3-Jenny ou l'Impensable Réchauffement
Christian
Ralph de retour à l'Université se demande si une météorite n'est pas venue le percuter de plein fouet, tellement il est dévasté par ce drame.
En fait il ne sait rien ou presque de Jenny. Où habite-t-elle, a-t-elle a de la famille ?
Ralph fait un détour par le bâtiment administratif, il est bien obligé d'informer l'administration de la situation, lui qui vient de reconnaître le corps d'une étudiante inscrite pour une Thèse à Dublin.
Il n'est pas un inconnu dans cette grande maison, c'est même quelque part une star du climat en Irlande. Chaque fois qu'un média évoque le sujet, il est invariablement questionné. Si certains professeurs ne sont connus que par leur matricule, ce n'est pas son cas.
Dès qu'il a franchi le bureau de Miss Stanley, la directrice administrative.
— Hey Ralph comment vas-tu ? Mais tu fais une drôle de tête ! Tu es malade ?
— Non, mais je crois que je vais le devenir ! Je reviens de l'hôpital, la police m'a demandé de venir reconnaître le corps d'une mes étudiantes thésardes décédée cette nuit d'une mort violente.
— Hé merde ! Je comprends mieux, tu es blanc comme un linge ! Reste là je te fais un café.
— Merci, Jane, je crois que je ne pourrai plus avaler un café de ma vie, j'ai appris sa mort en préparant le café ! Sert moi un verre d'eau, j'ai la gorge sèche.
— Et comment elle s'appelle cette étudiante.
— S'appelait : Jenny Stoe, elle s'appelait ! Mais c'est à peu près tout ce que je sais d'elle, comme elle est bien inscrite chez nous tu dois avoir des infos sur elle au minimum.
— Jenny Stoe, inscrite en thèse, chez nous je devrai retrouver bien sûr.
—Dans qu'elle discipline ?
— Sciences sociales !
— Mais ce n'est pas ton rayon !
— Oui mais elle avait des difficultés à trouver un directeur de thèse, elle était un peu loufoque, alors j'ai accepté.
— Je te reconnais bien là, Ralph au grand cœur.
— Peut-être mais respectueux de la liberté de chacun, à un tel point que je ne sais même pas où elle habite, ni d'où elle vient ! Ce qui m'intéressait c'était la validité de sa méthodologie de recherche.
— Jenny Stoe, elle m'a donné comme adresse à Dublin le 198 Haber Street c'est dans la banlieue est de la ville, chez Daisy Howard, elle devait être en coloc, certainement. Elle a été envoyé par une école supérieure de " pays des beattle" du sud de l'Angleterre. C'est tout ce que j'ai sur elle avec sa date et lieu de naissance de sa pièce d'identité.
— On n'a personne à prévenir, on demande cela parfois à ceux qui arrivent, en cas d'accident grave sur le campus ?
— Non je n'ai que les coordonnées de sa coloc, tu les veux ?
Ralph hésite, de toute façon la police fera le nécessaire et elle va certainement le recontacter également.
— Oui, je vais essayer l'avoir c'est peut-être moins brutal que d'apprendre son décès par les médias.
— Toujours le bon samaritain, tu ne changeras pas Ralph !
— On n'est pas responsable de notre naissance, mais de ce que l'on fait dans sa vie, c'est que j'essaie d'apprendre à mes étudiants.
— Si tu veux rester un moment ici avec moi c'est avec plaisir !
— Merci Jane, j'ai quand même un peu de travail à terminer pour le GIEC et cela m'évitera de trop y penser.
Reprenant la direction de son bureau, en enfouissant les mains dans ses poches à la recherche de ses clés, le bracelet USB vient se rappeler à son souvenir, il l'avait oublié dans la conversation avec Jane.
Arrivé au bureau son terminal est toujours allumé, avec sur l'écran un rappel de Deep Blue lui demandant si il souhaite effacer les fichiers du serveur comme prévu.
