26. Une horrible nouvelle

Marie Weil

En 1995, Eric remarque que Lucas manifeste d'étrange symptôme. Après être tomber malade à l'hôpital, un médecin lui fait un prise de sang qui va révéler une horrible nouvelle pour la famille...

Cette année 1995 me fit brusquement descendre la pente que je gravissais depuis tant d'années. Tout allait très bien dans ma vie, même trop bien. Financièrement nous n'avions jamais été aussi bien ; Max travaillait bien à l'école ; aucun nuage à l'horizon.

Jusqu'à ce jour où Lucas rentra de sa journée de travail. Je remarquai quelque chose d'étrange chez lui, il s'agissait d'une tache sur son bras gauche qui avait l'apparence d'un hématome.

-« Qu'est-ce que tu t'es fait ? Tu t'es cogné ? » lui demandai-je en lui montrant la trace.

Il eut l'air surpris quand je lui montrai l'hématome, ou ce qui y ressemblait, et sans y prêter une réelle attention, il avait haussé les épaules en me disant qu'il s'était sûrement cogné sans y faire attention.

Suite à cet échange, nous n'en avions plus reparlé. J'avais chassé ce bleu étrange de mon esprit, me disant que je ne m'inquiétais pour rien. Pourtant, au fond de moi, un mauvais pressentiment avait germé, il me criait que ce n'était pas un simple bleu, cette trace était bien plus importante et dangereuse qu'elle ne le laissait croire.

Deux semaines passèrent sans que je repense à cette histoire, jusqu'à ce fameux mardi. Alors que je bossais sur un moteur récalcitrant, un collègue vint me chercher en me disant que l'hôpital où bossait Lucas avait appelé en me demandant de venir rapidement parce que mon compagnon était très malade et était dans l'incapacité de poursuivre son travail.

Naturellement je lâchai le moteur et me précipitai immédiatement vers le lieu de travail de Lucas tout en étant quelque peu surpris. J'avais déjà vu mon compagnon malade, affublé d'une fièvre de cheval, et tout de même assurer sa journée de labeur. Mais le fait qu'on m'appelle pour venir le chercher, n'était pas pour me rassurer.

Lorsque je parvins à l'hôpital, une de ses proches collègues, prénommée Sophie, vint à ma rencontre et me conduisit dans une salle d'examen commune. Je retrouvai mon compagnon allongé sur un brancard, une couverture remontée jusqu'aux épaules, et un seau à côté de lui. Il était très pâle et son corps était agité de tremblements inquiétants, comme s'il avait attrapé une mauvaise grippe.

-« Qu'est-ce qui t'arrive ? demandai-je, inquiet, en posant une main sur son front.

- Je sais pas, j'avais un peu de fièvre ce matin, alors j'ai pris un cachet pour la calmer, après ça allait mieux. Et tout à l'heure, alors que j'aidais Sophie à changer les bandages d'une patiente, d'un seul coup je me suis senti mal et j'ai directement foncé aux toilettes pour y vomir, me dit-il d'une voix faible.

- Il n'a pas arrêté depuis tout à l'heure, rajouta Sophie.

- Cela ressemble à une méchante gastro, dis-je pour me rassurer.

- Un médecin est venu m'examiner tout à l'heure, il m'a fait une prise de sang. »

Je me demandais pourquoi une prise de sang avait été pratiquée sur mon compagnon, à ma connaissance une gastro se guérissait par des cachets et une bonne alimentation, et la prise de sang n'était pas une nécessité. C'est à partir de là que je me dis que cela paraissait louche.

Puis je ramenai Lucas à l'appartement et je lui ai donné les médicaments pour faire baisser sa température. Il se coucha directement en ôtant ses habits d'infirmier et c'est là que je vis qu'il n'y avait pas que son bras qui portait un hématome. Son torse et son dos était également parsemés de taches. Autant dire que cette vision me glaça le sang.

Lucas resta couché durant trois jours. C'était la première fois que je le voyais aussi malade ; il n'arrêtait pas de vomir, surtout les deux premiers jours, et il lui était impossible d'avaler quoi que ce soit. Mais grâce aux médicaments qui lui avaient été prescrits, il refit surface au bout de quelques jours.

Une semaine après cet incident, notre médecin, le docteur Baker, nous appela pour nous communiquer les résultats de la prise de sang. Ce fut moi qui réceptionna l'appel, et encore aujourd'hui je me souviens très bien de la courte conversation que nous avions eu.

-« Écoutez, j'ai les résultats de la prise de sang de monsieur Eb, et je vais être franc avec vous : ils ne sont pas bons, m'avait-il dit d'une voix grave.

- Comment ça ? Il a quelque chose de grave ? avais-je demandé, plus inquiet que jamais.

- Oui… J'espère que vous êtes assis, monsieur Smith parce que ce que je vais vous annoncer va être très dur à encaisser… Les résultats de la prise de sang ont révélé que votre ami est atteint du virus VIH, et malheureusement, vu les récents symptômes, je crains qu'il ne soit passé au stade du sida.

- Le sida,… ? Docteur, ça veut dire quoi… ?

- Je suis vraiment désolé, Eric... il ne pourra pas s'en sortir… J'estime son espérance de vie à deux années maximum. »

Je ne fus pas en mesure de répondre. Le monde autour de moi venait de s'écrouler comme un château de cartes balayé par le vent. Je reposai lentement le combiné sur son socle, avant de m'asseoir sur le canapé, assommé par cette nouvelle.

