21 novembre 1543

blanzat

Une autre vieille contrib' à un concours. Contrainte : le texte doit commencer par "En ce soir hivernal, de grandes festivités se déroulaient à la cour de François 1er, lorsque j'arrivai au château...

En ce soir hivernal, de grandes festivités se déroulaient à la cour de François 1er, lorsque j'arrivai au château de Fontainebleau. On avait dressé de grandes tentes qui faisaient face à une scène sur laquelle des artistes se succédaient. Les réjouissances étaient vives et sincères. Quelques jours plus tôt, le lieutenant général Du Bellay avait permis de faire reculer l'empereur devant les remparts de Landrecies et chacun espérait voir les souverains signer l'armistice.

Le capitaine La Châtre, baron de la Maisonfort et seigneur de Nançay, m'accueillit joyeusement au pavillon de la Porte Dorée où il prenait part à la fête. Sa carrure imposante et son rire tonitruant ne passaient pas inaperçus au milieu des convives bien mis.

« Lieutenant Breval ! Je suis heureux de vous revoir !

- Moi de même, capitaine La Châtre, bien que je sois surpris d'avoir été mandé si vite à la cour. Mon ordre de mission était trop bref : "vous êtes attendu au plus tôt auprès du Seigneur de Nançay qui vous informera de vos nouvelles fonctions."

- Oui, il est vrai que tout cela manque de précisions. Je dirais même erroné. Alors je serai bref à mon tour, mais précis et vrai : le roi a décidé de créer une troisième compagnie française des gardes du corps du roi, et vous êtes pressenti pour prendre son commandement en tant que capitaine de compagnie.

- Quel honneur, capitaine ! Pourtant je ne sais pas si je suis la personne la plus appropriée…

- Là, là… je comprends votre embarras. Il est vrai que votre carrière doit beaucoup à l'appui du duc de Montmorency, et le Connétable n'est pas tenu en grande estime aujourd'hui à la cour. Cependant, je n'oublie pas votre valeur militaire, je vous ai vu à l'œuvre sous mes ordres, et le commandement d'une compagnie, diantre ! Ce n'est pas de la politique, que je sache ! C'est une affaire de soldat !

- Je vous remercie, capitaine, pour votre confiance.

- Allons, la messe n'est pas dite, mon jeune ami. La missive que vous avez reçue n'était pas complète : nous attendons la venue du lieutenant Rosset, recommandé par la duchesse d'Etampes et qui prétend également à ce commandement. Vous serez présentés tous deux au roi ce soir. Mais venez, il doit être arrivé et nous attendre dans mes quartiers. »

Le capitaine La Châtre me conduisit à l'autre bout du domaine dans un corps de bâtiments réservé aux officiers. Dès notre arrivée, un individu repoussant se précipita vers le capitaine. Un examen plus attentif me permit de reconnaître un valet d'armes. Il semblait ne pas avoir quitté sa livrée depuis des années et c'est comme si le tissu lui collait à la peau. Sa silhouette n'en apparaissait que plus malingre, mais le plus saisissant était son visage, celui d'un homme encore jeune mais tout à fait déformé par une bouche en permanence ouverte et édentée, ce qui lui conférait une élocution de vieux gâteux.

Le capitaine lui demanda si le lieutenant Rosset était arrivé, et le valet, du nom de Braque, ânonna quelque chose qui voulait dire non.

« Eh bien allez voir à l'entrée du château ! Et envoyez-le moi au plus vite ! Qu'il n'aille pas ripailler avant que nous ayons réglé notre affaire… 

- Capitaine, dit Braque avec difficulté, je dois attendre un paquet pour le roi…

- Quoi ? S'exclama le capitaine La Châtre avec impatience. Ah oui ! J'avais oublié cette histoire de cadeau. Trouvez-moi quelqu'un pour se charger de me trouver le lieutenant Rosset, et laissez-nous ! »

Braque s'en alla d'un pas mal assuré et nous laissa seuls dans le cabinet de campagne. Le capitaine était arrivé plus tôt dans la soirée et sa malle n'avait pas encore été déballée. Sans cérémonie, il extirpa de son bagage une bouteille de liqueur et remplit deux gobelets. Nous continuions d'échanger les dernières nouvelles quand un bruit inquiétant nous parvint de l'entrée du cabinet. Quelque chose comme un souffle suivi de bruissements et de crépitements. Nous nous précipitâmes aussitôt. Le capitaine appela son valet mais celui-ci n'était plus là et, derrière le pupitre où il devait se trouver, une grande trace noire obscurcissait le mur. Dans l'air subsistait une odeur de poudre.

