15. Un coeur brisé

Marie Weil

Eric est complètement détruit par le départ de Lucas suite à ce soit disant baiser. Dans le désespoir, il se plonge dans l'alcool ce qui ne va pas tarder à lui donner des ennuis.

Je ressentais la pire douleur qu'un humain pouvait rencontrer dans sa vie. Je venais de perdre celui que j'aimais, et cela par la faute d'un foutu baiser à la con. C'est du moins ce que je pensais à ce moment là.

Mon cœur était complètement détruit et je n'avais qu'une envie : trouver un moyen d'oublier cette douleur, d'oublier ce qui venait de se passer.

Je trouvai refuge dans un bar, et je n'y ai plus bougé jusqu'à ce que le barman me vire dans la rue, complètement saoul. Avec l'esprit embrumé par les verres d'alcool que je venais d'ingurgiter, j'eus un mal fou à trouver un taxi qui accepterait de m'amener chez moi. Une fois parvenu devant le bâtiment où j'habitais, je réussis à monter les marches sans tomber comme une merde, mais le boucan que je fis ne dut pas plaire au voisinage.

Lorsque je fus enfin parvenu devant la porte de mon appartement, je mis pas moins de trois minutes à mettre la clé dans la serrure. Mon premier réflexe une fois entré fut d'appeler Lucas.

Il n'y avait personne, l'appartement était plongé dans les ténèbres. En arrivant devant la chambre, je me rendis compte que l'armoire qui contenait les vêtements de Lucas était vide, ainsi que son tiroir à sous-vêtements.

Il était parti sans me laisser le moindre message.

J'étais brisé, le cœur en mille morceaux. Mon dernier souvenir fut de m'être effondré sur le lit, les larmes aux yeux.

Le lendemain je me réveillai sur les coups de midi avec une gueule de bois qui avait asséchée ma gorge et un mal de tête qui me tambourinait le crâne. Après avoir pris une douche, je pris la décision de voir la seule personne à qui je pouvais me confier en pareilles circonstances : ma mère.

Une fois arrivé devant sa porte, elle se précipita pour m'ouvrir parce qu'elle m'avait vu arriver par la fenêtre de la cuisine, mais son enthousiasme s'évanouit lorsqu'elle vit mon visage.

Puis, sans parvenir à me contrôler, je fondis en larmes en me jetant dans ses bras. Ma mère m'emmena dans le salon et me servit une tasse de chocolat chaud avec des marshmallows flottants. Quand j'étais triste, elle avait l'habitude de m'en faire un, car selon elle le chocolat aidait à calmer les chagrins.

Après m'être un peu repris, je lui racontais tout, ma rencontre avec Jess, puis le malheureux accident qui en avait découlé. Maman m'écoutait attentivement, n'ayant pas perdu cette habitude de me caresser les cheveux comme si je n'avais encore que six ans.

-« Chloey m'avait prévenu… Si seulement je l'avais écoutée ! dis-je.

- Eric, c'est un malheureux accident, ce n'est pas de ta faute, répondit ma mère d'une douce voix.

- Si, ça l'est, et maintenant je risque de le perdre à tout jamais à cause de cette connerie !

- Mais non, enfin ! Te revoilà à nouveau pessimiste comme avant !

- Y a des raisons, non ? »

J'eus à nouveau droit à ce sourire bienveillant de maman, ce sourire qui me rassurait lorsque j'étais enfant.

-« Laisse-lui du temps, Eric, je suis sûr qu'il va se rendre compte que c'était un malentendu… Il te connaît depuis bien des années et il sait que tu l'aimes trop pour faire une chose pareille.

- Tu crois ? demandai-je timidement.

- J'en suis certaine. »


Cette discussion avec maman m'avait fait le plus grand bien. J'étais rentré le cœur plus léger qu'à mon départ vers ma mère, mais j'étais toujours très triste de penser que notre histoire était finie, que Lucas ne reviendrait plus.

Les jours qui avaient suivis avaient été atroces. J'avais posé quelques jours de congés parce que je n'avais plus la force de travailler. Je me morfondais dans mon coin en pleurant à longueur de journée, et le soir je trouvais refuge dans l'alcool, soit seul dans mon appartement, soit dans les bars. Durant ces longues journées, je n'avais qu'un espoir : entendre la porte s'ouvrir et voir Lucas avec son sac. Mais cela n'arriva pas, je restais seul et démuni.

Jess avait essayé de me joindre à plusieurs reprises en venant jusque chez moi, mais je l'avais délibérément ignorée. Je ne voulais plus jamais revoir cette femme de ma vie.

