Adrien s'étira sur la chaise de son bureau. La digestion du cassoulet de midi était pénible. Il ne pouvait pas péter en public, cela ne se faisait pas, alors, obligé de serrer les fesses, de remuer en permanence sur son fauteuil, de contracter et de raidir son dos, il ne pouvait pas non plus se laisser aller à la somnolence, de peur de tout lâcher fortuitement. Pourtant Adrien se serait bien laissé aller à la rêverie. Il avait fait la queue, dans le self de l'entreprise, derrière une nouvelle stagiaire, à peine la vingtaine, moulée dans un jean trop près du corps qui dessinait ses fesses fermes et rebondies. Il avait un peu honte, de ça, mais c'était un fait, il aimait les jeunes femmes. Il les aimait toutes, d'ailleurs, trop jeunes ou trop vieilles, aux yeux de certains. Depuis que le service informatique avait bloqué les accès internet au service, en tout cas les sites intéressants, l'ambiance du bureau avait fortement baissée.
Dans son équipe, dans son service, il n'y avait que des hommes. Tous la quarantaine approchante, tous mariés, tous sinistres, tous cyniques malgré qu'ils s'en défendent. Ils aimaient leurs femme, du moins ils l'aimaient bien. Mais ces heures de travail, entre couilles, avant c'était l'occasion de parler foot, de planifier une bière, à la fin de la journée, de passer de box en box, un café à la main, pour parler de Sophie de l'accueil, de toutes les poules du service marketing renouvelées à longueur de stage, d'imaginer des parties plus ou moins fines dans les toilettes du quatrième étage, qui ne servait qu'aux réunions. On pouvait, avant, s'envoyer les résultats des matchs, récupérer des power points de salopes au bureau, et, de temps à autre, se taper une pignole vite fait après avoir visionné un porno.
Adrien ne dirait pas que c'était le bon temps, parce qu'au final, avec un peu d'astuce, on pouvait toujours le faire. Mais ça prenait du temps, demandait de l'organisation. Il fallait tout faire de chez soi, le mettre sur clef usb, nettoyer l'historique, faire gaffe à ne pas se faire griller par madame ou les gamins et il y avait ce petit côté intentionnel, prémédité qui ne lui plaisait pas. Il l'avait bien fait, une ou deux fois, mais il se sentait sale.
Il se disait que pourtant, mieux valait mater un film de cul et en parler en riant avec des collègues en pensant à une des filles de la boite que de ne pas mater de film et tromper la mère de ses enfants avec une fille de la boite.
Marina, sa femme, était une femme exquise. Il avait une chance inouïe d'être avec elle. Il n'en revenait pas, chaque matin, quand il se réveillait et que, tendant le bras de l'autre côté des draps, il touchait son corps. Ils s'étaient rencontrés ils avaient à peine la vingtaine, et elle faisait bander tout le monde. Roulée dans ses pantalons taille haute affinant sa taille typiques des années 90, portant des chemises qu'elle nouait entre le nombril et ses seins arrogants, dieu qu'elle était belle. elle n'avait pas cet immonde brushing de l'époque, non, elle avait les cheveux mi-longs détachés et un sourire à faire regretter de ne pas être dentiste pour passer sa vie dans sa bouche. Il l'avait abordée en boite, complètement saoul et il avait été si ridicule qu'elle avait éclaté de rire et paf, c'était fait. Quelques mois de passion débordante, puis l'amour était venu, plus fort et plus tendre et ça n'avait plus jamais été pareil. L'amour c'est différent de la passion. Quand ils se disaient "je t'aime" il y avait ce naturel, cette tendre douceur mais où s'était barrée la force ? Ce "je t'aime" qui te gifle ? Qui t'arrache la gueule et te fait trembler ?
Quant à ses enfants, Adrien avait décidé depuis belle lurette qu'il n'y avait rien à dire. Ce n'est pas qu'il en avait honte, pas toujours, mais ils lui inspiraient une banalité affligeante et ça le rendait fou. Pas sportifs mais pas lecteurs ou musiciens, pas brillants en classe, pas de passion exaltante si ce n'était la télé et ses émissions débiles, l'ordi et des jeux débiles et le téléphone et les réseaux sociaux et des amis débiles. Parfois, quand il se douchait, il insultait sa bite d'avoir bâclé le travail.
Il avait toujours aimé sa bite et son corps, musculeux mais pas trop et ce qu'il en avait fait mais ces gosses ne pouvaient pas être érigés en trophée. Alors il n'en parlait pas.
Dans la torpeur de l'après-midi, il avait finalement réussi à rêvasser, même si ce n'était pas exactement ce à quoi il avait en tête au début.
