14 Juillet 1980 Ch.43
loulourna
44-14 Juillet 1980 Ch 43
Samuel faisait les cent pas devant le panneau des arrivées à l’aéroport de Roissy. Malgré la joie de revoir sa famille, il n’arrivait pas à chasser ses idées noires et de se traiter d’idiot et de dégonflé. Dimanche ne s’était pas passée comme il l’avait prévu. Lorsqu’il avait stoppé la voiture rue des Blancs Manteaux, Samuel s’était senti démuni, sans moyens. Christine l’avait chaleureusement remerciée pour cette corvée dominicale et avant de sortir de la voiture l’avait embrassé sur la joue. Il l’avait regardé pousser la porte de l’immeuble et disparaître sans se retourner. Samuel se sentait seul comme au premier jour de son arrivée. Certes, il reconnaissait d’avoir retrouvé une partie de son passé était une bonne chose pour Christine. La petite voix dans sa tête qui lui disait qu’il n’y avait aucune raison de jalouser la famille Verdier ne lui apportait aucun secours. Le mélange de situation non maîtrisée, de frustration et de jalousie, prenait le dessus sur son bon sens. Il était contrarié ; les Verdier avaient été l’obstacle imprévu à la promesse qu’il s’était fait le dimanche matin avant leur départ pour Beauvais : avant la fin de la journée, Christine saurait toute la vérité. Les quelques jours qu’ils avaient vécus ensemble à Paris avaient été des moments de bien-être et de plaisir et sans aucun doute réciproque. Quel idiot avait-il été. Pourquoi, n'avait pas avoué la vérité samedi ? Il s’était bien rendu compte que son prétexte de cadeau n’avait pas abusé Christine. J’ai laissé passer le moment idéal se dit-il. Il se promit de tout lui dire à leur prochaine rencontre. Hier soir, après sa douche il s’était glissé sous les draps, espérant s’endormir rapidement. Le sommeil ne vint qu’au petit matin pour rêver qu’il qu’il était en lutte contre toute une tribu de Gaulois qui l’empêchait d’approcher de Christine.
Samuel se concentra sur le panneau des arrivées qui cliquetait et finit par annoncer que le vol 052 de la Pan Am avait atterri.
Ses parents et sa sœur apparurent dans l’encadrement du sas de sortie. Sarah, la mine réjouie lui fit des grands signes de la main. Comme elle avait changé depuis la dernière fois, au moins dix mois pensa-t-il, qu’ils s’étaient retrouvés ensemble. André lui fit des grands signes dans sa direction. Ses parents suivaient derrière. Sarah n’avait jamais coupé le cordon ombilical avec son père. Elle avait suivi le même cursus que lui dans le seul but de travailler plus tard dans son laboratoire. À 19 ans, Sarah était une brillante universitaire en biotechnologie de l’université de Jérusalem. Elle n’avait qu’un seul objectif, un seul centre d’intérêt ; la recherche scientifique sur la génétique moléculaire des plantes. Elle était persuadée que grâce aux promesses des récentes découvertes sur l’ADN des plantes, la faim dans le monde sera bientôt éradiquée. On ne lui connaissait aucun petit ami. Par quel miracle avait-elle décidé d’abandonner ses fioles et ses dossiers pour venir à Paris ? Après la vérification des passeports, avec beaucoup d’émotion ils s’embrassèrent chaleureusement.
---Enfin je vois mes deux enfants et ma femme réunis dans un même espace. Je pensais que c'était mathématiquement impossible, dit André.
Sarah regarda son père, ---Papa, n’exagère pas. Nous sommes encore sensés vivre sous le même toit.
--Sensés, c’est bien le mot. Ta mère, entre l’ONU et ses procès, je ne la vois plus qu’en coup de vent et ton frère, parfois j’oublie qu’il existe.
Samuel prit affectueusement son père par les épaules et l’embrassa sur la joue.