J'ai longtemps hésité à aller parler directement à Lucas, je savais qu'il était retourné chez sa mère. Mais à la perspective qu'il puisse me rejeter, je ne trouvais pas le courage de faire ce pas. Au lieu de cela, je m'enfonçais de plus en plus dans l'alcool.

Un soir, lors d'une de mes nombreuses beuveries, la situation prit une tournure qui aurait pu très mal finir pour moi. Je me trouvais dans un bar, à nouveau bien bourré, et le quartier où j'étais avait la réputation d'être mal famé.

Le bar était bondé, beaucoup d'hommes à la gueule de tueur s'était réunis pour trinquer et fumer des trucs qui n'étaient pas des cigarettes, vu l'odeur. Je ne remarquais pas qu'un type baraqué m'observait depuis un bon bout de temps. Ce fut seulement lorsqu'il commença à me parler que je remarquais sa présence.

-« On boit pour oublier ? me demanda-t-il.

- Je vois pas en quoi ça vous regarde, lui dis-je un peu brusquement.

- Tu t'es enfilé cinq verres en quelques minutes et t'as une mine affreuse, donc c'est pas difficile à deviner que t'es pas bien, mon pote.

- Et alors ? Qu'est-ce que ça peut vous foutre, hein ? Foutez moi la paix, ça vaudra mieux pour vous !

- Si tu veux, j'ai un truc plus fort pour oublier. »

De sa poche, il sortit un paquet de cigarettes rempli de joints qui n'attendaient que d'être fumés. Troublé par l'alcool, je lui balançais violemment son paquet à la figure en lui disant :

-« Tes joints j'en veux pas, espèce de camé ! »

- Tu vas le regretter, connard ! » me dit le mec, rouge de colère.

Il s'approcha rapidement de moi et me mit une droite digne d'un boxeur. Je tombais sur le sol carrelé du bar, et sans attendre il me roua de coups de pieds en me traitant de tous les noms. Je parvins à me relever avec difficulté, ripostant en lui envoyant un coup de poing qui me blessa la main. Notre bagarre eut pour effet d'apporter de l'animation dans le bâtiment. Les gens s'étaient attroupés autour de nous en nous encourageant, tandis que le barman essayait désespérément de nous séparer. Moi je prenais de violents coups, le sang dégoulinait de mon visage. Je pense que si j'avais continué comme ça, cet homme m'aurait littéralement tué sur place.

Alors que j'étais sur le point de me faire massacrer, je sentis deux mains me saisir par les épaules pour me faire reculer. Cela permit au barman de se placer entre mon agresseur et moi. Quelques secondes plus tard, je me retrouvais dehors, le visage en sang, le corps endolori par les coups reçus, et une violente envie de vomir.

-« Tu aurais pu te faire tuer, espèce d'idiot ! » dit une voix qui me semblait trop familière. Lorsque je levai la tête et que je vis la personne penchée sur moi, je crus que l'alcool était responsable de cette hallucination.

Lucas était là, me regardant d'un air grave et sévère. Je ne pus l'admirer que quelques secondes, avant que mon estomac refasse à nouveau des siennes. Jamais encore je ne vomis autant que ce soir.

-« Pourquoi… est-ce que tu es là ? demandai-je, une fois soulagé.

- Une femme m'a appelé tout à l'heure pour me dire où tu étais, et que tu risquais d'avoir de gros problèmes si je ne venais pas te sortir de là, me dit-il sèchement.

- Excuse-moi d'être aussi mal », lui répondis-je sur le même ton.

La femme en question n'était autre que Jess ; elle m'avait suivi avec l'espoir de pouvoir me parler. Mais cela je ne l'apprendrais que plus tard par Chloey lorsque j'étais passé dans son restaurant.

Je vomis une nouvelle fois ce qui restait dans mon estomac. Puis je voulus me lever, mais mes jambes n'étaient plus en mesure de me porter, et c'est Lucas qui m'apporta son aide.

-« Il faut que je t'emmène à l'appartement, tu es vraiment trop mal en point », dit-il en me passant son bras autour de ma taille pour me soutenir.

Nous avons mis une demi-heure pour atteindre l'appartement. Il m'aida à monter les escaliers, ouvrit la porte et m'amena directement dans la chambre où il m'aida à m'allonger sur le lit. Il disparut un instant dans la salle de bain et revint, les bras chargés de matériel médical qu'il posa sur la table de chevet. Avec des gestes sûrs et précis il enleva ma veste et déboutonna ma chemise, révélant mon torse couvert d'hématomes témoignant de la violence des coups.

