2. La boite
Marie Weil
Le notaire leur avait donné rendez-vous le lendemain dans l'après-midi. Max était nerveux, il savait que le notaire allait lui expliquer les étapes de l'enterrement, mais il savait surtout qu'il allait lui parler d'un possible héritage.
Après le déjeuner, ils déposèrent Rebecca à l'école, puis ils se rendirent au centre ville de Seattle où se trouvait le bureau de Mr Brown, le notaire.
Arrivés devant le bâtiment à quatre étages où pullulaient des bureaux d'avocats, ils prirent l'ascenseur qui les emmena jusqu'au dernier étage. Ils sortirent sur un couloir contenant deux portes. Celle du notaire était au bout. En entrant dans les bureaux de maître Brown, une secrétaire les accueillit. Elle vérifia l'identité de Max et dit :
-« Maître Brown va vous recevoir dans quelques minutes », dit-elle avec un sourire.
Max la remercia et rejoignit Mary dans une salle d'attente dont les murs étaient décorés de pubs vantant les mérites de différentes pompes funèbres.
-« Ta mère a dû aller chez le notaire à la mort de ta grand-mère ? demanda-t-il.
- Sûrement, vu qu'elle lui a légué la maison où j'ai habité avec ma famille, répondit-elle, tout en observant les murs de la pièce.
- Tu crois que mon père a fait un testament ?
- Je ne sais pas, chéri, je ne sais pas. »
Max espérait qu'il n'y ait pas de testament de la part de son père, il ne l'accepterait jamais, pas après toutes ces années d'abandon.
La porte du bureau du notaire s'ouvrit soudainement. Le couple se levèrent en même temps et saluèrent l'homme. Ce dernier était de taille moyenne, vêtu d'un costume qui semblait un peu trop épais pour la saison ; il affichait une quarantaine d'années, un début de calvitie venait ronger le dessus de son crâne. Ses yeux bruns observaient le couple à travers des lunettes carrées posées sur un nez court et fin.
-« Bonjour Mr John's, je présume ? dit-il en serrant la main de Max.
- Oui Mr Brown, enchanté. Vous avez appelé hier soir au sujet du décès de mon père, et c'est mon épouse que vous avez eu au bout du fil. »
Mary serra la main que lui tendait le notaire.
-« Je vous en prie, allons dans mon bureau, nous allons voir cela », dit Mr Brown en s'écartant pour laisser place le couple.
Le couple pénétrèrent dans une pièce fort bien décorée. Le parquet était fait de bois luxueux, les meubles qui composaient la pièce avaient un aspect vintage qui ne dépareillait pas face au bureau imposant plutôt moderne qui trônait vers le fond de la pièce. Un canapé était installé près de la baie vitrée, sans doute un lieu de détente pour le notaire. Il n'était sans doute pas rare qu'il sirote un verre de whisky tout en observant la rue en contrebas.
Le couple prit place dans de coûteux fauteuils, tandis que maître Brown en fit de même de l'autre côté du bureau. Le notaire remit en place ses lunettes qui avaient tendance à glisser sur son nez, puis il ouvrit un tiroir et en sortit un dossier.
-« Pour commencer, nous allons vérifier les infos civils, même si je ne doute pas un instant de votre identité, mais c'est la loi… Vous êtes bien Mr Max John's, né le 16 octobre 1980 à Seattle dans le comté de Washington, fils de Rebecca John's, décédée en 1987 ?
- Oui, c'est exact.
- Vous êtes marié à Mary John's, nom de jeune fille Will, et vous avez une fille prénommée Rebecca, née en 2005 à Seattle.
- Oui.
- Très bien, tout a l'air en ordre sur ces points là. » Il prit un autre papier et se racla la gorge avant de continuer. « Vous êtes donc ici suite au décès brutal de Mr Eric Smith, votre représentant légal avec Mr Lucas Eb, mort en 1996. Suite à la mort prématurée de votre mère, un testament formulé de sa main attestait qu'elle confiait votre garde à Mrs Smith Eric et Lucas Eb, le tout étant entériné par un juge pour enfant… Si j'ai sollicité votre présence aujourd'hui, c'est parce que votre défunt père vous a désigné comme unique héritier de tous ses biens. »
« Voilà ce que je craignais », se dit Max. Il demanda au notaire :
-« J'ai le droit de refuser l'héritage de mon père ? »
Le notaire ne cacha pas son étonnement devant cette demande.
