21-Les Lettres(suite)Chapitre 20

loulourna

                 21 -Les lettres (suite) Chapitre 20

Couché sur le dos, les bras en croix, les jambes occupant toute la surface du lit, Frédéric, le sourire béat, ronflait doucement.

Les quelques minces rayons de soleil qui perçaient les volets clos, aidèrent Christine à se préparer silencieusement sans allumer l’électricité.

Il était plus de 10 heures. Elle referma doucement la porte derrière elle et dévala les deux étages et se précipita vers le métro.

Aussitôt rentrée rue de la Roquette, elle se dévêtit, pris une douche, se prépara un petit-déjeuner. Après quelques gorgées de café bien chaud, Christine se sentit d'attaque pour reprendre la lecture qu’elle avait abandonnée la veille.

Les lettres suivantes étaient sur le même ton que la première.

De l’amour, de la tendresse et entre les lignes, de la tristesse et de la mélancolie. La lettre du 10 février attira particulièrement son attention.

Beauvais, le 10 février 1916

Mon petit mari adoré,

 

J’ai enfin une bonne nouvelle à t’annoncer. Tiens-toi bien. Nous attendons un enfant. Le docteur m’a dit qu’il était prévu pour le mois de septembre.

Dans la famille, le branle-bas de combat est général. Lucienne et ma mère viennent me voir tous les jours et me saoulent plus qu’autre chose. Ma mère voudrait que je rentre à la maison afin de mieux me couver. Comme tu l’imagines, c’est la dernière chose au monde que je ferai. Je trouve un tas de prétextes pour dire non. Tu te rends compte, si je mettais au monde une fille qui ressemble à ma mère, ou un garçon qui ressemble à mon père. J’ai des frissons dans le dos rien que d’y penser. Je vois ta tête d’ici. Je t’entends me gronder, me dire que je devrais avoir honte de parler ainsi de mes parents. Lucienne m’a proposé d’aller vivre chez eux. Elle pense que ce n’est pas bon de rester seule, et que je pourrais les aider à la quincaillerie. Je n’ai pas encore dit oui, mais je vais donner mon accord pour une bonne raison. Tu ne devines pas ? Je vais occuper ton ancienne chambre, ainsi, en qualité de sorcière, le soir dans mon (ton)lit je saurai tout ce que tu penses.

Je ne comprends pas quand tu m’écris que tu ne reçois pas mes lettres, je t’écris tous les jours et parfois le matin et le soir. NE T’IMAGINE JAMAIS QUE JE PUISSE T’ABANDONNER.

Une triste et peut-être une bonne nouvelle à la fois. Laurent est revenu amputer du bras gauche. Chevaleresque, il a voulu reprendre sa parole. Juliette lui a bien fait comprendre que s’il rompait leurs fiançailles, ça irait très mal. Du coup, ils vont précipiter les choses. Ils vont se marier le mois prochain. Nous regrettons que tu ne puisses assister à la cérémonie. La banque lui a promis que dés qu’il irait bien il retrouverait sa place. En voyant le bonheur de Juliette, je me suis dit qu’après tout un bras c’est moins que de perdre la vie. Quel serait mon comportement si tu revenais avec un bras en moins ? De la joie ou de la tristesse...ou les deux à la fois. J’ai honte d’avoir ce genre de pensée, mais c’est plus fort que moi. Je t’aime, et je t’embrasse beaucoup, beaucoup, très fort, très fort.

Ta femme chérie. 

Céline

Christine replia soigneusement la lettre, la remise dans son enveloppe et s’absorba dans ses pensées. Après le départ d’Adrien, Céline attendait Julien, son oncle, qui devait naître en septembre. Donc, pensa-t-elle, Céline et Adrien se sont revu puisqu’Arlette devait naître environ 2 ans plus tard. Elle prit la première lettre dans le paquet d’Adrien lorsque la sonnerie du téléphone la fit sursauter. Ca ne pouvait être que Frédéric.

Christine décrocha le combiné.

---Allo !

---C’est Frédéric.

---Oui, je m’en doutais.

---Tu m’as laissé tomber ce matin.

---Tu dormais si bien.

---Il fallait que je récupère. Je ne comprendrai jamais pourquoi après l’amour, vous les femmes vous vous sentez parfaitement bien, alors qu’il nous faut le temps de recharger nos batteries.

---Merci pour <>.

Frédéric évita de s’engager sur ce terrain.---Je te vois quand ?

