17. Discussion entre père et fille

Marie Weil

Après s'être disputer avec Mary, Max se retrouve seul avec sa fille Rebecca pour une promenade. S'en suit alors une discussion qui va s'avérer être instructive pour le père de famille.

-« Tu es toujours debout ? »

Max leva subitement la tête de sa feuille. Mary était postée devant l'entrée du salon, le manteau sur les épaules.

-« Oh… tu es déjà rentrée ? demanda-t-il surpris.

- Je suis partie depuis trois heures tout de même, répondit-elle en posant son manteau et son sac sur la table.

- Comment va Carla ?

- Un peu mieux je l'espère. On a beaucoup parlé et je pense que ça lui a fait du bien. J'irai à nouveau lui rendre visite plus tard dans la semaine. »

Mary vint vers son mari, et elle remarqua la feuille qu'il avait en main et la boîte ouverte sur la petite table.

-« Toujours en train de lire les écrits de ton père ?

- Oui…

- Comment se finit cette histoire avec la serveuse ?

- Bien, même si ça a failli prendre une tournure tragique.

- Comment ça ?

- Bah, disons que mon père a plongé dans l'alcool à cause de cette histoire, et qu'il a failli y rester parce qu'il s'était fait tabasser par un type qui voulait lui vendre quelque chose de plus fort pour oublier.

- Ah, je vois… »

Mary s'installa à côté de son mari en soupirant.

-« Tu t'es décidé ? demanda-t-elle soudainement.

- De quoi ? fit l'homme, surpris.

- De l'enterrement… tu vas y aller ? »

Son mari posa la feuille sur la table et mit quelques secondes avant de répondre :

-« Je ne sais pas… En fait, pour tout te dire, j'ai peur d'y aller.

- Pourquoi ?

- Je n'ai plus revu cette partie de ma famille depuis dix huit ans, Mary. Je ne suis peut-être pas le bienvenu, c'est comme si je les avais abandonnés.

- Chéri, ne dis pas ça, je suis sûre qu'au contraire ils n'attendent que ça, que tu reviennes vers eux.

- Je ne sais pas trop…

- Écoute, il faut que tu passes au-dessus de l'avis des autres une bonne fois pour toutes ! Tu ne m'as rien dit à propos de ta vie avec ces deux hommes, même après treize ans de mariage, alors que tu sais très bien que je ne t'aurais jamais jugé !

- Ce n'est pas le problème, Mary, c'est juste que c'est compliqué pour moi d'en parler ! se défendit l'homme

- Même à ta femme ? Même à Rebecca ?

- Je ne vois pas pourquoi j'en parlerais à Rebecca ! s'étonna Max.

- Parce que c'est ta fille, Max, tout simplement ! Elle aurait tellement aimé connaître son deuxième grand-père !

- Ah ! Parce que maintenant tu me le reproches ?

- Oui, parfaitement !

- Tu me fais marrer, Mary, s'énerva-t-il en se levant et en émettant un rire sarcastique, je suis sûr que tu crois que si je ne vous en ai pas parlé, c'est parce que j'ai honte !

- C'est l'impression que tu donnes, oui !

- Enfin, évidemment que je n'en ai pas honte ! Tu ne peux pas imaginer à quel point ils ont été des parents géniaux pour moi ! Ils m'ont accueilli dans un foyer que je n'avais pas pu avoir avec ma mère. Grâce à eux, j'ai pu avoir une enfance et une adolescence heureuses et saines ! Grâce à eux, j'ai toujours pu avoir quelqu'un en qui je pouvais confier mes peines, mes chagrins, mes questionnements ! J'ai pu avoir tout l'amour que des parents aimants donnent à leur enfant, alors que j'aurais pu terminer dans un foyer jusqu'à ma majorité ! Et tu crois que j'en ai honte ?? »

Max regarda sa femme droit dans les yeux. Cette dernière préféra rester silencieuse, elle soupira en se levant, préférant s'éclipser à l'étage. L'homme se passa la main sur le visage et reprit sa place sur le canapé. Il se rendit compte que ses yeux s'étaient embués de larmes, et qu'il était même sur le point de fondre en larmes. Son cœur battait la chamade sous l'effet de la colère et de la tristesse. Il se disputait rarement avec Mary, mais le fait qu'elle croyait qu'il avait honte de son père, l'avait rendu furax.


Le lendemain, la tension était des plus palpables dans la maison. Mary refusait d'adresser la parole à son mari, tout comme lui d'ailleurs. C'était naturel après certaines disputes, mais celle de la veille faisait que la tension allait durer plus longtemps que d'habitude.

Pour se changer les idées et surtout pour éloigner sa fille de cette atmosphère pesante, Max décida de l'emmener à Green Lake Park.

La journée était idéale pour une promenade autour du lac. Beaucoup de joggeurs en profitaient pour faire leur footing habituel, malgré la chaleur qui régnait. Quelques familles s'étaient allongées dans l'herbe pour profiter d'un pique-nique, tandis que d'autres se baignaient dans le lac.