André tapotant affectueusement le dos de son fils, --- Ta mère est persuadée d’avoir réussi à me distraire de mon travail alors que c’est moi, qui avec le concours de Sarah ai manigancé notre rencontre quelque part dans ce vaste monde...et Paris c’est très bien. De toute façon j’avais l’intention de me rendre à Bruxelles. Une certaine odeur de moules et de frites me manque.
Erna souriait sans rien dire. Elle pensait qu’elle avait beaucoup de chances d’avoir une famille qui restait unie, même parfois loin les uns des autres.
Erna et André décidèrent de se reposer dans leur chambre. Sarah et Samuel sortirent se promener sur les champs Elysées. Rendez-vous fut pris au bar de l’hôtel à 20 heures.
---Alors ? Il paraît que tu as rencontré l’amour de ta vie.
---Les nouvelles circulent vite dans ton laboratoire. Pour l’instant c’est à sens unique.
--- Je comprends pourquoi ta sale tête.
---Ma sale tête, comme tu dis, c’est parce que je n’ai pas fermé l'œil de la nuit.
---Tu as encore un espoir de séduire ta petite amie ?
---Tes mots sont inappropriés, ce n’est pas ma petite amie et je ne cherche pas à la séduire.
---Hou la la ! ça m’a l’air d’être sérieux. Serais-tu tombé sur un bec ?
--- Si on veut...c’est plus compliqué que ça.
--- Ca te servira de leçon. Toi qui te vantais d’avoir toutes les filles que tu voulais.
--- Christine c’est différent.
--- Quand on aime c’est toujours différent.
--- Tu ferais mieux de t’occuper de toi. Je suis sûr qu’à ton âge on pourrait compter tes amoureux sur les doigts d’une main.
--- Même pas. Je suis peut-être trop difficile. Lorsque je rencontrerais l’heureux élu, celui que j’estimerai être le bon, je le saurai.
--- Non ! je pense que tu ne le verras même pas. Sur ce plan-là tu es carrément aveugle et puis l’amour n’a rien à voir avec l’estime.
Tu confonds amour et attirance physique.
—Pour moi l’estime est une grande part de l’amour.
--- Pour toi, il doit ressembler à papa.
--- Un peu...mais en beaucoup plus jeune, dit Sarah en s’amusant de sa boutade.
--- Qu’est devenu ce jeune homme, fou amoureux de toi...j’ai oublié son nom.
--- David Marantz. Il a fait un transfert, il est marié et père de jumeaux. J’étais à son mariage.
--- Bon, parlons d’autre chose. Comme d’habitude je n’arriverai pas à te faire comprendre que tu perds une partie de ta jeunesse. Ils attendaient au feu rouge devant le passage clouté. Légèrement agacée, Sarah regardait les voitures dévaler les Champs Elysées.
—Je ne comprends pas pourquoi cette avenue est considérée comme la plus belle du monde.
--- C’est de la propagande française. On devrait l’appeler la plus belle autoroute du monde. Avant de retourné vers l’hôtel ils se promenèrent sans but au milieu de la foule.
Lorsque Sarah pénétra dans la salle de restaurant, ses parents et son frère étaient déjà installés devant un kir royal.
--- Ah ! ah ! vous vous êtes métamorphosé en autochtone, vous êtes déjà en train de boire. Quel est le prétexte ?
André leva son verre, --- On peut en trouver beaucoup de prétextes, mais pour l’instant ta mère et moi fêtons nos vingt-deux ans, quatre mois et trois jours de mariage.
--- Toutes les raisons sont bonnes, celle-là en vaut une autre.
André prit la main d’Erna dans la sienne,--- Nous avons beaucoup d’autres raisons, mais pour le moment nous nous cantonnons à notre anniversaire de mariage. Remarqué, que j’ai dit mariage, si j’avais dit vie commune, je pourrais enlever un bon tiers du temps.
Que voulez-vous, à notre rencontre j’avais promis à votre mère de ne pas intervenir dans sa carrière. De toute façon, je n’avais pas le choix. Je pense que si je n’avais pas tenu parole, vous ne seriez pas là. J’en veux aux Egyptien et surtout à Anouar-el-Sadate d’avoir signé la paix avec nous. Par leur faute, votre mère et moi nous nous sommes rencontres surtout au téléphone ces derniers temps.