---Je te téléphonerai la semaine prochaine, j’ai beaucoup de choses à faire.

---Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de si important, profitons des vacances pour faire des trucs sympas...comme la nuit dernière.

---Il y a un temps pour les trucs sympa et un temps pour des trucs sérieux.

---Ce qui est sérieux pour toi, m’importe également.

---Non, je pense que tu es un grand égoïste et la seule chose qui t’intéresse en moi, ce sont les trucs sympas, comme tu dis.

---Tu veux dire que je ne pense qu’à ça?... tu dois avoir raison. Non, non je plaisante, tu sais que ce n’est pas vrai. Ce n’est pas de ma faute si tu m’attires sexuellement aussi. Il appuya sur le aussi.

Christine resta silencieuse.

---Allo ! allô ! Il y a quelqu’un.

--- Bon ! je dois te laisser, je te rappelle.

Après avoir raccroché,Christine décida d’aller chez sa grand-mère. Sur son chemin elle pensa que dans pas longtemps il faudra qu’elle aie une explication avec Frédéric. Si elle en doutait encore, les lettres de Céline lui avaient apporté une certitude ; elle n’aimait pas vraiment Frédèric, enfin, pas d’amour.

Ce n’est que le lendemain qu’elle reprit sa lecture. Les trois premières lettres d’Adrien semblaient avoir été écrites rapidement sur des bouts de papiers qui étaient surtout des billets doux qu’il terminait invariablement par, je n’ai pas encore reçu une seule de tes lettres.

Je t’embrasse avec tout mon amour. Adrien

De lettre en lettre, Christine suivait le parcourt de Céline et Adrien. Certaines étaient touchantes et leur naïveté émouvait Christine jusqu’aux larmes.

Dans une lettre du 15 février 1916, Adrien écrivait qu’il avait enfin reçu toutes les lettres d’un seul coup et qu’il les lisait dans l’ordre décroissant ; une ou deux lettres par jour, avec la photo de Céline posée devant lui. De toutes les façons, tu es toujours avec moi, écrivait-il. Quoi que je fasse, je t’ai devant les yeux, et rien au monde ne peu me distraire de cette vision. Une lettre de toi, mon amour et même la grisaille du front s’illumine. Sans toi, même un soleil éclatant me semble terne à un point que tu ne saurais imaginer.

Embrasses Lucienne et François pour moi, et tout mon respect à tes parents.

Tu es ma vie. Ton mari qui t’aime.

Adrien.

Beauvais, le 15 février 1916

Mon bel amour

Je viens seulement de recevoir ta lettre du 11 février. Ton silence me rendait folle.

Tu ne peux imaginer, ma joie de voir arriver le facteur. Pour faire durer mon plaisir, j’ai embrassé l’enveloppe pendant au moins 5 minutes avant de l’ouvrir. Tout va bien, notre bébé pousse normalement. Je fais très attention. Lucienne et François ne savent pas quoi faire pour me faire plaisir. Me faire venir habiter chez eux avec l’idée de leur donner un coup de main était un piège.  Un adorable piège.  Par les temps qui courent, les clients sont rares ; Ils n’avaient absolument pas besoin de moi. M’occuper à la quincaillerie m’aide à passer les journées sans toi et avec toi. 

J’ai trouvé une façon de t’avoir à mes côtés. Je te parle. M’ayant surpris dans la quincaillerie ( je te disait des mots d’amour), François a plaisanté ,--- Mais tu parles toute seule. Tu es sûr que tout va bien ? Surtout ne fais pas fuir les rares clients.

J’ai répondu que je n’étais pas folle et que toi et moi, nous avions une conversation personnelle entre amoureux. Souvent, particulièrement le soir dans mon lit, je mets la ma main sur mon ventre et je parle tout le temps de toi à Julien...ou Arlette afin qu’il ou elle connaisse son papa, qui j’espère va bientôt revenir.

Je t’aime pour toujours, ta Céline.

 

Dans une courte lettre du 10 septembre, Céline annonçait que le 8, elle avait donné naissance à un beau garçon prénommé Julien.

Christine trouva la réponse d’Adrien à naissance de son fils, dans une lettre du 15 septembre

Ma petite femme chérie

Si tu savais comme je suis fier d’avoir un fils.

