21. Le testament de Rebecca

Les mois étaient passés très vite, les saisons se succédaient. Durant cette période, Lucas et moi avons tout fait pour rendre la vie de Rebecca aussi agréable que possible. Dès que nous avions du temps libre, nous allions chez elle pour l'aider dans ses tâches ménagères. Célia était souvent présente, et elle s'avéra être une personne vraiment sympathique avec qui nous nous entendions très bien.

Rebecca était heureuse d'avoir tout ce petit monde auprès d'elle, tout comme Max. On se faisait tous en sorte qu'il y ait une bonne ambiance où le but principal était de faire rire notre amie. C'était d'ailleurs comme cela que je m'étais retrouvé à imiter les chasseurs de fantômes de Ghost Buster avec l'aspirateur. Mon compagnon était plié de rire, et il n'avait pas manqué l'occasion de prendre une série de photos.

Max était agréable, il faisait tout pour se rendre utile, même si du haut de ses sept ans, il ne pouvait pas faire grand-chose. A part passer le balai ou aider Célia à faire le repas. C'était attendrissant de le voir ainsi se démener à ce point pour sa mère.

Quand l'été 87 arriva, nous nous sommes tous cotisés, avec Célia et nos mères, pour partir en vacances à San Francisco avec Rebecca et Max. C'était d'ailleurs à cette occasion que je pris l'avion pour la première fois de ma vie. Et autant dire que je n'en menais pas large, j'avais passé une grande partie du vol à vomir dans un sac en papier.

Malgré les inquiétudes que nous avions pour Rebecca durant le vol, nous avons pu arriver à bon port et passer de très bonnes vacances dans un petit bungalow que nous avions loué pour l'occasion ; il était près de la plage. On y passait toute nos journées en se baignant dans les eaux tièdes du Pacifique et en pique niquant sur le sable chaud. Max ne cachait pas sa joie, c'était la première fois qu'il voyait l'océan, même si le premier jour il fut un peu réticent à rentrer dans l'eau. Les vagues lui faisaient un peu peur.

Rebecca, quant à elle, ne pouvait pas profiter autant qu'elle le pouvait de l'océan. La maladie l'avait tellement affaiblie qu'elle avait commencé à se déplacer en fauteuil roulant. Alors la plupart du temps, elle était assise dans un transat protégé par un parasol. Parfois, Lucas et moi venions la chercher pour l'emmener au bord de l'eau où elle s'asseyait pour profiter des petites vagues.

Ce fut de bons moments, nous la voyions sourire et rire aux éclats avec Célia en nous regardant faire les clowns dans l'eau. Qu'est-ce que ça faisait du bien de voir son visage s'éclairer, comme si elle oubliait sa maladie durant ces quelques instants !

-« Je ne sais pas comment vous remercier pour tout ça, nous dit-elle un soir, alors que nous étions tous installés à l'extérieur du bungalow en train d'observer le ciel étoilé.

- Ne nous remercie pas, c'est normal, lui avait répondu mon compagnon

- C'est vraiment les meilleures vacances que j'ai passé de ma vie. Je suis si heureuse que Max puisse profiter de l'océan avec vous tous… même si j'aurais préféré que cela se déroule dans d'autres circonstances…

- On est contents que ça te plaise, Rebecca, même si ces vacances étaient surtout pour toi, avait dit Célia.

- Oui, ça nous fait plaisir de te voir heureuse », avais-je rajouté.

Rebecca avait baissé les yeux vers son fils endormi dans ses bras. Il était épuisé par cette journée de folie au bord de l'océan. Avec un sourire sincère aux lèvres, elle nous avait dit ces mots qui, encore aujourd'hui, me serrent le cœur à chaque fois que j'y pense.

-« Oui, je le suis… et je le serai encore longtemps grâce à vous. »

Rebecca nous quitta dans la nuit du 12 février 1987 vers trois heures du matin. Elle s'était éteinte paisiblement à l'hôpital, suite à un ultime malaise fait dans son appartement.

C'était l'hôpital qui nous avait appelés une heure plus tard pour nous annoncer le décès. Je n'oublierai jamais le regard de Lucas lorsque je m'étais présenté dans la chambre, le combiné de téléphone à la main. Il n'y avait pas eu de mots, seules les larmes de tristesse et de douleur avait fait leur apparition. J'avais pris mon compagnon dans mes bras et nous avions pleuré longtemps.

Nous étions préparés depuis des mois à cette fin inéluctable, mais cela n'avait pas empêché cette peine déchirante de nous envahir. Nous avions eu envie de hurler notre rage, notre tristesse à la face du monde. Nous avions même le sentiment que nous ne survivrions pas à cette perte immense. C'était en tout cas ce que nous avions ressenti à cet instant.

Mais nous devions nous relever. Le décès de Rebecca avait marqué le début de notre combat pour la garde de Max. Et notre parcours commença seulement trois jours après la mort de notre amie avec un appel téléphonique d'un notaire, un certain Mr Rick.

Il nous avait donné rendez-vous le jour même. Son cabinet était situé en plein centre ville de Seattle dans l'un des nombreux immeubles à étages que comptait la ville.

Nous ne savions pas à quoi nous attendre. Dans l'ascenseur qui nous amenait à l'étage du notaire, je vis que Lucas commençait à être nerveux ; il faisait toujours ces gestes avec ses mains en ne cessant de les tripoter.

La secrétaire nous demanda d'attendre dans la salle d'attente. Ces quelques minutes furent interminables pour nous, je ne pouvais pas rester assis sur ma chaise plus de deux minutes, avant de me lever et d'arpenter la pièce en ne cessant de regarder ma montre.