-« Heu, oui… mais vous devriez me laisser lire le testament de votre père, peut-être changeriez-vous d'avis, dit-il.
- Faites donc », soupira l'homme.
Mr Brown tira une nouvelle feuille du dossier. Max reconnut immédiatement l'écriture de son père ; elle lui semblait troublante, comme si la main qui avait écrit ses mots avait eu du mal à former les lettres.
-« Je soussigné mon unique fils Max John's comme héritier de tous mes biens, dont la maison de ma mère Hélène Smith, de la somme de 25000 $ et d'une boite à chaussure contenant toute ma vie. »
Le concerné ne comprit pas ce que signifiait cette boite à chaussures, il demanda donc au notaire de relire le testament. Mr Brown s'exécuta.
-« Une boite à chaussures ? s'étonna Mary.
- Mr John's, c'est ce qui est écrit dans le testament, et votre père a particulièrement insisté sur le fait que cette boite devait vous être remise, dit le notaire.
- Mais pourquoi ? Il ne vous a rien dit à son sujet ? demanda Max.
- Rien d'autre que ce que stipule le testament, Mr John's. Maintenant vous pouvez toujours refuser les termes de celui ci comme vous en avez fait la demande au début de notre conversation. »
Cette mystérieuse boite à chaussures piquait la curiosité de Max. Peut-être devrait-il l'accepter ? Il prit rapidement sa décision.
-« Je veux bien prendre la boite tout de suite… quant au reste, je vous demande un délai de réflexion.
- Très bien, Mr John's. »
Le notaire se baissa et ouvrit un autre tiroir. Il en sortit une vieille boite à chaussures qui semblait avoir mal vieilli. A sa vue, l'homme se demanda ce que contenait de si important cette boite.
Puis maître Brown expliqua au couple les formalités relatives à l'enterrement ainsi que la procédure concernant l'héritage, si Max en acceptait tous les termes. Ce dernier l'écoutait à peine ; tout ce qui l'intéressait était la contenance de la mystérieuse boite posée sur ses genoux.
Une demi-heure plus tard, le jeune père de famille foula le sol de sa maison, il posa la boite sur le buffet du salon. Leur voisine, Madame Dottie, était allée chercher Rebecca à l'école, et elle en profita pour rester un peu avec le couple afin de soutenir Max. Sa femme lui raconta ce que leur avait dit le notaire concernant les circonstances de la mort d'Eric Smith. Après l'annonce de sa maladie, il avait refusé une greffe de cœur susceptible de le sauver.
-« C'est vraiment très triste pour vous, mais je me demande pourquoi votre père a refusé cette greffe de cœur ? » dit-elle.
Ces paroles firent réfléchir Max. Pourquoi refuser cette greffe ? Voulait-il mourir ? Cette pensée lui fit froid dans le dos.
-« Nous n'en savons pas beaucoup plus, Madame Dottie, le notaire a été assez vague sur le sujet. Peut-être Max en saura plus s'il décide de se rendre à l'enterrement, expliqua Mary.
- Vous n'avez pas l'intention d'y aller ? s'étonna la voisine.
- Je ne sais pas encore, soupira-t-il, c'est que dans quelques jours nous avions décidé de partir rejoindre les parents de Mary, et Rebecca est si contente de revoir ses grands-parents que je n'ai pas le cœur de tout annuler.
- Mais mon chéri, ce n'est pas grave, on peut repousser les vacances, Rebecca comprendra, dit sa femme.
- Et franchement, mon garçon, continua Mme Dottie, ne pas y aller pourrait être une très mauvaise idée… Cela fait dix huit ans que vous ne l'avez plus vu et si vous décidez de ne pas vous rendre à l'enterrement, vous pourriez le regretter toute votre vie, croyez-moi sur parole ! »
L'homme sourit à la vieille dame. Il savait de quoi elle parlait. Elle avait perdu sa mère il y a une dizaine d'années et toutes deux ne se parlaient plus depuis très longtemps. Mme Dottie ne s'était pas rendue à l'enterrement, et depuis, toute sa famille ne lui adressait plus la parole.