Sarah leva son verre, --- Voilà encore une bonne raison de picoler. À maman qui grâce à sa participation aux accords de Camps David a permis la paix entre l’Egypte et Israël.
---N’exagérons rien, j’ai donné ma faible contribution à la composition du traité, c’est tout.
---Maman, ne te sous-évalue pas. Ta famille s’en charge. À part ça, qu’avez-vous fait cet après-midi ?
---Rien, dit Erna.
---Comment rien ?
André répondit patiemment ---Nous n’avons pas bougé de notre chambre...Sarah ne devient pas grivoise.
Sarah riait de bons coeur.---Papa, dit moi la vérité, Maman fut ton premier amour ?
--- Oh ! non, j’ai commencé très jeune, ma mère fut mon premier amour. Mais commandons le dîner et ensuite si vous le voulez je vous raconterai mon deuxième amour.
Le repas commandé, Sarah dit, ---alors tu racontes ?
Mon deuxième amour fut Blanche neige, Je venais d’avoir 5 ans.
--- Arrête ! Tu te fous de nous. dit Sarah
Sur un ton de reproche, Erna dit, --- Tu ne m’avais jamais raconté cette histoire.
--- Non ! c’est vrai. Il y a longtemps que je voulais t’avouer cet amour de jeunesse. Voilà c’est fait.
--- Et après, papa ? demanda Sarah
--- Après quoi ?
--- Raconte-moi un vrai amour.
— Fille dégénérée. Ta mère est mon véritable amour.
Sarah regarda son frère, --- Tu vois qu’on peut savoir quand on rencontre l’amour. Puisque nous en sommes aux confidences, raconte-nous tes aventures parisiennes.
Dans ces moments de parfait bonheur, Erna ne pouvait s’empêcher de penser à sa mère. Elle aurait voulu lui faire partager cette félicité. Erna gardait précieusement la lettre laissée par celle-ci avant de disparaître à jamais. Mille fois elle s’était fait décrire la vie de sa famille par Amélia, qui ne restait muette que sur un point : son père.
Un jour elle lui avait dit, --- Je suis certaine que ma mère t’a fait promettre de ne jamais parler de lui.
Amélia lui avait répondu, --- Je ne peux pas te parler de quelque chose que je ne connais pas...et si je le savais, tu ne crois pas que nous devons respecter son vœu ?
Erna ne souleva plus jamais la question.
Lorsqu’il voyait sa femme songeuse, André connaissait les raisons. Il lui fit une pression de la main. Erna sursauta.
--- Samuel va nous raconter ses amours parisiens. dit André.
--- Oui, oui, dit Sarah toute émoustillée.
Regardant Sarah, Samuel dit, --- Il est certain que ce n’est pas de tes amours qu’on peut parler.
—Et si j’étais amoureuse de mes expériences... de mon travail. Ce n’est pas plus mal.
Samuel leva son verre et dit, --- Tu détournes complètement le mot amour, mais si c’est ton plaisir, je bois à tes cornues, tes récipients et tes tubes.
--- Ca va ! ça va ! ne te moque pas trop de moi. Si j’ai bien compris, ça ne se passe pas comme tu veux. Alors ne soit pas aussi sarcastique.
---Ca va être rapide. Rien, il ne s’est rien passé. Il leur raconta la semaine à Paris en compagnie de Christine.
Sarah prit un air moqueur, --- Si elle est aussi belle et intelligente que tu dis, tu n’es peut-être pas seul sur les rangs.
---C’est ce que j’ai pensé au début, mais non...mais dans un sens tu as raison, depuis dimanche j’ai toute une famille de Beauvais comme rival.
André regarda son fils avec douceur,--- Tu devrais nous la présenter.
Sarah acquiesça,---Et si nous invitions Christine pour un dîner ?