J’aurais aimé être à Beauvais pour l’accouchement. Les événements militaires en ont malheureusement décidé autrement. Mais ce n’est que partie remise. Le capitaine Bertin m’a promis que j’aurais ma permission dès que le secteur sera plus calme. En attendant avec les copains, nous avons arrosé dignement la naissance de Julien.

Je t’embrasse de tout mon amour, toi qui es toujours présente.

Adrien

Christine prit en main la photo du groupe, et il lui semblait reconnaître les parents de Céline. L’autre couple du même âge devait être Lucienne et François. Elle pensait même mettre le nom de Juliette sur un des visages et le grand maigre à ses côtés devait être Laurent. Les autres, que des inconnus.

Tout à coup Christine se demanda comment Céline avait pu récupérer ses lettres envoyées à Adrien. Un autre mystère qu’elle finirait peut-être par résoudre.

Avant de retourner vers son triste destin, Adrien était revenu 2 semaines à Beauvais. L’une de ses dernières lettres en témoignait.

Le22 décembre1916

Ma petite chérie

Ces 2 semaines sont passées comme un enchantement. Lorsque je t’ai vu sur le quai de la gare, tenant Julien dans tes bras j’ai été surpris, surpris et fou de joie. Je ne comprenais pas comment tu pouvais connaître le jour de mon arrivée. Je t’avais simplement annoncé que je serai à Beauvais après le 1e décembre. Tu m’as bien eu lorsque tu m’as d’abord dit , qu’en rêve, tu m’avais vu à la date du 5, sur le quai de la gare de Beauvais. Comme je pense que tu es un peu sorcière, je t’ai cru. Puis en rigolant, tu m’as avoué, que depuis le 1e, tu venais tous les jours à l’heure du train. Je ne te remercierai, jamais assez pour le bonheur que tu me donnes. Ta présence est la preuve de l’existence de Dieu. Lorsque la guerre sera terminée, notre vie sera un enchantement de tous les instants. J’imagine même, qu’après beaucoup d’années de bonheur, auprès de nos enfants, petits enfants, nous seront deux petits vieux plein de souvenirs. Vieillir près de toi, c’est tout ce que je demande.

En rejoignant ma compagnie, j’ai appris de tristes nouvelles. Plusieurs de mes compagnons, des amis, sont morts ou gravement blessés. Ça fout un choc

Ton Adrien pour la vie.

Ainsi de lettre en lettre, Christine entrait dans l’intimité de ses arrières grands parents. Son cœur se serrait un peu plus après la lecture de chacune des lettres et la paralysait pour un moment. Elle reprenait ses esprits devant une tasse de thé en essayant de cerner la chronologie des amours de Céline et Adrien. Christine était fascinée par l’ultime lettre de Céline. Elle n’avait pas été ouverte, elle n’avait jamais été lue. Le timbre était oblitéré, ce courrier avait bien été envoyé, mais Adrien n’eut jamais l’occasion de la lire. Fallait-il l’ouvrir ou non ? Après une longue hésitation sa curiosité l’emporta. Elle prit un couteau et délicatement glissa la pointe dans un coin légèrement décollé.

Le 4 janvier 1917

Mon Adrien chéri

 

Je béni le ciel qui m’a permis de vivre pleinement chaque minute des 2 semaines merveilleuses passées ensemble. D’où vient cette idée absurde que l’éloignement rapproche. Tout n’est que vide et mes nuits sont longues quand tu n’es pas là.

J’ai imaginé, une nouvelle façon d’être avec toi. Je me remémore tous les instants, passés ensemble depuis notre rencontre. Je n’oublierai jamais la première fois que je t’ai vu. J’ai su tout de suite, que tu étais l’homme de ma vie. Heureusement que j’avais surpris la conversation de deux ouvrières de l’atelier. Par mon indiscrétion j’ai appris comment on reconnaissait l’homme qui t’était destiné. Tu te souviens ? Je te l’ai raconté. “” Si tu penses avoir rencontré l’homme de ta vie et qu’il te tourne le dos, regarde intensément sa nuque, s’il se retourne, tu peux être certaine que c’est le bon.” Ce fameux 13 juillet, jour de notre rencontre, c’est exactement ce que j’ai fait, et tu t’es retourné et lorsque tes yeux ont croisé les miens et su avec certitude que c’était toi. Parfois il m’arrive de revivre notre mariage et notre nuit de noce. Tu penses que je suis sans pudeur ? Non ! ne pense pas ça. Pour nous, ce mot n’existe pas. Toi et moi, nous ne faisons qu’un. Ce sont les seuls mots que je trouve pour te dire que tu es dans ma chair pour toujours et n’oublie surtout pas que je t’aime à la folie.