Le jeune père de famille ne comptait pas vraiment s'arrêter pour profiter de l'eau et, étrangement, Rebecca était du même avis. Il avait tout de même acheté deux sodas pour se rafraîchir sous cette chaleur estivale. La petite fille était anormalement silencieuse, elle sirotait son soda en observant les gens autour d'elle sans rien dire, ce qui alarma son père.

-« Tout va bien, ma puce ? demanda-t-il d'une voix douce.

- Je vous ai entendus vous disputer toi et maman hier soir », répondit la petite fille en haussant les épaules.

Max poussa un soupir. Évidemment qu'elle les avait entendus, ils avaient crié tellement fort.

-« Ne t'inquiète pas, ce n'est pas grave, ça nous arrive de nous disputer parfois, dit-il en caressant les cheveux blonds de sa fille.

- Vous vous êtes disputés à propos de grand-père ?

- On ne peut rien te cacher à toi… Oui, c'était à propos de lui », répondit-il avec un sourire.

La petite fille soupira comme si ça l'agaçait.

-« Je ne comprends pas, pourquoi grand-père vous rend-il si en colère ?

- C'est compliqué, ma puce…

- C'est toujours compliqué chez les grandes personnes ! »

Le jeune père ne put s'empêcher de rire, sa fille n'avait pas tort sur ce point.

-« Dis papa… pourquoi tu ne m'as jamais parlé de lui ? » demanda-t-elle soudainement.

Max mit quelques secondes à trouver la réponse à cette question. Il but une gorgée de soda, et déglutit avant de parler.

-« Je t'avoue que je ne comprends pas pourquoi je ne t'en ai pas parlé avant, mais il y avait certaines raisons personnelles qui m'en empêchaient.

- Lesquelles ?

- Ce serait trop long à t'expliquer…

- Comme d'habitude », marmonna Rebecca.

L'homme prit place sur un banc placé à l'ombre d'un arbre. Un couple était allongé sous ce même arbre, profitant de la fraîcheur de l'herbe.

-« Tu sais, Rebecca, ton grand-père était quelqu'un de spécial.

- Ah oui ? Comment ? demanda la petite fille, curieuse.

- Disons que… il n'était pas attiré par les filles comme moi je suis attiré par ta maman. »

La petite fille regardait son père, les sourcils froncés. Elle avait visiblement du mal à comprendre ce que voulait dire Max.

-« On va faire plus simple : tu sais ce qu'est un homosexuel ? demanda-t-il.

- C'est un garçon qui aime les garçons, et non les filles.

- Exactement… Eh bien pour grand-père c'était pareil. »

La surprise s'invita dans le regard de l'enfant.

-« Ah… papy aimait les garçons alors ?

- Oui…

- Mais s'il aimait les garçons, comment il t'a eu ?.

- C'est un peu compliqué, mais en fait j'ai eu une maman qui portait le même prénom que toi. Elle est malheureusement morte quand j'avais huit ans. J'avais personne pour s'occuper de moi, alors ton grand-père m'a en quelque sorte adopté avec son compagnon, grâce au testament de ma maman, expliqua-t-il.

- Ouah ! Alors tu avais deux papas ? demanda Rebecca de plus en plus surprise.

- Hé oui… donc techniquement tu as eu deux grands-pères !

- C'est bizarre, je savais pas que ça pouvait être possible.

- Maintenant oui, mais dans le temps aucune loi n'autorisait ça.

- Mais alors c'était comment avec deux papas ?

- C'est comme si tu avais des parents normaux, comme moi et ta mère. »

Cela s'était passé encore plus facilement que ce qu'il avait pensé. Sa fille semblait très bien comprendre la situation, et de plus elle se montrait très curieuse au sujet de ses deux papys.

-« Mais il est où mon deuxième papy alors ? demanda-t-elle.

- Il est aussi avec ma mère… Il est mort bien avant ta naissance. »

La petite fille ne répondit pas, son regard s'était perdu dans la contemplation du lac. Max se sentait soulagé de lui avoir parlé de son père, et à présent il se rendait compte que Mary avait eu raison la veille.

Pourquoi n'en avait-il pas parlé plus tôt ? La peur de ressentir à nouveau cette douleur qui lui avait fait tant de mal ? Mais tout cela était du passé à présent ! Il avait réussi à surmonter tant d'épreuves grâce à des gens qui l'aimaient, alors pourquoi avait-il encore peur ?

-« Je comprends pourquoi tu es triste, papa », lui dit Rebecca.

Elle regardait son père avec un air grave dans les yeux, elle lui rappelait Mary.

-« Tu sais, quand on est triste comme toi, il faut pleurer. C'est pas bon de garder tout ça sans rien dire… Moi je le fais quand je suis pas bien, je serre mon doudou et ça va mieux après ».

Son père analysa chacune des paroles de sa fille. Il était sidéré que les mots simples d'une gamine prenaient un réel sens pour lui. Rebecca comprenait bien plus de choses qu'il n'y paraissait.

Signaler ce texte