-« Bon, il est temps que j'y aille, mon jardin m'attend, lança la vieille dame.
- Rebecca, tu viens dire au revoir à Mme Dottie ? » cria Mary en direction de l'étage.
Il y eut des petits pas rapides, puis Rebecca descendit les escaliers quatre à quatre. Elle se dirigea vers leur voisine qui affichait un sourire attendri.
-« Au revoir ma chérie, profite bien de tes vacances, hein ? Dit la vielle femme.
- Oui madame. »
La jeune fille alla s'installer sur le divan et alluma la télé. Max raccompagna la vieille dame en la remerciant encore de s'être occupée de Rebecca.
-« Ne reste pas trop devant la télé, pas plus d'une heure le soir, tu as compris ? entendit-il depuis le salon.
- Oui maman… On peut manger pizza ce soir ?
- Non, c'est mauvais pour toi. Et il y a encore des restes d'hier.
- Pff… c'est toujours la même chose ! » se lamenta Rebecca.
Mary était très à cheval sur l'alimentation, donc les pizzas se faisaient assez rares dans cette maison. Mais pour une fois Max n'était pas contre un petit coup de couteau dans le contrat alimentaire.
-« On peut peut-être faire une petite entorse ce soir Mary moi aussi j'ai envie d'en manger une », dit-il en sentant son estomac gargouiller de plaisir.
Sa femme ouvrit la bouche en signe de protestation, avant de se raviser.
-« C'est vrai que j'ai pas tellement envie de me mettre aux fourneaux… va pour une pizza, dit-elle en baillant.
- Ouais ! Merci papa ! » s'exclama la petite fille.
Son père passa la commande et, une heure plus tard, toute la famille put déguster de bonnes pizzas bien chaudes et bien grasses.
Le réveil indiquait deux heures du matin, et Max ne parvenait toujours pas à dormir. Quelque chose l'empêchait de sombrer dans un sommeil réparateur, malgré la journée harassante qu'il venait de passer.
Il jeta un coup d'œil à Mary, elle dormait à poings fermés, la couverture se soulevant régulièrement grâce à sa respiration lente. Dans un soupir, il écarta le draps et sortit de la chambre. Il traversa le couloir et se rendit dans la chambre de Rebecca pour vérifier que tout allait bien. Cette dernière dormait paisiblement en serrant dans ses bras sa peluche prénommée Lulu. Des amis inséparables ces deux là !
Il descendit silencieusement l'escalier et se rendit dans la cuisine. Il sortit une tasse du placard, prit un sachet de thé et fit chauffer de l'eau dans une vieille bouilloire que sa femme avait dégoté dans une brocante. Quelques minutes plus tard, un sifflement significatif lui indiqua que la bouilloire avait fait son boulot. Il éteignit le gaz et remplit sa tasse d'eau bouillante.
Sa tasse en main, il sortit de la cuisine et se dirigea vers le salon. Une fois dans la pièce, un détail l'arrêta subitement. La fameuse boite à chaussures était toujours posée sur le buffet, son couvercle abîmé par le poids des ans. En la fixant, Max se demanda s'il ne venait pas de trouver la raison qui l'empêchait de trouver le sommeil.
Il se décida à la prendre en main, s'installa dans le canapé et posa la boite et sa tasse sur la petite table de salon. C'était le moment de vérité.
Il retira le couvercle de ses mains tremblantes, le contenu s'offrit à sa vue. Il s'agissait d'une pile de feuilles rangées avec soin et recouvertes d'une écriture manuscrite. Il reconnut l'écriture de son père, mais elle semblait plus affirmée que celle du testament.
Que contenaient ces feuilles ? Une histoire écrite par son père ? Des mémoires adressées à lui ? Même s'il ne comprenait pas pourquoi son père lui avait légué cela, il était de plus en plus curieux d'en connaître le contenu.
Après avoir bu une gorgée de thé, Max prit la première page et commença à se plonger dans sa lecture.