1er épisode : Chat(s) perché(s)

Lucie Ronzoni

Ce matin 5 heures, appel de la police fluviale.

Je devais me rendre en urgence sur l'île aux cygnes avec un de mes  hommes (souple et agile, m'avait-on précisé) . Je choisis Armand, autant pour sa rapidité à se réveiller et à se préparer, que pour son corps d'athlète.

Sur place, nous n'étions pas seuls. Le  commissaire Jules de Maximin du  16ième arrondissement  avait fait le déplacement. "Le Duc", comme on l'appelait entre nous. Il sévissait dans les beaux quartiers depuis plus de 30 ans, et avait la réputation de très peu se rendre lui-même sur les lieux des infractions. Sa présence m'intrigua, d'autant plus que l'île aux cygnes, placée entre nos deux quartiers, avait été clairement rattachée à notre juridiction.

L'objet de toute notre attention mesurait plus de 11 mètres de haut, était toute verte et portait une robe. Rien de choquant jusqu'ici puisque, depuis plus de 120 ans, elle faisait l'attraction des touristes en bateau mouche. Sauf que ce matin, elle allait en choquer plus d'un.

Pendu par une corde reliée à la main portant la flamme, un chat ballottait au gré de la légère brise marine. Il avait été aperçu par les flics de la brigade fluviale lors de leur première ronde, donc placé là, visiblement contre sa volonté, entre deux heures et cinq heures du matin.

Armand, ami des bêtes, se proposa tout de suite de grimper à l'échelle posée contre le piédestal par la police fluviale , pour détacher le pauvre animal. Mais les ordres étaient formels : nous devions attendre qu'un attaché de l'ambassade américaine constate l'affront. Car c'est ainsi que le Duc, premier arrivé sur place à cause d'un brigadier malinformé sur la délimitation administrative des arrondissements, avait interprété la pendaison féline.

Légèrement énervé par cette décision stupide, je pris à part de Maximin pour une explication juste et virile entre collègues.

"On ne va peut-être pas en faire un drame.

- Ce n'est pas à prendre à la légère, Tallier. Moi, je ne veux pas d'ennui avec les américains.

- Ce n'est pas vos oignons de toute façon, on est dans le quinzième ici.

-Pas sûr. Le chat pend du côté du seizième. 

- Vous n'êtes pas sérieux... "

De Maximin l'était.  Ce félin occis troublait son paysage et la vue des immeubles de son quartier. Il n'avait pas l'intention de lâcher l'affaire.

L'attaché d'ambassade mit plus de temps que prévu à venir. Nous nous tenions tous là, les yeux en l'air, Armand trépignant et souffrant pour l'animal. Juste avant que l'amerloque ne débarque, je vis au loin, marchant sur l'île aux Cygnes dans notre direction, puis virant de bord à la vue de notre attroupement, une vielle connaissance. C'était Coco, le clodo qui prenait ses quartiers de sept heures à deux heures du matin au pied de la statue. Je gardais cela en mémoire, content que le Duc, toujours le nez en l'air,  ne s'aperçût de rien.

L'attaché fut gêné. Heureusement, ami lui-aussi des bêtes ,  il demanda aussitôt à ce que l'animal fût détaché ce qu'Armand s'empressa de faire. Il redescendit de l'échelle avec le pauvre chat contre sa poitrine. Une rapide autopsie nous permit d'écarter le suicide et de constater que le chat ne portait pas d'autre blessure mise à part la forte marque laissée par la corde qui lui dessinait un collier blanc sur son pelage noir. Le chat avait dû être pendu vivant, ce qui attrista un peu plus Armand et l'américain. Il fut transporté à la morgue pour une analyse détaillée des conditions de sa mort ; on lui devait bien cela. La corde fut portée également à la Scientifique. L'Américain, jeune et débutant dans la fonction, ne savait que dire et était pressé d'en finir. En ces temps de menace terroriste, il ne prendrait pas de risque et  rapporterait l'affaire à l'ambassadeur en personne. Le Duc lui laissa sa carte et c'est à peine si j'eus le temps de lui glisser la mienne et de lui dire que le "meurtre" était dans ma juridiction.  Nous nous quittâmes frigorifiés et fatigués. Alors que de Maximin irait certainement se recoucher, moi, je savais ce que j'avais à faire. Il fallait que je laisse Coco se réinstaller sous sa statue et revenir, seul, pour l'interroger.

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