2222

Etienne Bou

Année 2222, la terre compte désormais 18 milliards d'individus. Nos rêves de colonies se sont effacés lorsque nous avons perdu tous contacts avec les dernières familles de colons. La lune, Mars, Kepler.. Rien n'y fait, l'humain ne s'adapte pas. Les planètes ne nous veulent pas. Faute de quoi nous sommes restés ici. L'air est plus vivable depuis que,  dès la naissance, l'on nous a inséré des capsules ionisantes directement dans les sinus. Nos poumons sont désormais artificiels, nos yeux connectés, notre langue recouverte d'une pellicule plastique décontaminante et deux oreillettes nous permettent de réguler le taux de décibels automatiquement pour éviter toutes nuisances ( surtout celle des refroidisseurs de planète ). Oui car faute de trouver un autre monde, nous avons tenté de faire survivre le nôtre. Nous polluons toujours autant, mais quelques solutions permettent d'éliminer les ¾ des déchets, d'épurer l'eau, de refroidir le sol, nous avons même créé de grandes stations, sorte d'immenses parapluies, pour calfeutrer les trous de la couche d'ozone. On vit dans un monde raccommodé et accommodant.

Pour se soustraire aux risques de surpopulation ( qui est déjà accrue ), nous sommes désormais sous Sextex, un appareil intégré à la naissance dans notre cortex cérébral, liaisonné à notre hypothalamus, qui empêche toute fertilité, toute libido, toute pulsion. Cela aura eu pour effet de limiter bon nombre d'agression, de pulsions primaires.. Mais aussi de bonheur et de désirs..  Et puis ça a permis de réguler. Désormais la « caste d'humanisation » gère les populations en appliquant des quotas par tranche, par localisation, par nécessité. Le principe est simple, si vous trouvez une partenaire et que vous voulez élever un nouveau-né, vous faites la demande auprès de la caste. Ceux-ci vous appellent lorsque le besoin est nécessaire. Temps d'attente : entre 2 et 40 ans.

C'est ainsi que nous vivons, ou du moins que nous survivons. La mécanisation de l'ensemble a fait de nous de simples têtes pensantes, des réparateurs de machines. Tout domaine est désormais géré par les machines, de la petite boulangerie au grand supermarché, plus d'humains, que du boulon. Nous sommes devenus de simples consommateurs en errance. Les jeux sont notre seule attractivité.. Les voyages dans l'espace.. L'hybridation d'animaux « seulement pour s'amuser ». Les parcs d'attractions aériens, sous-terrain.. Tout y passe.. La terre est devenue une sorte de gigantesque Las Vegas, un terrain de jeux pour adulte, sans sexe, sans emploi, au final, sans vie..

Mais, toute histoire a son impair, sa faille, et ce 26 décembre 2222, une sage-femme, car oui, c'est encore un métier géré par l'humain, eu un moment d'égarement et oublia d'installer le Sextex sur un nouveau-né. Le petit Mathias allait devenir le premier humain non modifié que l'humanité n'avait connu depuis 150 ans. Partant de l'idée que celui-ci était porteur du Sextex, personne ne s'en inquiétait, mais le petit Mathias savait qu'il n'avait rien à voir avec ce monde. On le formatait et il en prit conscience très rapidement. Il se décida à jouer le jeu et secrètement il vivrait sa vie d'hédoniste, esthète, libre de vie. Ses premières pulsions apparurent vers l'âge de 15ans. Force est de constater qu'il ne lui faudrait que peu de temps pour se faire repérer, l'œil désireux et le cœur battant, il se construisit un monde où toute émotion serait retranscrite par la peinture. Des éclats de couleurs aux noirceurs des désirs, des aquarelles aux pastels, tout y passait.. Ses toiles s'accumulaient si vite qu'il ne sut que faire pour les dissimuler et ce fut lors d'une lecture sur les populations Inuit qu'il se décida à construire une sorte de grand igloo fait de métal, d'aluminium et d'étain, ayant ce pouvoir de repousser toute onde. Car il savait que les machines scrutaient, captaient, espionnait à l'aide de leur satellites, scanners et autres fourberies. A l'entrée il plaça un portail démagnétiseur pour être sûr qu'aucune machine ne s'introduirait à l'intérieur. Ce fut là sa plus belle idée. Il comprit enfin l'intérêt de ses cours de physique ( dès la maternelle, pour en faire des surdoués.. Au détriment des lettres et de l'histoire.. ).

Il passa plusieurs années à peindre ses tentations, ses envies, comme un exutoire à sa propre vie, à son monde qui ne suivait pas le même chemin, qui se parait de fausses ondes. Puis un jour, lors d'une visite au centre historique de sa ville, il fit la rencontre d'Elana. Petite fille brune aux yeux de chat, un grain de beauté au-dessus de la lèvre, un nez finement dessiné, quelques rousseurs sur le pourtour de ses joues.. Une divinité tombée dans la fourmilière des mortels. Son cœur ne fut ni une, ni deux, c'était elle et personne d'autre. L'excitation était telle qu'il ne put s'empêcher de lui parler. De longues heures durant.. Puis il réussit à la convaincre, malgré la frigidité de la belle, à le suivre dans son atelier-igloo pour lui présenter ses toiles et tenter de la sensibiliser aux émotions qui faisaient vibrer son âme.. La raison l'emporta, l'amour lui suivant le pas. La belle pénétra dans l'igloo et soudainement s'effondra, prise de douleur, compressant sa tête entre ses petits doigts et hurlant à la mort.. Mathias ne sut que faire, et lorsque la belle s'évanouit, il la prit et l'allongea sur le matelas au centre de la pièce.. Une journée s'écoula.. Puis.. La belle revint à elle, reprit ses esprits.. Mathias était à son chevet, caressant sa chevelure, glissant jusqu'à ses doigts de soie..  Il comprit très rapidement ce qui s'était passé lorsqu'elle ouvrit les yeux.. Une lueur nouvelle crépitait dans son iris.. Le magnétisme de la porte d'entrée avait dû griller le Sextex de la belle.. Dès lors, ils étaient les Adam et Eve d'une nouvelle génération. La nudité de leur esprit se transféra sur leur corps et en une seconde la folie passionnelle s'empara de leurs vêtements. Se déchirant l'âme et brisant les dogmes, ils accomplirent l'éternalité de l'union en une passion dévorante. Ils ne savaient que faire mais ils le faisaient, deux nouveau-nés dans le berceau de l'hydromel charnel.. De la toile au réel.. Comme un doigt levé pointant les étoiles et soufflant le voile.

C'était l'heure d'un nouveau monde. Ne laissant qu'une ouverture à ce théâtre de liberté, celle que votre imaginaire saura lui donner..

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