Enfin, le notaire fit son apparition. Il nous ouvrit la porte de son bureau et nous invita à y entrer. L'homme dégageait une aura très professionnelle.

-« Bonjour, je suis Théodore Rick, et vous devez être Messieurs Eric Smith et Lucas Eb, nous dit-il en guise d'introduction.

- Oui, répondis-je.

- Installez-vous, je vous en prie. »

Le bureau était d'une propreté irréprochable. Chaque chose était à sa place, comme il le fallait, et pourtant Dieu sait que j'en avais vu des bureaux bordéliques où s'empilaient les dossiers et feuilles volantes, dont le mien en premier ! Il était décoré d'une manière chic et moderne. Cela changeait des décors neutres, même si je dois avouer que je ne m'y sentais pas très bien. »

-« Tout d'abord, permettez-moi de vous présenter mes plus sincères condoléances pour le décès de votre amie, madame John's, dit-il.

- Merci, murmura Lucas.

- Si vous le voulez bien, je vais faire rapidement le point sur votre identité, histoire de voir si tout est en ordre. »

Il s'empara d'une feuille de papier qu'il sortit de la chemise posée devant lui, et s'enquit de nos identités, noms, prénoms, date de naissance, lieu de naissance, parents, etc…

J'avais l'impression de passer un interrogatoire, c'était étrange d'entendre un représentant de la justice vous poser toutes ces questions, comme s'il vous reprochait quelque chose.

-« Bien, maintenant que tout est en ordre concernant vos identités, nous pouvons passer au sujet principal de cet entretien. »

Il sortir une autre feuille de sa chemise, celle-là remplie d'une écriture que je crus reconnaître comme étant celle de notre défunte amie.

-« Elle a rédigé un testament ? demandai-je.

- Oui, et vous y êtes principalement mentionnés, répondit le notaire.

- Nous ? Pourquoi ? s'étonna Lucas.

- Laissez-moi vous le lire. »

Mr Rick s'éclaircit la gorge, avant d'entamer la lecture du testament.

-« Moi Rebecca John's consigne dans ce testament deux volontés. La première est de léguer l'argent qui me reste, à mon fils, et dont il pourra bénéficier à sa majorité. La deuxième est de confier mon enfant Max à messieurs Eric Smith et Lucas Eb en souhaitant qu'ils en deviennent les tuteurs légaux. »

Il leva les yeux et nous dévisagea. Lucas et moi étions ébahis en pensant la même chose : ce testament allait peut-être nous faciliter la tâche pour avoir la garde de Max.

-« Eh bien, comme je viens de vous l'indiquer à l'instant, madame John's a émis le souhait de faire de vous deux les nouveaux tuteurs légaux de son fils, nous dit-il, avant de continuer, hésitant : Mais il y a certains points que je veux éclaircir avec vous. Comme vous le savez, la garde d'un enfant n'est pas à prendre à la légère dans le milieu de la justice… Alors je souhaiterais connaître la raison qui fait que madame John's vous a choisis pour élever son fils.

- Nous étions ses meilleurs amis depuis le lycée, et bien avant pour moi, et c'est nous qui nous occupions de Max depuis qu'il était petit à cause du travail de sa mère, répondit Lucas.

- Je vois… mais pourquoi vous deux ? » Vous êtes en colocation ?

Je regardai mon compagnon avec appréhension, le moment était venu de donner le détail qui risquait de rendre cette procédure plus compliquée que prévue.

-« Non… nous sommes ensemble », dis-je doucement.

Le notaire nous dévisagea un instant, ne semblant pas comprendre ma réponse.

-« Ensemble ? C'est-à-dire ?

- Nous sommes en couple », répondis-je en prenant la main de Lucas afin que le message passe mieux.

Mr Rick parut très surpris. Il s'adossa sur sa chaise qui émit un petit grincement.

-« D'accord..., finit-il par dire, je dois avouer que c'est assez surprenant….je n'ai encore jamais eu de cas comme le votre.

- Monsieur, on l'aime comme s'il était notre fils, ce garçon… Sa mère ne voulait surtout pas qu'il soit placé au foyer ou en famille d'accueil, et elle désirait à tout prix que nous prenions Max sous notre aile après sa mort, expliqua Lucas.

- Je n'en doute pas, monsieur Eb, c'est ce qu'indique ce testament, mais ce n'est pas de mon ressort, c'est au juge pour enfants d'en décider, précisa-t-il.

- Qu'est-ce que vous allez faire ? demandai-je.

- Je vais envoyer le testament au juge et c'est lui qui va étudier la demande de votre défunte amie… Votre cas est vraiment unique, donc je ne vous cache pas que ce sera très compliqué, vu qu'il n'y a encore aucune loi pour ce genre de demande.

- Et Max dans tout ça ?

- Il sera dans un foyer pour enfants en attendant la décision de justice.

- Combien de temps ça va prendre ?

- Longtemps, je le crains. »

Il nous posa encore d'autres questions en rapport à notre situation, je dois bien avouer que je ne m'en souviens plus aujourd'hui. Puis il procéda aux règlements de succession, et nous laissa partir, non sans ajouter :

-« J'espère sincèrement que vous allez avoir gain de cause, en nous tendant la main.

- Merci monsieur », répondis-je.

Lorsque nous quittâmes l'immeuble dans un lourd silence, j'eus un étrange sentiment d'appréhension. J'étais certain que la teneur de ce testament allait bouleverser bien des esprits, et je n'étais pas au bout de mes peines.