Il se leva et se dirigea vers le service com, à l'étage inférieur. En chemin, après avoir appelé l'ascenseur, il passa par les toilettes histoire de se soulager en levant légèrement une jambe puis l'autre et contractant son estomac. Vu qu'il n'y avait personne, il péta, dispersant les effluves en remuant la main. Bien plus sûr de lui maintenant, il ressortit et du rappeler l'ascenseur, en profitant pour vérifier son haleine. Une fois la boite ouvrant les portes devant lui, il se plaça face au miroir, s'observa, remit sa tenue, ses cheveux, son sourire, tourna légèrement sa tête sur son axe pour observer ses deux profils de trois quart et satisfait, se retourna, naturel, au moment où le tintement de la machine indiquait qu'il était à destination. Il traversa l'open space, souriant ci et là, masculin et jovial pour se diriger vers le fond du bâtiment, près des fenêtres donnant sur le parc, vers les filles.
Il se sentait anima, prédateur, en pénétrant dans le service. Il toqua à la porte ouverte de Sophie et entra sans attendre. Il referma aussitôt la porte.
-Comment va ta femme, Adrien ? fut la première chose qu'il entendit, alors que Sophie n'avait même pas levé le regard vers lui.
-je ne sais pas, et toi, ton mari ?
-moi j'ai pas de mari.
-Ah ? Alors c'est parfait ça moi non plus, dit-il en passant derrière le bureau et en plongeant ses mains par l'ouverture large du col pour agripper les seins, fermes, généreux, brulants de Sophie, qui n'avait toujours pas relevé la tête. Ce geste, en plus de lui procurer un plaisir intense, lui envoyait le nez dans le chignon de sa maitresse et Adrien inspirait longuement ce patchouli.
Il remarqua alors que les persiennes étaient en position ouvertes et que les femmes du bureau avaient cessé toutes leurs activités et suivaient la scène avec intérêt. Il ne retira pas ses mains. Il observa, là la jalousie évidente, là l'étonnement certain, là la connivence, là le dégoût, là la colère.
-Merde, fit-il en retirant doucement ses mains, les laissant s'attarder néanmoins sur le cou de Sophie.
-à qui tu le dis, répondit-elle en se levant d'un geste, l'obligeant à reculer et se retrouvant contre le mur. Coincé. Il la vit alors arracher son t-shirt, puis le gifler avec force.
-DEHORS PUTAIN DE PERVERS ! cria t-elle en continuant de le frapper comme une chiffonnière. DEHORS !!
La porte du bureau s'ouvrit et une horde de femmes entra pour le prendre et le dégager du bureau où maintenant, Sophie pleurait, recroquevillée sur elle-même, sous ses yeux. Incompréhension totale. Dans la cohue, où il était griffé, frappé et trainé en dehors il sentit une main, ferme et décidée, lui flatter le paquet. La stagiaire de la cantine, souriant perversement, le regardait droit dans les yeux en lui soupesant la bite au sein de la mêlée.
Quelqu'un avait du prévenir la sécurité car ils arrivaient, au pas de charge et bientôt il fut ceinturé et emmené au poste de sécurité, à côté de l'accueil.
Que venait-il de se passer ? Sophie putain ! Sa maitresse la plus fidèle ! Avait-elle eu vent d'autres ? Etait-ce pour sauver la face à cause de ses rideaux ouverts ? Mais bordel on ne sauve pas sa face comme ça, en le détruisant lui, son travail, sa vie ! Quel égoïsme ! Quelle pute !
Dans tout ça il revoyait encore cette fille, il sentait encore cette main sur sa queue et s'il ne bandait pas, c'est bien parce que tout s'écroulait.
Elle avait saisi sa chance. Dans le déferlement de violence qui s'abattait, elle pouvait bien s'autoriser un petit geste. Elle y pensait depuis midi, depuis qu'il s'était trouvé derrière elle à attendre que le chef serve les assiettes une à une. elle avait senti ce souffle chaud sur sa nuque et le poids de ce regard sur ses fesses. Elle voulait toucher l'attirail avant de se décider. Il avait un poste important et cela pourrait toujours servir plus tard. Mais quitte à se faire baiser, autant qu'elle soit certaine que la nature l'ait pourvu, pas comme Philippe, du juridique. Alors quand elle avait vu son geste, naturel et dominateur, dans le décolleté de Sophie, elle avait su qu'il serait bon de le mettre entre ses cuisses à elle, qu'il saurait faire et surtout qu'il ne dirait pas non. Puis la gifle, la cohue, l'occasion rêvée. Aucun doute, il avait compris.