--- Ce sera sans nous, J’ai promis à votre père de l’accompagner pour son pèlerinage à Bruxelles, taquina Erna en regardant son mari.
--- Et nous ne voulons pas de vous, ajouta André. Je me suis toujours promis de revoir les lieux de mon enfance avec votre mère.
--- Vous êtes des cachottiers, et bien nous organiserons ce dîner pour votre retour, vous partez quel jour, demanda Sarah.
---Vendredi... nous avons réservé une chambre à l’hôtel Amigo jusqu’au 14 août. Samuel se souvenait que Christine allait passer le week-end du 15 août à Beauvais et c’était un long week-end. les Français étaient les grands spécialistes des ponts et le 15 août tombait un mercredi. Il savait comment éventuellement la joindre, mais il préférait lui téléphoner à Paris. C’est ce qu’il fit le mercredi matin. --- Allo ! Christine c’est Samuel.
---Bonjours, ça me fait plaisir de t’entendre, ça se passe comme tu veux avec ta famille ?
---Oui, tout va bien. J’ai tellement parlé de toi en bien que mes parents t’invitent à dîner. Tu pars à Beauvais pour le 15 août ?
---Samedi, et je reviens le jeudi suivant.
---Voudrais-tu dîner avec nous après le retour de mes parents de Bruxelles. Ce sera samedi 18 ou dimanche 19.
---D’accord, mais rappelle-moi pour confirmer. Ils parlèrent encore de tout et de rien et raccrochèrent.
Vendredi Samuel et Sarah accompagnèrent leurs parents à la gare du Nord. Erna donna ses consignes à ses enfants, --- Si mon bureau m’appelle, nous serons à l’Amigo. Et oui ! je suis obligée de donner mes coordonnées en cas d’urgence.
La veille du retour d’Erna et d’André, le concierge de l’hôtel remit un message à Samuel.
Amélia a eut un malaise cardiaque. Elle a été transporté d’urgence à l’hôpital. Venez dès que possible.
Judith Blumenfeld
Samuel essaya en vain de joindre Christine.
Il laissa un message à Juliette, ---Je suis obligé de quitter Paris précipitamment. je suis désolé. Nous dîner avec mes parents sera pour plus tard. Des événements importants nous obligent à partie en Israël. Je l’appellerai dès que possible.
La famille Goldman embarqua le lendemain sur le vol El Al 024 en direction de Tel Aviv.
Depuis une quinzaine de jours, les Parisiens subissaient les foudres du ciel. Christine broyait du noir, plus noir que les nuages gorgés d’eau. Son année s’était passé d’une étrange façon. Christine était contente de voir la fin de son séjour à Francfort. Si sa période d’études n’avait pas été importante pour ses diplômes elle serait rentrée en France avant fin des cours. Plusieurs fois elle avait été tentée de revenir avant la fin de son programme. Chaque fois, au dernier moment, elle avait reculé.
Dès son retour à Paris, Cathy l’avait appelé pour la supplier de la rejoindre dans son nouvel appartement sur la 57e rue entre la 5e avenue et Madison ; offert par son père comme cadeau de bienvenue dans son cabinet d’affaires.
—Je t’en supplie, viens, cet automne fini la rigolade, je débute comme avocat et je devine ce que signifie de travailler avec mon père. Je suis seul, et il me faut de l’aide pour meubler mon appartement. Elle ajouta, en pensant que c’était l’argument qui lui ferait dire oui,—Tu ne risques pas d’être importune par Samuel Goldman, il n’est pas à New York.
—Tu ne vas quand même pas me dire que tu ne te rappelles pas lui avoir donné mon téléphone.
— C’est vrai, tu m’excuseras, il avait tellement insisté, que j’ai fini par céder. Je me suis dit que tu allais le remettre à sa place de belle manière.
—Détrompe-toi, nous nous sommes vus à Paris...plusieurs fois.