« Où est ce bougre ? S'exclama le capitaine. Il a failli faire flamber la maison ! Ce n'est pourtant pas son genre de déserter… Et voilà sans doute le fameux paquet ! Il a dû aller chercher votre concurrent… »

Il tendit la main pour saisir un coffret en acajou posé sur le pupitre.

« N'y touchez pas ! » cria un homme qui surgit dans la petite pièce.

Il était à bout de souffle et se pliait de douleur. Sa tenue trahissait un long séjour à cheval et les marques d'un combat récent. Je reconnus néanmoins qu'il s'agissait d'un officier.

« Lieutenant Rosset ! Que vous est-il arrivé ? » demanda le capitaine La Châtre, mais il n'obtint pour toute réponse qu'un râle avant de voir le nouvel arrivant s'écrouler à ses pieds. Nous le transportâmes dans le cabinet où j'examinai ses blessures. Mes nombreuses campagnes m'avaient appris à aider au mieux ceux qui tombaient sous les coups. Le lieutenant avait des hématomes qui lui couvraient une bonne partie du corps, ainsi qu'une vilaine entaille qui lui ouvrait le flanc gauche. Je nettoyai donc la plaie et pratiquai un bandage de fortune avec le linge que me fournit le capitaine La Châtre.

« Le coffret ! Où est-il ? Qu'en avez-vous fait ? », cria t-il quand il reprit ses esprits. Il avait encore le souffle court mais tentait déjà de se lever. Il présentait une physionomie jeune et énergique, des traits harmonieux légèrement gâtés par une dentition de cheval et par l'angoisse qui l'étreignait.

- Ne bougez pas, ordonna le capitaine La Châtre. Personne n'a touché à votre coffret. Mais dites-nous ce qui vous est arrivé, bon sang !

- Je suis pitoyable, dit le moribond entre deux halètements, je crois que je ne pourrai pas me présenter au roi dans cet état…

- Qu'importe ! Expliquez-vous lieutenant !

- J'implore votre pardon mais… je suis à bout de forces, et pour tout vous dire je dois commencer par le début, n'est-ce pas ? Je suis parti à cheval de la garnison de Dreux hier à l'aube. Je me trouvai au milieu de la forêt… de Rambouillet quand je vis sur le bord du chemin un corps recroquevillé sur lui-même. C'était un pauvre diable qui semblait être là depuis plusieurs jours… là, à genoux devant un arbre brûlé… il serrait un sac de toile contre lui. Soudain le corps fut secoué d'un sanglot. Je vous l'avoue messieurs, je ne suis pas émotif… pourtant je sursautai. Ce n'était pas un cadavre, mais un homme en pleurs. Je ne sais pas depuis combien de temps… mais la vie n'allait pas tarder à le quitter. Je le secouai un peu pour savoir comment il s'était retrouvé là, et voici qu'il me montre le sac qu'il tient contre lui et me dit : "un homme me l'a confié pour le porter à la cour du roi, et il m'a dit de ne l'ouvrir sous aucun prétexte. Nous étions en route avec mon fils, nous avons fait halte ici et je suis allé chercher du bois pour nous réchauffer. Quand je suis revenu, j'ai vu mon fils au loin la tête plongée dans le sac. J'ai couru aussitôt et je l'ai appelé : Martial ! Martial n'ouvre pas le sac ! Mais il était trop tard." Puis l'homme se remet à pleurer. Je le rudoie quelque peu pour qu'il achève son histoire. "Il a brûlé !" me dit-il à travers ses larmes. Pourtant, il n'y a pas de corps à proximité de l'arbre roussi où je l'ai trouvé. Selon ce misérable, son fils s'est embrasé et a disparu dans les flammes, comme happé par l'enfer.

- Balivernes ! s'écria le capitaine La Châtre. On vous aura joué un sale tour, c'est certain !