Ta femme et ta maîtresse pour l’éternité.

Céline

P.S. Je n’en suis pas encore certaine, mais je pense bien que dans 9 mois nous aurons un deuxième enfant.

Christine regarda les dates de ces deux dernières lettres. Celle d’Adrien, trois jours avant sa mort. La lettre de Céline écrite, alors qu’elle ne savait pas encore son mari allait mourir le 10 janvier 1917. Cette lettre d’un L’amour exacerbé par l’absence, cette passion inassouvie, ce désir impérieux et ardent que Céline lui dévoilait sans réserve, Adrien n’allait jamais la lire. Christine regrettait d’avoir ouvert cette enveloppe qui dévoilait ses propres lacunes. Elle savait qu’elle était incapable de donner une telle preuve d’amour. Christine relue une deuxième fois la lettre. Elle imagina Céline allant à la poste. Pensait-elle un instant à la mort possible d’Adrien ? Non, elle devait occulter cette éventualité. Et pourtant elle allait très vite apprendre par des voies officielles que sa vie venait de se figer. Céline pouvait-elle imaginer que sa dernière lettre serait lue par son arrière-petite-fille plus de 60 ans après l’avoir écrite. Non, bien sûr. Elle ne pouvait pas imaginer non plus que cette lecture allât changer la vie de Christine. À ce moment là, Christine elle-même n’en savait rien. De toucher d’aussi près, une partie de la vie de son aïeul, l’émouvait profondément. Elle comprenait parfaitement bien qu’après la disparition d’Adrien il n’y avait aucun futur pour Céline.

Christine avait l’impression de bien comprendre son arrière-grand-mère et pourtant n’entrevoyait pas une vie avec un amour aussi intense. Elle soupira. Il y avait en tout, une cinquantaine de lettres et les dernières n’étaient pas d’Adrien.

Intriguée, elle retira d’une l’enveloppe affranchie d’un timbre allemand, une feuille de mauvais papier, jaunie par le temps, datée du 22 octobre 1920, envoyer par un certain Franz Grunewald, et écrite dans un français approximatif.

Elle était adressée à Céline.

Christine eue du mal à traduire la lettre en un français correct. 

Berlin, le 22 octobre 1920

 

 

 

Madame

J’ai longtemps hésité avant de vous écrire. Pour tout vous dire, c’est ma femme, Lucia qui m’y a poussé. Je ne sais pas très bien par ou commencer et ce que je vais vous dire n’est pas chose facile. Le mieux c’est de vous raconter toute l’histoire.