Cathy resta d’abord silencieuse. —Tu es une petite cachottière…suis-je bête ! Je me souvient maintenant ; À une soirée organisée par la mère de Samuel j’ai appris que toute la famille devait se retrouver à Bruxelles. Samuel a demandé à sa mère de changer le rendez-vous, pour Paris. Madame Goldman l’a regardé étonné,
---Tiens c’est nouveau, je croyais que tu n’aimais pas Paris ? Je n’ai pas entendu la suite. Je comprends tout maintenant. Sa seule raison de venir à Paris c’était toi. Tu as essayé de le joindre par téléphone ?
— Deux fois.
—Tu ne l’as pas eu bien sûr.
—Non.
— Tu ne pouvais pas le joindre. Je sais par Madame Goldman qu’il termine une période militaire. Elle ne savait pas où. Secret de top secret. Je sais aussi qu’il reprend son poste au Cabinet de Jerry Cramer vers le 20 juillet
Après avoir raccroché, Christine resta debout devant le téléphone sans réagir, pensant à l’année écoulée. Durant le temps passé à Francfort, elle avait plus souvent pensé à Samuel qu’à la littérature allemande. Temps respectable pour savoir que Samuel lui manquait. Lorsqu’il avait quitté Paris avec ses parents elle avait d’abord été agacée, vexée et avait pensé ; tant pis. Au fil du temps, elle ne se souvenait que des bons moments passés avec lui, d’autant plus qu’elle apprit plus tard les raisons de son départ.
À un an d'intervalle Brigitte et Cathy était arrivé à la même conclusion, Samuel n’était venu à Paris que pour la voir. Il était évident que la famille Chevrier pensait la même chose. Quelle idiote je fais ! même moi j’étais arrivé à cette conclusion quand il m’avait demandé de l’aide pour les cadeaux de ses parents. Christine comprenait enfin l’attitude de Samuel à Paris. Il n’était pas venu pour lui faire la cour mais gagner sa confiance. Je ne voulais rien voir. Je me suis caché ce qui était évident.
A son retour de Francfort, Christine avait réintégré un appartement glacé et humide. Dans l’entrée, sur le parquet, un papier en évidence. C’était un mot de Muriel. Celle-ci la remercia encore pour l’appartement et espérait qu’elle avait tout laissé en ordre. Elle voulait surtout lui rappeler de ne pas oublier qu’elle l’attendrait à la gare de Beauvais le vendredi 13 juillet. au train de 12h40. J’espère que tu n’es pas superstitieuse, avait-elle ajouté. Christine sourit. En bas de page, d’une écriture rapide, Muriel avait ajouté ; Samuel à téléphoné. Il voulait savoir quand tu rentrais. Il te rappelera. Avant toutes choses elle alluma la chaudière et décida d’affronter les trombes d’eau pour acheter le nécessaire à sa survie et s’enfermer sur son île déserte. Comme tout le monde elle fit l’expérience du parapluie inopérant et remonta très vite, se faire un café bien chaud.
Dans le silence, le téléphone déclencha un cri strident. Christine décrocha,— Allo !
— C’est Samuel.
Long silence.
— Hou, hou, tu sais qui c’est.
— Oui, oui bien sûr.
—Comment s’est passé ton année à Francfort ?
--- Pas très bien,merci. Et toi ?
—Comme-çi comme-ça. C’est du passé.
Encore un silence.
—J’ai quelque chose d’important à te dire.
Christine témoigna tout à coup de l'intérêt pour cette conversation monocorde...laconique.--- Je t’écoute.
--- Non !...je te parlerai de vive voix. Je pense être à Paris dans deux ou trois jours.
--- Ne me fais pas languir, dit le moi tout de suite. Moi aussi j’ai à te parler.
---C’est toi qui me fais languir maintenant.
Devant le silence de Christine, il ajouta,—Bon ! C’est de bonne guerre. À très bientôt.
Christine raccrocha. Elle avait oublié de lui dire qu’elle partait à Beauvais le 13 juillet.
