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Jeff Legrand (Djeff)

Cette troisième partie n'est pas vraiment une novelisation, j'ai changé la trame de l'histoire originale pour conclure cette petite nouvelle.

— Elle revient à elle... Allez chercher le commissaire Klein... Balance-lui encore un milligramme de Propex...

Habi émerge avec difficulté. Elle a besoin de quelques minutes pour reprendre ses esprits et se souvenir des bribes dont elle dispose. Sa vue est troublée et elle n'aperçoit que des ombres autour d'elle.

— S... S'il vous plaît... Que... Que se passe-t-il ?

La seule réponse est la porte qui s'ouvre dans un bref sifflement.

— Mais dites-moi ce qu'il se passe ! Où suis-je ? Où est Michel ?

— Ma pauvre, tu es à des années lumières d'imaginer ce qui va te tomber dessus.

— Pardon ? Mais... Qui me parle ? Que me voulez-vous ? Pourquoi je ne vois rien ?

— Nous ne savons pas encore ce que nous allons faire de toi, alors nous t'avons injecté un brouilleur visuel. Mais tu sais, ce n'est pas ton principal problème.

— Qui êtes-vous ?

— Nous sommes les gentils.

— Pardon ?

— Habi Hane, vous avez été arrêtée pour le meurtre de Michel Becatis, procureur de l'Union.

Habi se fige. Michel est mort. Ils pensent qu'elle l'a tué. La nausée, la tête qui tourne. Elle vomit dans un spasme le contenu de son estomac.

— C'est... C'est impossible... Michel est mort ?

— Oui, écrasé sur le sol après une chute de trente-six étages.

— C'est horrible... Mais je n'ai rien fait, pourquoi vous...

— Mademoiselle Hane, ne vous fatiguez pas. La question n'est pas ce que vous avez fait ou non.

— Mais pourquoi suis-je là alors ? Consultez les ordinateurs de l'immeuble, les vidéos, ce n'est pas possible.

— Nous l'avons fait. Vous n'y êtes pour rien Habi. Mais vous allez payer.

Une nouvelle fois Habi se sent mal. Elle est perdue, paniquée.

— Je n'y comprends rien.

— Nous avons été victime d'une attaque du système de surveillance médicale. Nous ne savons pas encore de quoi il en retourne, mais la panne générée a interrompu le traitement du Procureur.

— Le traitement ? Michel était malade ?

— Oui. Cela faisait plus de dix ans qu'il était traité pour des symptômes dépressifs. Mais il n'a pas reçu ses soins depuis trois jours.

— Mais... En quoi cela me concerne-t-il ? Je ne l'ai même pas vu ce matin.

— Nous savons tout cela. Mais le bien-être de l'Union prévaut sur tout Mademoiselle Hane. Notre société est parfaite et apporte le bonheur à près de dix milliards d'humains, il ne peut y avoir de suicide, encore moins une faille dans notre système.

Habi retrouve peu à peu ses esprits alors que le commissaire Klein continue de lui expliquer pourquoi elle va servir de bouc-émissaire. Il parle de tout cela comme s'il classait un dossier, le tamponnant d'un gros « affaire classée ». Et tant pis si ce dossier est une femme allongée devant lui.

— Mademoiselle Hane, vous allez devoir prendre une décision.

— Laquelle ?

— Votre disparition.

— Pardon ?

— Nous pouvons vous proposer trois options. Une, vous mourrez. Deux, nous vous emprisonnons à vie sans droit de visite. Trois, nous vous créons une nouvelle vie, une nouvelle identité. Une nouvelle mémoire. Vous pourrez choisir vos souvenirs.

Habi est paralysée. La violence de ce qu'elle subit, alliée à la froideur administrative de ce commissaire, l'a font éclater en larmes.

— Je vous laisse un peu de temps pour réfléchir.

— Ce n'est pas la peine ! Que voulez-vous que je choisisse ? Je peux choisir le lieu de cette nouvelle vie ?

— Bien sûr que non. Vous serez reprogrammée. Habi Hane n'existera plus, vous n'en aurez aucun souvenir. Votre visage ainsi que votre voix seront modifiés. Je vous le répète, prenez le temps de la réflexion.

— Pourquoi ? Pourquoi moi, pourquoi cette violence sans procès...

— Je vous l'ai dit. Il n'y a pas eu de suicide depuis plus de dix ans, cela entretient les gens dans un état d'esprit positif et...

— Ce sont vos assistances médicales qui entretiennent la population dans un état d'esprit positif. Ce monde est factice et...

— Habi. Ne mélangez pas tout. Bien sûr, la perfection n'existe pas, mais on peut maitriser l'illusion de son existence. Aujourd'hui il n'y a plus de chômage, plus de maladie, plus de conflit. Tout cela nécessite une gymnastique qui vous dépasse.

— Qui me dépasse ?

Habi part dans un fou rire. Quand il lui parle des avantages de l'Union, elle voit l'interdiction des voyages personnels, la sanctuarisation de l'éducation, la liberté disparue du choix professionnel. Sa mort. Qui aurait pu dire que la liberté serait au prix de la justice. Cette justice qu'elle croyait servir auprès du procureur.

— Alors ?

— Finissons-en.

— Très bien. Adieu mademoiselle Hane.


« Union News – 29 Mars 2078

Fais divers.

Le procureur de l'Union Michel Becatis a été assassiné hier dans son bureau. L'acte violent a été perpétré par son assistante qui aurait mal vécu leur récente rupture. Elle aurait réussi à déconnecter ses nanoméds pour éviter d'alerter la système central de surveillance. Une enquête sur d'éventuels complices a été ouverte. La jeune femme, qui a reconnu les faits, a été exécutée hier en fin de journée. Il est à noter que ce meurtre est le premier dans l'Union depuis près de deux ans. Le journal présente ses sincères condoléances à la famille de la victime. »

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