2078 (2/3)

Jeff Legrand (Djeff)

Suite de la novelisation de la scène d'ouverture de l'un de mes scénarios BD.

Ce matin là, Habi sort de chez elle vers sept heures dix du matin. Jolie fille de vingt-huit ans, elle porte un tailleur bleu qui met ses formes en valeurs, et flotte sur des talons de dix centimètres. Elle habite en-dehors de la ville, dans une zone pavillonnaire récente et aseptisée. Classe B, elle jouit d'une position confortable et d'un travail qui la passionne. C'est d'ailleurs grâce à lui qu'elle a pu obtenir son visa de changement de zone, sésame plus rare que le Graal des anciennes croyances.

— Oui maman, je pense pouvoir être là pour ton anniversaire, mais tu sais que ce genre de chose n'est jamais gagnée…

— Je sais ma chérie, lui répond sa mère, assise devant sa maison à contempler les paysages magnifiques de Dipayal au Népal.

— J'attends la réponse à ma demande de voyage pour visite familial. Avec l'appui du procureur cela devrait aller mais tu connais le système, s'il n'y a pas une maladie grave ou un décès, tu n'es pas prioritaire.

— Je suis une vieille bonne femme mais en pleine forme. Peut-être devrais-je débrancher les implants pour que ma santé se dégrade...

— Ne dis pas ça maman, je t'en prie. Je préfère te voir par écran interposé que de te perdre. Et avec de telle pensée, tu risques de recevoir la visite d'un psychologue de l'Union...

— Mais cela fait plus de quatre ans maintenant…

— Je sais maman, c'est dur pour moi aussi. Mais nous allons y arriver, crois-moi.

— Je te fais confiance ma fille, je sais que tu fais au mieux. Tu me manques, prends soin de toi.

— Toi aussi maman. Je te tiens au courant. Je t'embrasse fort.

Habi monte dans sa voiture et programme sa destination. Elle s'arrête pour récupérer deux personnes de son voisinage, obligation légale afin de pouvoir se déplacer en véhicule personnel. Elle aime ça, fait de nouvelles rencontres, tisse parfois des liens avec ceux qu'elle conduit le plus souvent. Elle avait même eu un flirt avec Etienne, jeune professeur de vingt sept ans. Elle préfère mille fois ça aux transports en commun, surtout qu'elle ne peut pas se payer l'express première classe. C'était une forme de liberté, bien que cloisonnée par de nombreuses restrictions nécessaires au bon fonctionnement de notre belle planète.

Aujourd'hui les compagnons de route ne sont pas très bavards, et le peu de conversation dont ils font preuve est d'une banalité soporifique. Une fois sa marchandise déposée, Habi prend la direction de son bureau. Elle se gare en face, sa place lui est réservée. Comme chaque matin en voyant ce groupe de sportif sur la plage, elle pense qu'elle devrait s'y remettre aussi. Elle descend de sa voiture et traverse la rue, calme à cette heure de la matinée. Les portes s'ouvrent devant elle, une voix lui souhaite la bienvenue et la prévient que son bilan médical hebdomadaire vient de lui être envoyé. Les puces de communication intégrées au niveau de la nuque sont une merveille de technologie, permettant d'être reconnu par votre voiture, votre maison ou n'importe quel lieu où vous vous trouvez. Cela permet à Habi d'entendre Ernest, le nom qu'elle a donné à cette voix qui l'accueille chaque matin. En montant dans l'ascenseur qui l'emmène au trente quatrième étage, elle sourit. Elle aime son travail et est heureuse d'avoir fait le choix de venir ici, malgré le sacrifice que cela représente pour ses proches. En pensant au procureur, elle pouffe de rire à l'idée d'un jour tomber sur lui en pyjama, ou pire. Il habite dans ce qui lui sert aussi de bureau, et c'est elle qui arrive la première.

Ernest l'accueille lorsque la porte du bureau s'ouvre devant elle : « Il est sept heures trente huit du matin, nous sommes le vingt huit mars 2078. Bienvenue au bureau Habi ». En entrant, elle sent une brise lui lécher le visage et n'entend pas un mot. Elle pose son sac sur son bureau et va fermer la baie vitrée, grande ouverte, pensant que son patron avait fait la fête la veille. « Michel ! Où êtes-vous ? Michel ? ». Ses appels restent sans réponse, mais cela ne l'inquiète pas plus que ça, il dort peut-être encore. Sa théorie sur la soirée d'hier semble se confirmer.

— Dory, nous avons un call avec le Docteur Jacob dans dix minutes, puis ensuite rappelle la réunion sur le rapport du Grand Conseil aux différents intervenants.

— C'est fait Habi. Autre chose ?

— Peux-tu me faire couler un café expresso s'il te plaît ?

— C'est en cours, il sera prêt à votre bureau dans une minute.

— Merci Dory.

Dory est l'intelligence artificielle robotisée qui sert d'assistante au bureau. Avec le temps, les gens se sont habitués à répondre à une voix qui ne leur parle qu'à eux seuls, provoquant au début des situations ubuesques. Mais Dory était devenue précieuse, à tel point que la politesse s'appliquait dorénavant à nos rapports avec ces serviteurs virtuels.

Habi prépare ses notes lorsque Dory la prévient que l'assistante du Docteur Jacob essaie de la joindre. « Passe-la moi en holo s'il te plaît, merci. »

— Comment allez-vous Habi ? Lui demande une femme, plus âgée, qui apparaît devant elle sous forme d'hologramme.

— Bien et vous même ?

— Très bien ! Je suis un peu en avance, mais le docteur a un rendez-vous qui s'est intercalé, nous souhaiterions donc, si c'est possible, commencer le bilan tout de suite.

— Et bien écoutez Bernadette, je vais être honnête avec vous, je ne l'ai pour l'instant pas trouvé. J'en suis dé…

Un bruit de fracas sourd tonne derrière elle. La première chose qu'elle voit est l'effroi dans les yeux de son interlocutrice. Elle n'a pas le temps de se retourner qu'elle est plaquée au sol avec violence.

— Police ! Ne bougez plus ou nous ferons usage de nos armes.

— Mais qu…

— Tais-toi et ne fais plus un mouvement, ce n'est pas l'heure de parler.

— Embarquez là et isolez l'appartement des contaminations extérieures.

Ils lui couvrent la tête et lui attachent les mains dans le dos. Habi ne dit plus rien, choquée face à cette interpellation violente dont elle ne comprend pas le mobile. Elle essaie une dernière fois d'appeler Michel, son patron, mais reçoit un coup dans le ventre. La douleur la tort alors que les deux policiers qui l'encadrent la trainent au sol. « Bonne journée Habi. Une anomalie circulatoire est détectée dans votre système sanguin, il serait bon de voir un médecin. Une liste de rendez-vous possible vient d'être téléchargée sur votre agenda. ». La voix d'Ernest lui fait comprendre qu'elle vient de sortir du bâtiment. Juste avant de s'évanouir, elle entend ces derniers mots : « OK commissaire, nous vous la ramenons. Elle n'a pas essayé de s'enfuir ou de résister. Toutes les traces seront bientôt effacées, la situation est sous contrôle. ».

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