- Si seulement vous étiez dans le vrai, dit le lieutenant d'une voix de plus en plus faible. Mais j'ai été témoin du phénomène, sur mon honneur. Le père orphelin de son fils ne lâchait pas son sac et refusait de quitter les lieux… Soudain il cesse de pleurer, me lance un regard droit et résolu, puis il plonge la main dans le sac et en retire le coffret, le même que celui qui vous a été amené. "Je n'avais plus que lui depuis la mort de sa mère" me dit-il, puis il ouvre la boîte. Messieurs… je le jure encore devant Dieu, ses yeux se sont arrondi et il a crié : "la salamandre !" et j'ai vu cet homme prendre feu, et disparaître en même temps que les flammes ! Mon cheval s'est enfui devant ce spectacle. J'ai mis une partie de la journée à le rattraper et à le calmer… »

Il se mit à trembler puis perdit connaissance. Je le ranimai avec des sels.

- Comment vous êtes-vous retrouvé dans cet état, lieutenant ? demandai-je.

- C'était… ce matin, répondit-il avec peine. Je n'étais qu'à quelques lieues du domaine de Fontainebleau. J'avais pris avec moi le coffret pour qu'il ne tombe pas en de mauvaises mains. Pourtant… j'ai failli et j'aimerais mourir sur l'heure pour ma faute, car j'ai été attaqué par des brigands… ils m'ont dérobé l'objet. Je me suis battu avec l'énergie du désespoir mais ils étaient trop nombreux. Ils finirent par me jeter bas et me rouer de coups. Ils me laissèrent plus mort que vif. C'est la raison pour laquelle je suis arrivé si tard. Et quand je vous ai vu, capitaine, mettre la main sur ce coffret maudit, que je croyais perdu, c'était comme assister à ma propre destruction !

- Là, là… », fit le capitaine La Châtre qui contemplait d'un œil songeur le coffret d'acajou posé devant lui.

Je remarquai une inscription gravée sur le couvercle.

« His ignibus exaltate, murmurai-je en lisant. Que ses feux vous élèvent ?

- Que ses lumières… ou ses yeux… vous ravissent, corrigea le lieutenant Rosset. Ecoutez, le message est clair. Il s'agit d'un cadeau adressé au roi…

- …dont le symbole est la salamandre, dis-je pour finir la phrase qu'il n'arrivait pas à achever, et la devise "Nutrisco et extinguo", je nourris le bon feu et j'éteins le mauvais.Cette inscription maudite dit l'inverse : c'est un feu mauvais qui fera périr notre bon roi

- Je ne sais pas d'où vient ce prodige, mais je sais ce que j'ai vu : l'action d'une salamandre aux yeux de feux qui vous consument. Vous-mêmes… capitaine… vous avez perdu votre domestique de façon semblable. On cherche à jeter le roi dans les flammes de l'enfer !

- De qui est ce présent ? » demandai-je au capitaine La Châtre.

Ce dernier resta silencieux un moment. Puis il s'éclaircit la gorge pour chasser son embarras.

« Ce paquet devait m'être déposé, il est vrai, et confié pour remise directe au roi… hum ! pour remise au roi de la part du duc de Montmorency… »

Mes deux compagnons se tournèrent vers moi. Je constituai en effet un coupable potentiel. D'une part, je bénéficiais de la recommandation du duc, alors en disgrâce auprès du roi et opposant du parti de la duchesse d'Etampes. Le duc pouvait être l'instigateur d'un complot dont j'eusse été l'exécutant. D'autre part, j'étais arrivé avant le lieutenant Rosset. Je pouvais donc avoir discrètement déposé le paquet pendant que le capitaine La Châtre donnait ses ordres à son valet et avant l'arrivée du lieutenant.

Ce dernier rompit le silence et demanda d'une voix rauque au capitaine La Châtre :

« Qui… qui vous a demandé de le réceptionner ?

- J'ai reçu un billet de Monsieur Carot, secrétaire du roi, mais j'avoue que je ne connais pas cet homme.

- Faites-lui porter le coffret, s'il vous plaît. Il faut éloigner cette diablerie de sa majesté et je sens que je vais défaillir si je reste à côté plus longtemps… »

Et le lieutenant s'évanouit de nouveau. Le capitaine fit venir un soldat en faction près d'ici et lui confia le coffret avec deux recommandations strictes : le porter à Monsieur Carot et ne l'ouvrir sous aucun prétexte. Le soldat eut un regard inquiet en apercevant le lieutenant Rosset inerte et porta la main à son épée. Le capitaine s'en rendit compte et prit les dispositions nécessaires pour qu'on soigne convenablement le blessé. Deux hommes vinrent l'emporter.

Il s'acquitta de toutes ces tâches sans se soucier de moi une seule seconde, et je sentis s'accroître un sentiment de suspicion à mon égard.

