19. Une terrible nouvelle...

Marie Weil

Eric raconte les premières années de Max vécue dans le bonheur. Mais alors qu'il allait avoir huit ans, un nouveau malheur frappe sa mère Rebecca.

Au fil des années qui passaient, Lucas et moi voyions Max grandir et faire ses premiers pas dans la vie. C'était devenu un garçon très joueur au caractère bien trempé. Il aimait jouer au foot quand l'occasion se présentait, il affectionnait également la musique, et ne pouvait s'empêcher de chanter quand l'envie l'en prenait. Mais il adorait par-dessus toute la cuisine.

C'était une chose qui m'avait beaucoup amusé. A chaque fois que Max était chez nous pour la soirée, lorsque nous faisions le dîner, il nous demandait s'il pouvait nous apporter son aide, ou sinon il nous observait avec la plus grande attention. Quand nous faisions de la pâtisserie, c'était toujours le prétexte à de franches rigolades. La plupart du temps, je prenais plaisir à mettre de la farine sur la face de Max, pour le faire ressembler à un spectre. Ce qui avait pour avantage de faire rire aux éclats notre petit bonhomme.

Ces gâteaux étaient surtout destinés à Rebecca. Notre garçon était ravi de les lui donner quand elle passait le chercher après son travail. La jeune maman était toujours enjouée.

La pauvre était rarement chez elle, la vie lui coûtait chère pour tout ce qui concernait la nourriture, les factures et le loyer, alors elle se tuait au travail pour parvenir à ses fins. Je ne cache pas qu'à chaque fois que je la voyais, elle me faisait de la peine avec ses cernes sous les yeux qui s'agrandissaient au fil du temps.

L'inquiétude de Lucas était également palpable. Voir son amie dans cet état de fatigue ne l'enchantait pas, et plusieurs fois il l'avait prévenue que si elle continuait ainsi, elle n'allait pas tarder à craquer.

-« Lucas, je sais tout cela, mais comprends-moi, je n'ai pas le choix, j'ai un enfant maintenant et je dois subvenir à ses besoins coûte que coûte », ne cessait-elle de répéter.

Et la discussion s'arrêtait ainsi. Malgré mon inquiétude, je faisais confiance à mon amie. Si elle était sûre d'elle, alors j'estimais qu'elle savait où elle allait.

Ce fut lorsque Max eut sept ans que je remarquai que quelque chose n'allait pas chez Rebecca. Elle avait pris une journée de congés pour être présente à l'anniversaire de son fils, et on avait décidé de le fêter chez ma mère avec la présence d'Anne.

Cela faisait à peu près un mois que je n'avais pas vu mon amie, si mes souvenirs sont bons. Le jour où je la revis, je reçus un choc. Je constatais qu'elle avait perdu du poids, son visage était d'une pâleur inquiétante et les cernes étaient beaucoup plus prononcés. Elle ressemblait à quelqu'un qui venait de sortir d'une mauvaise grippe.

Lucas remarqua aussi son état, et à voir son regard inquiet il fut encore plus alarmé que moi. Nous n'osions pas demander à notre amie ce qui n'allait pas, nous ne voulions pas l'embêter. Tout compte fait, c'est elle qui vint nous trouver alors que nous étions dans le jardin à surveiller Max qui jouait. Et nous n'étions pas préparés à ce qu'elle allait nous révéler.

-« Les garçons, je n'ai pas voulu vous le dire tout de suite pour ne pas vous inquiéter, mais en ce moment je vis une très mauvaise passe… Je ne sais pas si je vais m'en sortir. »

Ces paroles nous tétanisèrent, elles ne faisaient que confirmer ce que nous pressentions. Et ce ne fut que le début.

-« Il y a quelques semaines, j'ai eu des vomissements et une toux terrible. Je pensais que c'était passager, que j'avais attrapé une mauvaise gastro ou une grippe. Mais j'ai à nouveau eu une crise de toux en plein travail et je me suis mise à cracher du sang. Je suis allée directement à l'hôpital, et les médecins m'ont fait toute une série d'examens… Ils ont décelé une masse suspecte dans mes poumons, puis le diagnostic est rapidement tombé », expliqua-t-elle.

Elle soupira, semblant chercher ses mots. Moi j'avais ma petite idée, mais je ne voulais pas y croire.

-« Tu… tu as un cancer ? »

Ce fut Lucas qui prononça le fameux mot. Lorsque je me suis tourné vers lui, j'ai vu ses yeux écarquillés emplis de larmes.

-« Oui… Il est à un stade avancé, et les médecins ne savent pas si je vais m'en sortir », conclut mon amie.

J'étais sous le choc. Pourquoi le cancer avait-il jeté son dévolu sur une femme aussi jeune ? Mon incompréhension se transforma rapidement en tristesse, car je venais de réaliser qu'il s'agissait de la vraie vie, que mon amie risquait de mourir, ce qui signifiait ne plus jamais la voir, lui parler.

-« Est-ce que tu as commencé la chimio ? demandai-je avec un mince espoir.

- Oui, il y a deux semaines… Je me suis tout de suite rasée les cheveux après la première séance, parce que je crois que n'aurais pas supporté de les voir tomber peu à peu », répondit Rebecca en soulevant un peu sa perruque.

C'est le cœur serré que je vis le crâne rasé de mon amie. Cette vision fut un choc pour Lucas qui commença à renifler, les larmes lui coulant sur les joues. Rebecca se leva et le prit dans ses bras.

