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S P Bonal

Première partie Ouverture « Le vent d'hiver souffle, et la nuit est sombre, Des gémissements sortent des tilleuls ; Les squelettes blancs vont à travers l'ombre Courant et sautant sous leurs grands linceuls, » Henri Cazealis (Poème utilisé pour l’œuvre ‘’D’anse macabre’’ de Camille Saint-Saëns) 2 Un mois plus tard Enfin affranchis des règles, Matthew et John pouvaient pour la première fois, jouir d’aller n’importe où dans L.A. Ils n’étaient plus considérés comme de vulgaires flics, mais comme des inspecteurs. Afin de fêter dignement cette promotion durement méritée, les deux jeunes inspecteurs partaient pour le Blue Moon vêtu de leur costume d’inspecteur de la criminelle. Là où ils passaient, les passants les interpellaient par : - Inspecteurs ! Ou encore, - Messieurs ! Pour la première fois, depuis le début de sa carrière, Matthew avait l’impression d’exister aux yeux de la population. Avant, quand il entrait dans un lieu public, il était quasi méprisé. Personne n’aimait voir un agent de police. Ils étaient considérés comme des moins que rien. Le bizutage chez les inspecteurs n’existe pas. Nul ne pouvait les atteindre, ils étaient les tout puissants. En entrant au Blue Moon, tout le monde les reconnaissait. Un habitué du lieu les interpelait avec mépris. - Les filles, que foutez-vous ici ! Les flics c’est le bar d’en face. - Vous avez un problème, monsieur ? s’enquit Matthew en montrant sa plaque d’inspecteur. Le vieil homme gêné baissait la tête. - Non monsieur ! Toutes mes excuses ! - Fermez là plus tôt et arrêtez de prendre les forces de l’ordre pour des cons ! - À vos ordres monsieur ! Matthew et John prenaient place au bar, Billy le frère de John leur faisait l’accolade. - Comment vont mes jeunes inspecteurs ? Vous savez que c’est bon pour mes affaires ? - Comment ça ? Tu reçois des milliers de personnes ! s’exclamait son frère stupéfait. - Oui, j’en reçois, mais là c’est différent ! Vous êtes de la criminelle. Vos prédécesseurs étaient peu appréciés. Donc, ils faisaient fuir les clients. - Jack et Martins ? - Cela même ! Alcooliques ! Ils passaient plus de temps au bar que dans la rue. Imaginez la réputation. Pourquoi je passe ? Un barman acceptant n’importe qui. Avec c’est différent, vous êtes réputé dans le métier. Votre patron a la criminelle un certain Warren Stan, il est passé hier. Il m’a dit en confidence que vous étiez de très bons agents. Étonné, Matthew regardait son complice en attente d’un signe. John buvant son verre s’exclamait. - Pour sûr ! Matthew, toutes ses affaires sont résolues ! - Tu exagères ! lançait Matthew avec modestie. - C’est vrai ou pas ? Tu es connu pour ton efficacité ! Comme ton père avant toi ! Il était un grand inspecteur. Il avait même sa table ici, montre lui Billy ! Celui-ci s’exécutait, il faisait signe de le suivre. Matthew était surpris de voir une table avec le nom de son père inscrit dessus. Ici table de : Franck Paul - Comment est-ce possible ? Il ne m’en a jamais parlé. - Pourtant il était un homme d’exception ! rétorquait Billy. Bon la prochaine tournée est pour moi ! Les heures passaient, Matthew se demandait pourquoi son père ne lui parlait jamais de sa carrière dans la police. Avait-il honte ? Cachait-il des affaires douteuses ? Comment un homme aussi apprécié, aussi influent pouvait-il le cacher à son fils ? Avant de partir pour son petit appartement, il restait pour écouter la sublime voix de Billy Holiday. Sa voix ensorcelait, quiconque l’entendait. Son interprétation de Blue Moon était d’une sensualité. Après l’interprétation, Matthew allait voir Billy pour la féliciter. Celle-ci de sa voix rocailleuse lui disait avec délicatesse : - Merci inspecteur ! Passez donc me voir quand vous le désirez ! J’ai élu domicile au Millenium Biltmore Hôtel. Vous demandez à la réception que vous voulez voir Billy, ils vous laisseront passer ! Bonsoir ! Elle partait en faisant volt face avec grâce et élégance. Matthew partait dans l’air humide de L.A pour son appartement à trois sous. En rentrant, il retrouvait son chat Karl et ses livres. Personne ne l’attendait, personne ne le recevait pour l’apaiser d’une harassante journée. Il n’avait que pour seule compagnie son chat et sa musique. Sur les murs des cadres montrant une jeune femme, son ex-femme qui l’a quitté pour un agent de la brigade des Stups. Elle était lasse de ne pas le voir à la maison. Il était toujours dehors à courir les malfrats. Au début, elle trouvait leur situation vivable, puis au fil des années, elle n’en pouvait plus. Elle disait vivre seule, qu’il préférait son travail à elle. Puis un beau jour, elle a quitté l’appartement sans dire un mot. Sur son vieux phonographe tournait un vinyle de Sinatra. Matthew se laissait porter par la somptueuse mélodie : All the Way. Tout en écoutant, il lisait le dernier roman de F Scott Fitzgerald : The Great Gatsby. Matthew était passionné par les auteurs tel que Fitzgerald où Ernest Hemingway. Il aimait leur plume et leur sens de l’analyse. Les heures passaient, il broyait du noir à force de rester trop longtemps seul. Afin de radoucir ses nerfs, il partait déambuler dans les rues sombres de L.A. En passant il entend des musiciens jouant pour de l’argent. De ces pauvres bougres L.A en était infesté, ils jouaient des heures entières pour récolter un maigre butin. À cette époque, appelée l’âge d’or, des milliers de personnes crevaient de faim. Seuls les bourgeois et ceux qui faisaient partie de l’élite s’en sortaient. Aux abords d’un Night-Club, un air connu interpelait Matthew, Louis Prima chantait : Just a Gigolo. En entrant, il croisait par le plus grand des hasards Billy Holiday qui sirotait un cocktail. - Vous ici ? - Qu’a-t-il de si spécial ce lieu ? demandait Matthew en faisant signe au barman de le servir. - C’est le lieu des artistes, voyons ! s’exclamait Billy en le regardant avec un regard torride. Seuls les gens… certaines personnes connaissent ce lieu. Qu’est-ce qu’y vous y amène ? Matthew d’un air charmeur répondait en prenant son verre de whisky. - Mais vous madame ! - Oh ! Vous m’en voyez flatté très cher ! Si vous avez quelques heures à tuer, passez-les donc en ma compagnie. Je peux vous assurer, vous n’allez pas le regretter. En guise d’approbation, il baisait la main de Billy et buvait son verre en la regardant. Matthew oubliait son amour perdu pour une femme riche et célèbre. Il enterrait à jamais les durs souvenirs passés pour partager la couche de la sulfureuse Billy Holiday. Du dernier étage de l’hôtel où résidait Billy, il était possible d’entendre une amère mélodie, d’un saxophone pleurant de sombres notes. Ce devait être un de ses pauvres braves errant dans la rue. Il jouait du soir au matin contre quelques pièces. Comme chaque nuit, L.A faisait surgir de l’ombre tristesse et mélancolie. Mais parfois elle faisait naitre la beauté et l’élégance. Cette gargantuesque ville s’éveillait dans le tumulte de la foule.
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