21h30.Elle pensa à Brigitte, la seule capable de lui remettre les idées en place. Il n’était pas trop tard pour l’appeler...son téléphone sonnait dans le vide. Tant pis ! Elle se souvint du courrier déposé par Muriel sur le guéridon de l’entrée. Beaucoup de prospectus. Elle avait oublié de lui dire de les jeter au fur et à mesure. Quelques lettres sans intérêt. Une seule attira son attention. L’oblitération du timbre indiquait qu’elle venait de Lacanau. Au dos ; Brigitte Desforges. Une adresse illisible 33 quelque chose, Lacanau. Son écriture était vraiment impossible. La lettre était datée du 2 juillet. Le style était télégraphique.
Ma chère Christine
Je suis en vacance dans la famille d’ Antoine. Ses parents sont aux petits soins pour moi. La région est formidable et je me gave d’huîtres et de vin blanc. ( Très bon pour le teint...les huîtres. ) Nous rentrons à Paris le 20 juillet. Appelle-moi au 57 43 22 47.
Je t’embrasse
Brigitte
--- Allô ! Je voudrais parler à Brigitte, s’il vous plaît.
--- Un instant.
--- Allô !
--- Brigitte, c’est Christine.
--- Ah ! tu as eu mon petit mot, tu es arrivé quand ?
--- Aujourd’hui, vers 13 heures.
--- Tu vas bien ?
--- Bien.
--- Bien, sans plus ? Fini tes études ?
--- Il ne me reste plus qu’à passer mes certificats.
--- Tel que je te connais, ce ne sera qu’une formalité.
--- En principe.
Un silence.
--- Je ne pense pas que tu me téléphones pour me parler de tes études.
--- Non ! en effet.
Nouveau silence.
---Faut-il que je t’arrache chaque mot. C’est encore une histoire sentimentale avortée...Samuel ? si c’est toujours lui.
--- Oui, c’est lui.
--- Vous en êtes où ?
--- Nulle part. L’année dernière il a quitté précipitamment Paris et moi je suis parti pour Francfort.
---Est-ce que tu l’aimes ?
--- Je pense que oui.Il vient de m’appeler...il arrive bientôt.
---Enfin, une réponse presque positive...Christine, l’amour c’est une chose simple, pourquoi avec toi c’est toujours aussi compliqué ?
À ta place il y a longtemps qu’il saurait que je l’aime. C’est pourtant simple de dire; elle détacha chaque syllabe “ Je-t’ai-me.”
--- Oui...probablement...je ne veux plus faire d’erreur... Je veux être sûr de mes sentiments.
--- Tes sentiments ! parlons-en. Tu as toujours vécu en marge de tes sentiments. Je t’ai déjà vu à l’œuvre, tu fuyais particulièrement les garçons qui te semblaient dangereux pour ton petit confort mental. Tu pourrais être le sujet d’une étude : comment se débarrasser de l’homme qu’on aime. Samuel t’aime, ça, c’est une certitude. Toi tu l’aimes peut-être. Encore un petit pas, tu y es presque. L’amour n’est pas une maladie honteuse. Jette-toi à l’eau ma petite Christine ; c’est une amie qui te parle. Que t’a dit Samuel lors de son dernier appel ?
--- Qu’il doit arriver à Paris dans deux ou trois jours et qu’il a quelque chose d’important à me dire.
--- Tu ne lui as pas demandé ce que c’était.
--- Si, il m’a répondu qu’il préférait m’en parler de vives voix.
---À ton avis il va faire des milliers de kilomètres pour te parler de la pluie et du beau temps ? Ma pauvre Christine, parfois tu es vraiment nunuche.
Silence au bout de la ligne.
Christine, je pense que nous avons épuisé le sujet. La communication va te coûter une fortune. Je te vois le 20 à Paris. Ah, encore une chose , j’espère bien que tu assisteras à mon mariage, à Lacanau le mois prochain et surtout ne viens pas sans Samuel. Je t’embrasse.
--- Moi aussi, à bientôt.