-« Mon Dieu, il ne t'a pas raté !

- Ah, ça tu l'as dit ! »

Il prit une serviette qu'il avait préalablement plongée dans de l'eau froide et me l'appliqua sur l'un de mes hématomes en me demandant de la tenir. Puis il nettoya avec douceur le sang qui ruisselait de mon visage.

-« Tu m'as manqué, tu sais », lâchai-je subitement.

Il ne me répondit pas, mais je pouvais voir le trouble dans son regard. Je ne dis plus un mot par la suite, jusqu'à ce que Lucas termine de me soigner. Il me donna des cachets pour atténuer la douleur et un pot où cas où l'envie de vomir me prendrait par surprise.

-« Il faut que tu dormes maintenant, mais je te garantis que demain ça va pas être la joie, me dit-il.

- Je sais… merci pour tout », lui répondis-je.

Il baissa les yeux en soupirant, avant de sortir de la chambre avec le matériel médical. Ce soir là je ne mis que quelques minutes à m'endormir.

Le lendemain je me réveillai vers dix heures du matin, et comme me l'avait dit Lucas le mal de crâne était pire que jamais. Mais au moins mes blessures me faisaient moins souffrir que prévu. Je me rendis directement dans la salle de bain pour me passer de l'eau sur le visage, et ce que je vis dans la miroir me fit peur. Mon visage était tuméfié sous les coups reçus la veille. J'avais un coquard à l'œil, un hématome sur la joue et les lèvres complètement explosées. Si ma mère m'avait vu à cet instant, elle aurait eu une attaque.

En entrant dans le salon, je vis avec surprise que mon compagnon était sur le balcon et qu'un petit déjeuner chaud en face de lui n'attendait juste que d'être dévoré. Mais ce qui me choqua c'était de voir une cigarette allumée glissée entre ses dents.

-« Salut », dit-il en me voyant.

Je pris place en face de lui, fixant cette cigarette, et je dus m'avouer que ça donnait un petit air sexy à Lucas.

-« Depuis quand tu fumes ?

- Cela m'arrive de temps en temps, surtout au travail, répondit-il machinalement.

- Ah… je vois… »

Un silence gênant s'installa entre nous. Pour le combler je commençai à manger le petit déjeuné qu'il m'avait préparé, mais malgré mon estomac vide, l'appétit n'était pas là. Il m'observait manger sans rien dire, son visage couvert de dureté et de tristesse.

-« Je suis désolé », dit-il soudainement.

Je le regardais, surpris. Je m'étais plutôt attendu à ce qu'il me fasse la morale à cause d'hier soir, plutôt que de s'excuser.

-« Je savais que tu étais mal, mais pas à ce point, continua-t-il.

- Ouais, même moi je ne pensais pas tomber aussi bas au point de me battre avec un camé, lui répondis-je avec une pointe d'ironie dans la voix.

- Non sérieusement, Eric, quand je t'ai vu dans ce bar hier soir, ivre mort, en train de te faire massacrer, j'ai eu très peur. »

Pour la première fois depuis longtemps, j'eus l'impression que mon cœur se remettait subitement en marche, comme si l'espoir que j'avais eu durant ces longues journées seules venait de le raviver.

-« Ta mère est venue me voir, tu sais, me dit-il.

- Vraiment… !? Elle t'a dit quoi ? demandai-je, surpris.

- Elle m'a raconté ta visite, et l'état dans lequel tu étais. Au début je ne voulais rien entendre, mais te savoir aussi mal me rendait très triste et ça m'a aussi permis de réfléchir. »

Il soupira en écrasant sa cigarette dans le cendrier.

-« Je me suis rendu compte que je t'avais jugé trop vite, continua-t-il… Tu l'as repoussée quand elle t'a donné ce baiser, ce qui voulait tout dire. »

Je le regardais fixement, attendant la réponse qui allait me délivrer de ce mal qui me rongeait depuis son départ.

-« Ce baiser n'était pas de ta faute, et moi j'ai été trop con pour le comprendre tout de suite », termina-t-il.

Un énorme soulagement s'empara de moi. Les larmes se mirent à couler sur mes joues, j'étais enfin délivré de ce mal.

Lucas se leva pour venir vers moi, mais je fus plus rapide que lui. Je le pris dans mes bras et le serrai dans mes bras aussi fort que je le pouvais. Je pleurais pour évacuer tout ce que j'avais accumulé durant cette sombre période, mais ce qui provoquait ce flot de larmes était aussi le fait de ressentir les battements de cœur de mon compagnon contre moi…


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