Je fus mobilisé dès le début de la guerre entre nos deux pays. J’ai été de toutes les campagnes de France et comme vous pouvez vous en rendre compte, je m’en suis sorti. J’aimerais d’abord vous parler un peu de moi, avant d’en venir à l’essentiel. Je suis marié et j’ai un petit garçon de 5 ans, Julius. Je suis ingénieur dans une usine de produits chimiques et nous vivons à Berlin. Je ne suis pas un va-t-en-guerre et je n’avais aucune animosité contre les Français, bien au contraire, et pourtant pour le malheur de votre mari ...le vôtre et le mien, les événements du 10 janviers 1917 ont été déterminants pour nos destins. Mais pour bien comprendre, il faut vous dire, que depuis la fin 1914, nos deux armées étaient face à face, complètement immobilisées, alors nous nous sommes enterrés, nous nous sommes entourés de fil de fer barbelé, puis nous nous sommes regardés en chien de faïence. Parfois, des officiers imbéciles, nous donnaient l’ordre d’attaquer. Pour gagner une ou deux tranchées, à peine 100 mètres. souvent, reprises peu de temps après. Nous avancions sous le tir des mitrailleuses, obstacles quasi infranchissables. Parfois, nous arrivions à prendre à la baïonnette et à la grenade une ligne de tranchées. Parfois, nous n’arrivions à rien et devions rebrousser chemin dans les mêmes conditions qu’à l’aller et au prix de pertes effroyables, pour quelques arpents de terre stérile. Cette guerre entre deux pays civilisés était devenue des empoignades individuelles motivées par l’instinct de survie. C’était à celui qui tuerait l’autre, c’était à celui qui serait le plus rapide, qui aurait le plus de chance. Nous n’étions plus des hommes, nous étions revenu des fauves sanguinaires. Le 10 janvier , à l’aube, nous savions qu’une attaque était imminente. Depuis deux heures, l’artillerie française bombardait nos lignes. Puis, un grand silence. Nous étions prêts à subir l’assaut, mitrailleuses en batterie, debout dans nos tranchées, baïonnettes aux canons, nous attendions. Puis, ce fut l’attaque. Nous vîmes les Français progresser vers nous. Beaucoup d’hommes, tombèrent, fauchés par les balles tirées à jets continus par nos mitrailleurs. D’autres pris dans le piège des barbelés, ressemblaient à des pantins désarticulés. Une véritable hécatombe. La terre devenait écarlate, jonchée de morts, de blessés râlants et hurlants leur peur de mourir. Excusez-moi si je vous donne la vision infernale de la guerre des tranchées, je veux simplement vous faire comprendre l’enfer dans lequel votre mari, moi et les autres, de n’importe quel bord, nous évoluions. Nous étions tous égaux dans cet empire des morts. La plupart d’entre nous ne supportaient plus cette tuerie sans raison. Cette boucherie devenait insoutenable. J’étais dans la première tranchée et très peu d’hommes arrivèrent jusqu’à nous. Nous réussîmes à faire prisonnier un groupe de 9 Français. Ils étaient là mains en l’air, hagards, épuisés. Pour eux la guerre était finie. L’un des hommes, un caporal fit deux pas vers nous en mettant sa main à l’intérieur de sa vareuse. J’ai cru qu’il prenait une arme et d’un geste automatique, conditionné par deux ans de guerre, j’ai tiré. Il est mort sur le coup. Dans un dernier mouvement sa main tombe de sa veste et tient dans ses doigts crispés, un portefeuille.

Je me reproche encore aujourd’hui, cet homme, mort pour avoir voulu faire un geste de paix. Son attitude, son geste humain je l’ai vu comme une agression. Et pourtant nous parlions la même langue, nous étions semblables. J’ai pris le portefeuille et c’est ainsi que j’ai su son nom, Adrien Langier. Il y avait également une adresse à Beauvais, et une photo d’une jeune femme. Au dos était écrit “” A Adrien pour la vie””. Signée Céline. Je suppose que c’est vous. J’ai effectué toute la guerre, j’ai participé à beaucoup de batailles avec une seule idée ; sauver ma peau et rentrer chez moi retrouver ma femme et mon petit garçon. La mort de votre mari fut la goutte qui fit déborder le vase. Je suis resté plus d’un an dans un hôpital psychiatrique et je ne dors plus la nuit. Je ne cherche pas d’excuse, j’ai tué beaucoup d’hommes, mais Adrien, permettez que je l’appelle Adrien, je ne voulais pas sa mort. Nous voulions tous rentrer chez nous. Ah ! si seulement il n’avait pas bougé sa main.

Voilà, vous connaissez toute l’histoire. Je sais que vous ne me pardonnerez jamais. La seule chose que je peux faire pour vous, c’est de vous expédier le portefeuille d’Adrien ainsi que vos lettres, qu’il avait également sur lui.

 

Franz

 

La lecture finie, Christine, bouleversée avait besoin d’un remontant. Elle se leva et, ce n’était pas son habitude, mais elle sentait le besoin de prendre un remontant. Elle se versa un verre de whisky, prit deux glaçons dans le freezer, et retourna s’asseoir. Elle regardait les lettres sans les voir. Elle but lentement par petites gorgées, et la chaleur de l’alcool réchauffa son corps glacé par ces révélations. Ainsi elle avait raison de se méfier de “ Mort en héros “  Il n’y a pas de mort intelligente, mais une simple méprise déposséda Céline et Adrien de leur félicité. Tous les belligérants perdirent quelque chose. Tous coupables, tous victimes, n’y vainqueurs, ni vaincus. Elle imagina la réaction de Céline à la réception de cette lettre. Quel choc épouvantable de savoir qu’Adrien n’aurait pas dû mourir.

Sa grand-mère lui avait parlé de Lucia. Celle-ci était venue la voir à Paris. Elle se promit de lui poser des questions à son sujet et un des mystères était résolu, elle savait le pourquoi Céline avait récupérés ses propres lettres.

La dernière lettre venait de Paris : une dénommée Emilie Ledoyen l’avait envoyée le 20 février1918.