Le sort s’acharnait contre Samuel. Dans la salle de transit, il ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre, prendre son mal en patience. Une alerte à la bombe avait vidé l’avion, probablement pour plusieurs heures. Ces trois derniers jours avaient été d’une grande tristesse. Amélia mourut tout doucement dans son lit le soir du 10 juillet, entourée de toute sa famille. Lorsque la fin fut venue elle serra la main d’Erna, en l’appelant Ethel.
Samuel était sorti sur la terrasse pour cacher son émotion.
Sarah les yeux embués, vint le rejoindre et lui prit la main. Ensemble ils contemplèrent silencieusement cette ville plusieurs fois millénaire. Hauts lieux surnaturels, vénérés par trois religions. Ville qui Surplombe le jardin de Gethsémani, le Mont des Oliviers, jusqu’à la vallée de Cédron, près de la vallée de Josaphat ou pour les chrétiens doit avoir lieu le jugement dernier. C’est là que les trompettes de la résurrection feront sortir les justes de leurs tombeaux. Autant de concordance dans un même espace frisait le surnaturel : Oui, si Dieu existe, cette ville sacrée est sa demeure. Et pourtant ses fervents adeptes se sont entre-tués, s’entre-tuent encore en clamant son nom. Allait-elle enfin devenir le centre d’un univers en harmonie. L’accord de paix avec les Égyptiens étaient-ce la fin des luttes fratricides entre musulmans et juifs et devenir un exemple pour le monde entier ?
Samuel poussa un soupir,---Tu pense que nous allons vraiment vers la paix.
Sarah essuya ses larmes et se moucha bruyamment.---J’hésite entre le oui peut-être et le non. Si oui, le chemin à parcourir sera très long, Dieu aura besoin des hommes et des femmes, de bonne volonté. Seul il n’y arrivera pas. Nous pouvons être fiers de maman et de papa pour leur petites contribution tendant vers ce but.
— Ce n’est encore qu’une paix séparée, mais paix quand même. Nous ne sommes pas habitués à signer des traités avec un de nos voisins arabes. Nous manquons de pratique.
—Tu te souviens lorsque nous étions enfants papa nous disait que le jour ou Juifs et musulmans cesseraient de se battre pour s’unir, cette partie du monde sera le plus bel endroit de la planète.
---Si on oserait, on rêverait d’une fédération entre cousins auquel on donnerait le nom de Canaan.
---Et comme il est dit dans la bible, cette partie du Moyen Orient sera la terre ou coule le lait et le miel.
---Tu te rend compte, et si c’était la fin de 30 ans de conflits l
---Rentrons ! Allons soutenir nos parents.
Après la venue de Sadate en Israël au mois de novembre 1977, Erna avait appris que Amélia avait le cœur malade, usé avait dit le docteur, et qu’elle n’avait pas beaucoup de temps à vivre, Erna failli laisser tomber son travail au sein de la commission des affaires étrangères. Donner sa démission pour s’occuper uniquement de la mère qui ne lui avait pas mis au monde, mais l’avait sauvé et donné sa vie.
Amélia avait réprimandé Erna,--- Tu veux me tuer plus vite. Ces accords sont plus importants que ma maladie, je t’interdis de perdre ton temps. Ton devoir avant tout. Et tu dois penser à tes enfants. Contre son gré Erna savait que c’était la voix de la sagesse et avait cédé.
Le 10 juillet Samuel envoyait un télégramme à Christine pour lui annoncer la mort d’Amélia et qu’il espérait être à Paris le 13 vers midi. Le vol était complet, il était en stand-by.
Le 12 juillet à 17h30 lorsqu’elle entendit le téléphone, Christine se précipita espérant qu’il s’agissait de Samuel, mais non, c’était Muriel.
---Christine ! je suis contente de t’entendre. Je n’ai pas voulu te téléphoner plus tôt, histoire de te laisser te réinstaller chez toi. Nous nous faisons tous une joie de te revoir. Je te rappelle que nous t’attendons à Beauvais pour les fêtes du 14 juillet.
--- Oui...c’est vrai...pour être franche avec toi...Samuel doit arriver demain et je pensais que c’était lui qui m’appelait pour me donner son vol... je te tiens au courant.