-« T'inquiète pas, petit blond, ça va aller. Je vais survivre à ce truc comme j'ai survécu à toutes ces merdes qui me sont arrivées avant », tenta-t-elle de le réconforter.

Mon regard se dirigea vers Max qui continuait à jouer gaiement. Je me souviens avoir ressenti une profonde détresse en me disant que cette fois notre amie ne s'en sortirait pas.


Durant les mois qui ont suivi cette terrible nouvelle, nous avons vu notre amie combattre sa maladie comme une guerrière, mais le cancer n'avait cessé de gagner du terrain.

Chaque fois que je la voyais, je constatais les ravages engendrés par la maladie. Elle avait perdu tant de poids qu'elle n'était plus que l'ombre d'elle-même, elle était constamment fatiguée, percluse de douleurs, et les séances de chimio n'y étaient pas étrangères.

Cela me déchirait le cœur de la voir dans cet état, et c'était encore pire pour Lucas. Chaque fois que nous lui rendions visite, il gardait le sourire devant elle, mais dès que nous la quittions, il s'isolait pour aller pleurer.

Ce qui était encore plus triste pour moi était de penser à Max. Il voyait sa mère dépérir sous ses yeux, et il ne comprenait pas pourquoi. Je lui avais une fois demandé s'il avait une idée de ce qui se passait. Il m'avait répondu, la voix emplie de tristesse.

-« Elle risque de mourir. »

Je n'avais pas répondu, mais ces mots m'avaient fait très mal parce que je savais que cet enfant avait raison, qu'il avait déjà compris malgré son jeune âge.

Lorsque Lucas et moi parlions de la situation, c'était toujours tendu. Il arrivait toujours cet instant où nous parlions du pire et de qu'il allait advenir du petit Max.

-« Je ne supporterais pas qu'il soit placé dans un foyer, disait mon compagnon.

- Je sais, pour moi c'est pareil… Mais où voudrais-tu qu'il aille ? Il n'a pas de famille à part Rebecca, et le foyer serait alors sa seule option si jamais… enfin, tu comprends… »

J'essayais tant bien que mal de chasser cette pensée de mon esprit, je voulais que Rebecca s'en sorte et que tout redevienne comme avant. Pour ça j'étais prêt à faire n'importe quoi, même à prier tous les soirs.

Cela faisait maintenant six mois que notre amie combattait la maladie. Le printemps pointait à peine le bout de son nez lorsque Lucas et moi sommes allés lui rendre visite. Après avoir toqué trois fois à la porte, elle nous avait ouvert. Sa vision, dont j'en garde encore le souvenir intact, s'était présentée à moi.

Rebecca était vêtue d'une robe de chambre, avec sa main droite elle traînait derrière elle un déambulateur de perfusions. Son crâne était couvert d'un foulard bleu pâle qu'elle avait noué, de sorte à ce qu'il ne glisse pas. Son visage était encore plus pâle et creusé que d'habitude, sans doute à cause de l'absence de maquillage. Mais ce qui m'avait frappé, c'était ses yeux rouges et humides, comme si elle avait longtemps pleuré.

-« Rebecca ? Tout va bien ? » demandai-je.

Elle nous regarda en reniflant et en s'essuyant les yeux.

-« Max est sorti avec Célia… Il… il faut que je vous parle. »

Célia était l'amie qui avait hébergée Rebecca lorsqu'elle était enceinte de Max. Elle était devenue en quelque sorte sa marraine après sa naissance et le gardait les quelques fois où nous ne pouvions pas le faire.

Nous avons suivi notre amie dans le salon où nous avons pris place sur un vieux canapé usé.

-« J'ai été licencié hier », déclara-t-elle subitement.

Lucas réagit instantanément.

-« Quoi !? Mais pourquoi ?

- C'est la quatrième fois de suite que j'arrive en retard au boulot, et ça n'a pas plus à mon patron. Il m'a convoquée et m'a licenciée, sans un au revoir, répondit son amie en toussant.

- Mais tu ne lui as rien dit ? Tu ne lui as pas expliqué pourquoi ?

- Non, je ne voulais pas que tout le monde sache que je suis malade, sinon ça aurait été insupportable pour moi… Maintenant que je n'ai plus de travail, je ne sais pas comment je vais faire pour payer mes factures, l'appartement, ainsi que le traitement qui me coûte si cher.

- T'inquiète pas pour ça, on va se cotiser pour te payer ce qu'il te faut, répondis-je immédiatement.

- Il n'est pas question que j'accepte un seul sou de vous, vous galérez déjà bien assez comme ça, dit-elle dans un souffle.

- Mais c'est ta vie qui est en danger ! Tu risques de mourir si tu ne prends pas ce traitement ! s'exclama Lucas.

- Je sais… mais ça ne sert plus à rien, il n'y a plus aucun espoir…

- Comment ça ? »

Les yeux de Rebecca se remplirent de larmes qui débordèrent et coulèrent sur ses joues creuses.

-« Le cancer s'est trop rapidement propagé, malgré la chimio… D'après les médecins il me reste au maximum un an à vivre », dit-elle d'une voix tremblante.

Je n'arrivais pas à croire ce que je venais d'entendre. Mon cœur se déchira littéralement et je me mis à pleurer sans la moindre retenue.

Je ne suis pas d'un naturel sensible, ceux qui m'ont déjà vu pleurer ne sont pas nombreux. Mais ce jour là j'ai pleuré à chaudes larmes avec mes deux meilleurs amis.

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