J'attendis le retour de Lucas, seul sur ce canapé, un verre de whisky à la main. Les heures étaient passées sans que je ne m'en aperçoive. Je redoutais cet instant où mon compagnon rentrerait, où je devrais lui annoncer l'inéluctable.

La soirée était bien avancée, quand le cliquetis de la clé dans la serrure se fit entendre. Lucas entra et dit : «  Je suis là ! » en se débarrassant de ses affaires dans le vestibule. Je serrai le verre de whisky que je tenais en main afin d'essayer de contenir mes émotions.

-« Tu bois tout seul ? Tu aurais pu m'attendre ! » s'exclama-t-il en riant, avant de me déposer un baiser sur le front.

Puis il se dirigea dans la cuisine et se servit un thé, tout en me questionnant sur ma journée. Je ne pus lui répondre, trop absorbé par ce que j'avais à lui annoncer. Mon silence l'alerta et il me demanda :

-« Qu'est-ce qui t'arrive ? »

J'aurais voulu me lever et lui hurler que rien n'allait, que je venais d'apprendre que la personne que j'aimais le plus au monde allait mourir dans moins de deux ans à cause d'un foutu virus à la con ! Mais je ne pus que lui dire d'un ton lugubre :

-« Assieds-toi, faut que je te parle. »

Il prit place à côté de moi, pas très rassuré, tout en me regardant fixement. Je serrais tellement le verre de whisky que je crus un instant qu'il allait se briser. Une larme s'échappa soudainement de mes yeux.

-« Hé, ça ne va pas ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Quelque chose de grave est arrivée ? » demanda-t-il en me serrant la main.

Sans que j'eus le temps de réfléchir, les mots sortirent de ma bouche à la vitesse du son. Je lui relatais l'appel du docteur Baker et la terrible nouvelle qu'il m'avait annoncée. Je fus pris de sanglots incontrôlables lorsque le mot Sida s'échappa de ma bouche.

Naturellement, Lucas fut sous le choc de cette annonce. Ses larmes s'échappèrent de ses yeux, mais contrairement à moi il pleurait en silence. Je m'effondrai dans ses bras en sanglotant et hoquetant comme un enfant. Je sentais ses mains me caresser les cheveux comme maman avait l'habitude de le faire pour me réconforter.

Je me souviendrai toujours de ce qu'il me dit à cet instant là, c'était les mêmes mots qu'avait prononcés Rebecca lors de l'annonce de son cancer.

-« T'inquiète pas, mon cœur, ça va aller. Je vais survivre à ce truc comme j'ai survécu à toutes ces merdes qui me sont arrivées avant… »


Le lendemain, nous avons dû l'annoncer à Max, car ce jour là il était allé dormir chez un ami. Inutile de dire que la nouvelle l'avait bouleversé. Il a beaucoup pleuré dans nos bras, surtout dans ceux de Lucas, le premier touché par ce malheur. Nous avons dû lui expliquer ce qu'était cette maladie grâce aux connaissances de mon compagnon.

-« Maintenant que je suis passé au stade Sida, la maladie va attaquer mon système immunitaire et va donc m'affaiblir de plus en plus. Je serai alors très souvent malade, et il y aura des moments où mon corps ne pourra plus supporter toutes ces maladies à priori bénignes, et la suite vous la connaissez… », expliqua-t-il.

Au début, je n'avais pas réellement pris la mesure de ces mots, ce n'est que plus tard que j'allais voir à quel point la maladie allait le faire souffrir.

Nous sommes ensuite allés voir le docteur Baker pour qu'il nous donne davantage d'informations sur la maladie et sur le traitement à suivre. Pendant ses explications, il me fit une prise de sang afin de voir si je n'étais pas atteint du même mal que Lucas, et j'en profitai pour lui poser cette question qui me torturait depuis l'annonce de la maladie.

-« Comment est-ce qu'il a pu attraper ce virus, docteur ? »

Il me regarda d'un air désolé, mais heureusement le docteur Baker était quelqu'un à l'esprit ouvert. Je le connaissais depuis ma toute première jeunesse, il avait été le médecin de ma mère. Je lui avais confié il y a bien des années l'amour que je portais pour Lucas et il m'avait écouté sans me juger.

-« Le Sida peut se transférer par le sang, voies veineuse ou fluide sexuelles, m'expliqua-t-il. Peut-être avez-vous eu un rapport non protégé ?

- C'est impossible, à chacun de nos rapports nous avions toujours un préservatif, lui dis-je.

- C'est vrai, à force d'être dans le domaine médical, on en apprend beaucoup sur les ravages des MST », compléta Lucas.

Depuis qu'il était infirmier, Lucas avait toujours tenu à ce que nos rapports sexuels soient protégés. Les premières années, il avait été traumatisé par les ravages commis par certaines MST, et depuis nous avions toujours utilisé des préservatifs.

Je m'étais toujours demander comment mon compagnon avait pu attraper ce virus. En y repensant bien après la mort de celui ci je m'étais souvenu qu'il avait dû avoir une poche de sang suite à un accident de voiture quelque années auparavant. Il a sûrement dû être contaminer à ce moment.







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