--- Venez ensemble.
--- Je te rappelle demain après midi pour te dire ou j’en suis.
Samuel ne pouvait pas ne pas venir. Et pourtant Samuel ne vint pas. Christine n’avait pas envie de rester seule à Paris
Elle téléphona à Muriel, --- Il est 16h 30, j’attends encore une demi-heure, si je suis sans nouvelles je prends le train de 18h15.
Samuel ne vint pas et Christine prit le train pour Beauvais.
Muriel l’attendait à la gare.
Le vol de Samuel prit un énorme retard et n’atterrit qu'à 21h30. Il téléphona de Roissy, Christine n’était pas chez elle. Il téléphona à Brigitte ; personne. Il téléphona à Hervé. Un répondeur lui répondit de laisser un message. Il raccrocha sans laisser de message. Il loua une voiture et prit la route de Beauvais.
Après les embrassades des retrouvailles Muriel dit ,---Pas de nouvelles de Samuel ?
---Non.
--- Tu as téléphoné à Roissy ?
Christine se traita d’idiote. Pourquoi n’avait-elle pas cette idée avant de venir à Beauvais ? Elle aurait pu laisser un message... ou autre chose. Brigitte avait raison. Elle était vraiment nunuche. Elle répondit simplement , ---Je n’y ai pas pensé.
--- C’était pourtant la seule chose à faire. Ne t’inquiète pas, il a peut-être retenu chez lui, si non il t’appellera à Beauvais. Ne t’en fait pas pour Samuel, il y forcement une explication simple.
Depuis ce matin la pluie avait cessé. Muriel entraîna Christine dans les rues animées et pavoisées. Une foule joyeuse se dirigeait vers le centre de la fête. Amplifiés par des hauts parleurs puissants la musique assourdissante vrillait les tympans. Les deux amies se tenaient par le bras en se dirigeant vers la place Jeanne Hachette transformée en salle de bal. Un camarade de Muriel l’attira pour aller danser. Restée seule, Christine vaguement déprimée se frayait un chemin parmi la foule des couples se trémoussant et gesticulant au rythme de la musique. Elle quitta la place ; sa flânerie la conduisit par les rues qui avaient été les témoins du passé de sa famille. Beauvais lui semblait familier. Rue de la Madeleine où habitèrent ses arrières grands parents venus de Belgique. Rue des Jacobins où Monsieur et Madame Langier tenaient une quincaillerie, remplacée par une épicerie. Les jardins de l’église Saint-Étienne, qui cachèrent les premiers baisers de Céline et Adrien. La rue Jeanne d’Arc où ils s’étaient installés après leur mariage. Puis ses pas la ramenèrent vers la place Jeanne Hachette. Il était 23h30. Consciente qu’elle n’arriverait pas à cacher sa mélancolie, elle n’avait pas envie de tenter de faire bonne figure et encore moins faire des sourires de convenance et gâcher le 14 juillet à la famille Chevrier. Sa décision fut prise, demain matin elle rentrait à Paris. Je n’aurais pas dû venir à Beauvais se dit-elle. Par la rue des Jacobins elle arriva place Jeanne hachette.
C’est alors, qu’encore une fois elle ressentait tout le poids de sa solitude, qu’elle aperçu Samuel scruter la foule en tous sens, puis se diriger vers une voiture en stationnement. Un barrage de danseurs les séparait d’une centaine de mètres. Désespérée, Christine savait qu’elle n’arriverait pas à l’approcher avant qu’il n’atteigne la voiture. Christine se souvenait la lettre de Céline dans laquelle elle évoquait sa rencontre avec Adrien, cette lettre qui avait traversé quatre générations pour lui donner le moyen d’attirer le regard de l’homme qu’elle aimait. Christine regarda avec toute la force de la pensée la nuque de Samuel qui s’éloignait.
Celui-ci s’arrêta net, se retourna, aperçu Christine et en souriant se fraya un chemin dans sa direction.