Ma petite Céline

 

Nous n’avons pas beaucoup communiqué cette dernière année. Que pouvions-nous nous dire ? La perte d’un être cher, nous laisse seul et ce ne sont pas les témoignages de sympathie qui y change quoi que ce soit. Après la disparition de Benoît, raison principale de mon départ de Beauvais, les deux dernières années de guerre et mon travail au Val de Grâce, m’ont permis pendant un temps de ne pas penser au passé. Lorsque tu es confronté à la peine d’une multitude de gens, avec le temps, la tienne passe au second plan et fini par s’atténuer. Tu ne peux imaginer ce qui se passe ici. Il faut avoir le cœur bien accroché. La nuit, quand je suis de garde dans l’aile des blessés atteints par le gaz moutarde, c’est intolérable. Ils arrivent par centaines dans tous les hôpitaux de la région parisienne. Les dégâts de ce gaz appelé également ypérite (Il paraît que c’est à Ypres qu’il fut utilisé pour la première fois) étaient horribles à voir. Il provoque des lésions cutanées qui n’arrivent pas à se cicatriser, brûle les poumons et les yeux. C’est vraiment pénible, de voir tous ces jeunes gens, les yeux couverts de pansements, t’attrapant par le bras, demandant timidement, inquiet, --- Mademoiselle, Je ne vais pas devenir aveugle ? Nous essayons de les soulager, autant que nous pouvons. Certaines d’entre nous n’en dorment plus.

Une histoire extraordinaire est la raison principale de ma lettre.

J’ai dans mon service, un soldat atteint d’une commotion cérébrale.

Ces parents, imprimeurs à Belleville, viennent le voir tous les jours. Il les avait bien sûr reconnus mais il n’arrivait pas leur parler. Ses lèvres remuaient, mais aucun son ne sortait. Alors il les avait regardés tour à tour et des larmes silencieuses avaient inondé son visage. Sa mère l’avait pris dans ses bras,---Nous allons te soigner mon petit Philémon, ne t’en fait pas tu va t’en sortir. Puis elle se retourna vers moi,--- Que lui est-il donc arrivé ? Il n’a aucune blessure apparente.

--- Non, Madame, il a subi un grave traumatisme, mais nous allons faire notre possible pour le remettre sur pied. Au début, il restait prostré, le regard dans le vide, mais deux mois plus il avait fait d’énormes progrès.

Dès que je rentrais dans sa chambre un pâle sourire illuminait les traits de son visage, et depuis peu de temps, il s’exprime, avec difficulté, mais on arrive à se comprendre. Parfois les efforts qu’il fait pour me parler, me font monter les larmes aux yeux, alors d’une main hésitante il me touche le visage et son regard suppliant me dit, --- je t’en prie ne pleure pas. Un lien s’est créé entre nous. Sa santé s’améliore de jour en jour. Le médecin m’a dit que cette avancée est surtout due à ma présence . De bribes en bribes, j’ai pu reconstituer les événements qui l’ont mis dans cet état.

Il m’a parlé des fraternisations entre soldats des deux côtés du front à l’occasion de Noël et des révoltes rapidement réprimées par l’Etat Major.

En 1917, beaucoup de soldats furent arrêtés pour mutinerie. Manuel Humbert (il veut qu’on l’appelle Manu, alors que son vrai prénom est Philémon) m’a dit que 300 d’entre eux eurent un jugement sommaire avant d’être fusillés. Puis, il me parla d’Oliver. Pourquoi ? Il m’avait demandé de quel coin j’étais. Lorsque je lui ai répondu Beauvais, il fondit en larmes et me serra le bras. D’une voix tremblante, il me raconta qu’Olivier Charpentier et trois autres types et lui-même furent désignés pour être fusillés pour l’exemple. Nous fûmes désarmés par le lieutenant Lavert, le plus sadique de la compagnie, mais Olivier qui depuis la mort de Benoît avait été de toutes les batailles, volontaire pour toutes les missions sorti un pistolet allemand d’on ne sait où, avança vers l’officier, et d’une voix calme il dit, ---Je vous donne trois secondes, si vous ne relâchez pas immédiatement Humbert, je vous fais sauter la cervelle.

--- Si vous faites un seul mouvement, mes hommes vont vous abattre comme un chien, assena Lavert, blême de rage.. 