Ce salopard était parti, à tous les coups voir le service com. Se lâcher dans les chiottes, faire le beau dans l'ascenseur et ensuite devant Sophie. Sophie méritait mieux. Un homme qui l'aime, qui la comprenne, qui lui dise qu'elle est belle, comme un matin sur la plage, comme une déesse grecque, pas comme une bouche à pipes. Elle devait sûrement faire de très bonnes pipes, mais elle était, elle est bien plus et il est le seul à le voir. Comme elle serait belle, à la maison, s'occupant de beaux enfants, heureuse et épanouie dans son rôle de femme et de mère. Bien sûr elle arrêterait de travailler, pour se consacrer à elle et lui, chaque soir, il l'embrasserait et lui dirait qu'elle est belle, qu'il l'aime et qu'il trouve que ça sent bon, dans la maison. Elle plairait à ses parents. Ils ont hâte, d'ailleurs, de la rencontrer, cette fille dont il leur parle tout le temps. Adrien est un machiste arrogant qui pense que les femmes ne sont que des objets sexuels. Un jour il paiera, un jour il comprendra. Il ne sait pas qu'il sait, lui. Mais il sait tout.
La journée ne pouvait pas plus mal commencer. D'abord sa voiture qui la lâche, sans compter qu'elle s'était réveillée seule, cette fois encore. Mais qu'est-ce qu'elle lui trouvait ? Et qu'est-ce qu'il trouvait à sa femme ? Et pourquoi elle l'aimait aussi ? Et merde ! En arrivant, en retard, elle avait trouvé sur son bureau un dvd, avec un petit mot, tapé, impersonnel mais elle savait que c'était de sa part. Il lui en laissait, parfois, des petits mots gentils, coquins, qui la faisaient sourire autant que ça l'exaspérait, parfois. Elle avait lu la note, puis avait introduit le dvd dans le lecteur. Mais elle ne l'avait pas visionné, car le téléphone de service avait requis sa présence au quatrième, pour une réunion sur le bilan du mois écoulé et les prévisions à venir. Assise en attendant de faire sa présentation, elle pensait à lui. A ses enfants, qu'elle adorait, les trouvant très éveillés du monde actuel quand lui n'en parlait pas ou trop peu. Ces enfants qui n'étaient pas les siens, qui ne le seraient jamais, sûrement. En revenant dans son bureau, après le déjeuner, elle était furieuse. Furieuse d'être jalouse. Elle l'avait vu, reluquer la stagiaire. Elle se doutait, qu'il y en avait d'autres, mais le voir, et dans son service ? Alors elle laissa ses persiennes ouvertes, pour observer ses rivales. Elle se rappela qu'elle avait mis un disque, dans le lecteur, et elle lança la lecture. Un petit mot gentil, le voir sourire, souriant, ce petit cadeau rien qu'à elle cela lui ferait oublier à quel point, parfois, il était cruel. La vidéo démarra sur un petit mot, un « enjoy » avec un smiley. Puis elle se vit. Nue. Cuisses ouvertes. Cuisses offertes pendant qu'Adrien la prenait. La vidéo, de mauvaise qualité, la montrait en train de se faire baiser. Comment avait-il pu.. pourquoi devait-il pervertir ce qu'elle lui offrait ?
Le poste de sécurité venait de recevoir l'appel. C'était étonnant, parce que plus tôt dans la mâtinée, ils avaient reçu un autre appel, d'une femme, qui avait hurler, scandalisée, que quelqu'un de l'entreprise la harcelait, lui racontait des choses odieuses sur son mari, qu'il fallait agir, mettre sur écoute les communications, qu'elle appelait d'abord, par respect pour la réputation et de la boite et de leur travail mais que si cela continuait, elle passerait par des procédures plus officielles. Le reste de la mâtinée, et le temps de pause accordé au repas avait donc été l'objet de blagues, de remarques salaces sur le fait qu'une femme trompée ne serait pas la première, sur des pronostics de qui ça pouvait bien être, la donzelle n'ayant pas pris la peine de se présenter avant de hurler au scandale. Alors quand un coup de fil interne les avait averti d'une agression sexuelle, d'abord abasourdis, ils avaient réagi en vitesse, bien décidés à faire la lumière sur toute cette histoire. Et en arrivant devant le fait accompli, en voyant Adrien se faire presque passé à tabac par une cohorte de femmes en furie, ils s'étaient jetés sur lui, presque pour le protéger. Il était maintenant là, complètement sonné, sur le siège devant eux et eux, ils ne savaient pas trop bien quoi faire.