« Capitaine, dis-je quand il eut fini et que nous nous retrouvâmes seuls, je pense qu'il est temps d'envoyer votre messager chercher le coffret chez Monsieur Carot. Il n'y a pas à craindre de déranger ce brave homme puisque je suis certain qu'il n'y sera point et qu'on trouvera la trace d'un feu récent. »

Le capitaine La Châtre me dévisagea d'un air sombre. Je devançai la pensée de cet honnête homme et ne pus réprimer un sourire en lui disant : « vous pouvez appeler vos hommes, je dirai tout devant le roi à condition d'avoir le coffret et le lieutenant Rosset à disposition. Et Braque vous sera rendu, je le promets. »

Quelques minutes plus tard, nous nous trouvions en présence du roi, siégeant dans ses appartements. Sa garde personnelle s'était resserrée devant lui tandis que l'homme qui avait porté le coffret chez Monsieur Carot arrivait et confirmait mes dires.

« Votre majesté, dis-je sans préambule, je souhaite vous remettre un présent. Il est assez modeste mais il vous ravira… »

Le capitaine La Châtre voulut intervenir mais j'avais déjà saisi le coffret. Je l'ouvris ostensiblement et le refermai calmement. Comme rien ne se passait, le capitaine se retira et me laissa m'avancer. Le roi prit le coffret, l'ouvrit et sourit en découvrant une petite salamandre d'albâtre aux yeux de rubis.

« Je vous remercie, lieutenant, dit-il.

- Sire, je ne suis que le messager, vous pourrez remercier le lieutenant Rosset que voici. »

Je désignai le blessé gisant sur une civière. Il se redressa avec peine et nous présenta un visage livide où brillaient des yeux pleins de haine.

« Mais, je ne comprends pas, balbutia le capitaine La Châtre. Toutes ces disparitions, l'homme et son fils Martial dans la forêt, Monsieur Carot, et Braque, mon valet ! Je ne l'avais pas depuis longtemps à mon service mais tout de même… »

Je fis le récit au roi de notre début de soirée avant de répondre au capitaine.

« Ne vous inquiétez pour Braque, vous avez déjà fait beaucoup pour lui. »

Je m'approchai de la civière et tendis la main.

« Donnez-moi vos dents, je vous prie. »

Le lieutenant me lança un regard noir et retira son dentier. Sa physionomie changea tout à coup et ce fut Braque qui nous fit face.

« Tout est faux, sire. Le lieutenant Rosset est entré au service du capitaine La Châtre sous cet aspect repoussant qui est son vrai visage depuis qu'il a reçu un éclat pendant la campagne de Savoie. Il avait ainsi pu jouir d'une double identité : le valeureux soldat et le vilain valet, au gré d'un simple artifice et d'une grimace appuyée. Il lui était aisé de mettre en scène la disparition du valet aussitôt que nous étions entrés dans le cabinet, et faire apparaître le lieutenant, avec un peu de poudre et une allumette pour la mise en scène.

- Et Monsieur Carot ? relança le capitaine. Le soldat lui a bien remis le coffret, où est-il passé ?

- Monsieur Carot n'existe que dans les paroles du lieutenant Rosset et de son complice, ce soldat si opportunément apparu pour la commission suggérée par le lieutenant. J'ai surpris son regard inquiet et son geste involontaire sur son épée. Il y avait du sang frais sur la garde. Je suppose qu'il est l'auteur des blessures que le lieutenant lui a demandé de lui infliger.

- Mais pourquoi toute cette mascarade ? Un faux complot, des morts qui n'existent pas…

- Le lieutenant briguait ce nouveau commandement, cela ne fait aucun doute. Je pense aussi qu'il a été encouragé dans sa démarche à faire du tort au duc de Montmorency…

- Cela suffit, » dit le roi. Il était délicat de supposer que la duchesse d'Etampes, sa favorite, pût se compromettre dans de viles actions. C'était pourtant le fond de toute l'affaire : placer un fidèle serviteur près du roi et écarter définitivement le Connétable. Au reste, il n'était pas nécessaire de l'expliciter.

Le roi regarda encore un instant le coffret en acajou, son contenu et l'inscription qui rappelait sa devise. Sans doute lui rappela t-elle celle des gardes quand il me dit avec un grand sourire :

« Je vous félicite, capitaine Breval, vous faites honneur à la Maison Bleue, car on vous reconnaît, vous aussi, à vos actions d'éclat. »

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