Le regard d’Olivier en disait long sur ses intentions.---Peut-être, mais vous ne le saurez jamais et moi il y a longtemps que je suis un homme mort, alors décidez-vous vite, mon lieutenant.

Après un silence, l’officier donna l’ordre de laisser partir le soldat Humbert.

---J’ai votre parole ?

---Vous l’avez.

Quelques jours plus tard j’ai appris qu’Oliver a été fusillé. C’est alors que j’ai perdu la tête et je me suis précipité hors de la tranchée et couru vers les lignes allemandes, en criant des mots sans suite. Je voulais mourir. Les Allemands n’ont pas tiré. Je me suis accroché dans des barbelés, et fus ramené par deux infirmiers et rapatrié à l’arrière. Voilà toute l’histoire. Pas encore tout à fait. Humbert m’a demandé en mariage. Je n’ai pas encore donné ma réponse mais je pense que je vais dire oui.

Je t’embrasse. Emilie

Christine pleurait à chaudes larmes. Elle s’investissait totalement dans ce drame émouvant et revivait lettre après lettre, une tragédie vieille de 50 ans, à tel point qu’il lui semblait que c’était ses propres souvenirs qui resurgissaient de son passé. Elle commençait à se faire une idée sur cette vie balayée par l’Histoire, ne laissant que des êtres brisés et des vies détruites. Jérôme, Laurent, Olivier, Benoît, blessés ou tués. Cette hécatombe de proches disparaissant les uns après les autres, devait tourmenter Céline qui devait à juste raison, se sentir assaillie par un ennemi impalpable et implacable. Christine reprit la photo de groupe et tenta de mettre des noms sur ces visages souriants. Il lui semblait avoir repéré Olivier et Jérôme. Mais lequel était l’un et lequel était l’autre ? Aucun indice ne lui permettait de les différencier. Elle ne le saura jamais. Elle situa également un autre jeune couple. Probablement Émilie et Benoît. Là non plus elle ne pouvait pas avoir de certitude. Tous étaient souriants, tous pensaient avoir leur avenir tout tracé. Le sort et la bêtise humaine en avaient décidé autrement. À la pensée que tous les 11 novembres, on fêtait “”La victoire””, lui était insupportable.

Il n’y avait pas de victoire. Christine connaissait bien cette partie de l’histoire de France. Tous les dirigeants des pays d’Europe, ont joué au petit soldat, comme dans une cour d’école. Chacun se croyant plus malin que les autres.

Les Serbes protégés par la Russie, poussent les Austro-Hongrois à la guerre.

Les Allemands persuadés que l’Angleterre resterait en dehors du conflit ne pensaient faire qu’une seule bouchée de la France, poussèrent donc l’Autriche à être intransigeant avec les Serbes. Ajoutons le manque de souplesse des Français et des Anglais, envers l’Allemagne de peur de perdre leur prestige, leurs colonies. Les causes de cette guerre, seraient risibles, sans les millions de morts.

Et les peuples de tous bords, chauvins, revanchards, nationalistes, prêts à en découdre, ne furent pas plus innocents que les chefs d’états. il eut suffi que l’une de ces conditions ne soit pas remplie pour que cette guerre stupide, inutile, ruinant l’Europe pour de nombreuses années, n’eût pas lieu.

Mais non! tous tendus vers le même but, tous avaient le même objectif, s’autodétruire. Cette guerre sans véritable intérêt économique fut la première du genre. Tranchées, barbelés, armes mécaniques, armes chimiques. 9 millions d’hommes du futur de l’Europe sont morts. Le traité de Versailles, le 28 juin 1919, où l’Allemagne du reconnaître qu’elle était seule responsable du conflit et s’engager à des réparations financières. Les Anglais et les Français en véritables charognards se partagèrent le peu de colonies que possédaient les vaincus. Le quadrillage des Balkans, de l’Afrique et du Moyen Orient préparait des conflits majeurs dans le futur. Les clauses d’armistice insupportables pour l’Allemagne, annonçaient la deuxième guerre mondiale, 20 ans plus tard. Nous ne saurons jamais ce que serait aujourd’hui le monde sans le conflit de 1914-1918. Mais une chose est certaine, sans cette guerre dévastatrice la révolution russe n’aurait pas eu le même visage et probablement qu’Hitler n’aurait jamais pris le pouvoir. le monde serait-il meilleur... ou pire ? 

A Suivre...

Pour quelques chapitres oublions Christine et Paris pour un retour en arrière.1934 en Allemagne

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