, auquel se sont pliés tous les autres membres avant lui, Jim Morrison semble chercher une seconde une réponse adéquate, puis sourit malicieusement à la caméra, silencieux. Comme s’il ne voyait pas de réponse, ou trop de réponses.

Artiste jusqu’au bout des doigts, on pourrait presque lire sur son visage d’enfant perdu les tiraillement de sa conscience, sa difficulté à être en phase avec le monde, avec lui-même. Il y a quelque chose dans le regard de Jim Morrison, quelque chose de pénétrant, de dérangeant. Quelque chose d’étrange, qui nous laisse deviner ce qu’il a vu derrière les portes de la perception.

Signaler ce texte