17 à 1
Kanon Gemini
Lundi, 19H30, j'en finis enfin avec ce putain de déménagement. Mon ancienne maison est vide. Enfin mon, c'est un bien grand mot. J'étais proprio sur le papier, mais y habiter relevait plus du syndrome de Stockholm. Je ne m'y suis jamais senti chez moi. Quand je l'ai quittée, pas un pincement, pas une larme, rien. Juste envie de balancer un bidon d'essence et mon briquet, comme dans les films, et tout laisser brûler. Enfin bon, elle est vendue, il faut savoir se retenir des fois (comme quand on n'a pas de capotes dans la poche), on va se détendre. Alors, pour les nouveaux lecteurs, petit interlude, il y a 7 mois de ça, j'ai fait le truc le plus dingue de ces 17 dernières années: j'ai divorcé. Je vous vois venir: oui, tu as 40 balais, tu as été marié 17 ans, tu avais envie de changement. Et puis bon, rien d'exceptionnel à divorcer de nos jours. Certes, sauf que c'est 17 dernières années, les miennes, ont été dignes d'un encéphalogramme d'un octogénnaire regardant Derrick. Les deux seuls BIP ont été la naissance de mes deux filles. Sinon, même un franciscain se marre plus.
Donc comme toute personne normalement constituée, j'ai fait un tri basique: je garde, je donne, je jette. Simple comme moi. Tout se passe nickel, trop content de pouvoir brûler des affaires à défaut de la maison. Puis je passe chez Emmaüs afin de faire don de ce que je ne comptais pas réutiliser, chaudement remercié par un compagnon. Il faut dire que le coffre était plein, et ça allait de vêtements, jouets enfants, à des DVD et CD. Au passage, un immense merci aux associations qui font le travail que ne sait pas faire l'Etat, avec beaucoup moins de moyens et beaucoup plus d'efficience (un petit cheh gratuit au passage, ça défoule). Je rentre à la maison et regarde ce que je vais avoir à ranger, heureux du devoir accompli. Et là, c'est le drame.
Pour résumer, il me restait des jouets enfants, des DVD et CD (pour la plupart achetés avant ces 17 ans), des lunettes de soleil (mon métier), un couteau suisse (cadeau de mon père), des souvenirs de fêtes des pères et anniversaires de mes filles, du linge de cuisine et des draps et mon carnet de santé. Vous voyez le hamster dans la roue? c'est mon cerveau à ce moment là. Mais putain, où sont mes cadeaux, mes souvenirs, mais attentions gardées précieusement? Ça se bouscule dans ma tête. Aurais été négligeant? Rangés ailleurs? Rien, nada. 17 ans de vie commune qui tient dans le panier d'un vélo. 17 à 1. Même une Twizy aurait encore de la place dans son coffre. Et là, la dépression, sortez les masques à oxygène.
Heureusement, à ce moment là, la maison si vivante habituellement est en mode repos. Et ça me va très bien, ça me permet de craquer en silence. J'avais beau savoir que ma relation était bancale, le cerveau fait bien les choses, il te minimise tout ça. Il te prend un chiffon et du formol, ou du LSD au choix, et te maintient bien au chaud, en mode happy. Sauf que ce con reste assez logique en moyenne, et que quand tu lui balances une preuve irréfutable, il panique comme un oiseau en cage. Forcément, plein de questions m'assaillent: comment ai je pu être aussi aveugle? Comment ai je fait pour rester dans cet enfer où j'étais moins que rien? Comment rattraper ces 17 années? Et si ça venait de moi? Bref, vous voyer le topo. Des questions où je n'aurai jamais de réponses. Simplement la mauvaise personne au mauvais moment avec un mauvais choix de ma part. Je relativise mais j'avoue avoir le fondement bien écartelé. 17 à 1.
Ce qui devrait me réjouir mais me fait d'autant plus mal, c'est qu'en 7 mois avec Elle (voir une précédente chronique: Elle), j'ai appris ce qu'était que de recevoir de l'amour et des attentions, de celles qui vous tirent les larmes. Bien plus qu'en 17 ans. Finalement, je m'en sors bien. Ne tient qu'à moi de rattraper ces 17 années.