Avant de s'exécuter il se rappelle qu'il peut demander le rapatriement de ceux-ci, après tout ces données ne lui appartiennent pas et il n'a plus le feu vert de Jenny ! Il ordonne leur rapatriement et branche un disque dur de sauvegarde, puisque apparemment Jenny est repartie avec le sien. Il veut éviter que celles-ci ne transitent sur sa machine de bureau et sur le réseau de l'Université, il en effacera l'historique une fois le rapatriement effectué, sa démarche n'avait rien d'officiel inutile d'en laisser des traces.
Le bracelet de Jenny lui brûle désormais la peau au travers de son pantalon, il doit le faire disparaître au plus vite de toute façon ce soir son code sera obsolète. En partant ce soir il ira lui même jeter ses poubelles dans le compacteur de son bâtiment.
En attendant le retour du téléchargement des données du Serveur IBM, Ralph ouvre les résultats du traitement des données confiées à Deep Blue, ce qu'il aurait fait en présence de Jenny
Comme il s'y attendait de longues colonnes de chiffres et de nombreux tableaux viennent noircir l'écran.
Un traitement graphique lui semble plus approprié, il espère que Jenny l'a prévu dans sa présentation.
Bingo, ça fonctionne. Trois courbes s'affichent chacune d'une couleur différente.
En abscisse les dates et en coordonnées des nombres.
Pour chaque couleur une définition :
Rouge : observations officielles
Bleu : observations publiques et médiatiques
Vert : Observation ufologiques
Il s'aperçoit très vite que ces courbes génériques sont un agrégat des observations d'UFO mondiales, mais qu'elles peuvent être déclinées pays par pays sur la durée de 70 ans.
Le travail de présentation de Jenny est très détaillé. En effet, en grossissant un point de la courbe, on a pour une période précise, le nombre d'observations par couleur, avec de plus des précisions sur la nature des observations ( validées, enquêtées, médiatisées) et possibilité, bien sûr, de faire des tris sur ces critères.
Ralph décide d'afficher les USA, d'abord par ce que le terme UFO vient de là-bas, et il faut bien afficher un élément pour faire des comparaisons utiles.
Une première constatation d'ensemble lui saute aux yeux. Les trois courbes ont le même profil avec des représentations quantitatives très différentes certes, mais elles se suivent pratiquement à l'identique sur l'échelle temporelle.
Déjà cela démontre que le phénomène est indépendant des observateurs, la périodicité entant identique quelque soit la qualité des observations.
La méthodologie de Jenny était bien la bonne pour démontrer la réalité d'un phénomène indépendamment de ceux qui l'observent.
La courbe rouge, celle des observation officielles (Armée, police, trafic aérien..) démarre 10 ans avant les autres courbes, bien avant que le terme UFO ne soit utilisé. Ralph s'aperçoit d'ailleurs que Jenny a matérialisé, sur les courbes, le début d'utilisation du terme.
Encore un deuxième point positif accréditant la réalité incontestable d'un phénomène considéré jusqu'à aujourd'hui comme une manifestation relevant de croyances ou manipulations.
Ralph est troublé non seulement par ce qu'il vient de comprendre des travaux de Jenny, mais aussi parce qu'il a l'étrange impression que ces courbes lui parlent qu'il reconnaît leur profil, comme si il les avait déjà vu. Il sait que c'est impossible et met tout ça sur le compte du trouble émotionnel.
Il referme la présentation et ouvre le chapitre remerciement aux contributeurs, chapitre assez classique au début de chaque thèse.
Jenny bien sur remercie l'Université de Dublin d'avoir accueilli son projet, ainsi que son département (il est un peu désabusé de ne pas être nominativement cité)
Jenny cite ensuite tous les organismes publics et officiels, ainsi que les médias qui lui ont permis d'accéder à ses demandes d'informations.
Elle termine par un remerciement appuyé à John Stoe, président de l'association Scientifique et Ufologique de Londres, sans lequel elle ne serait pas lancée dans cette recherche.
Ralph se demande si ce John Stoe n'est pas un membre de sa famille, son père peut-être. Voilà peut-être une piste pour prévenir sa famille, il demandera à la coloc de Jenny
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Quid de Jenny
— Bonsoir, vous êtes bien Daisy Howard ?
— ça se pourrait, si je sais à qui j'ai à faire !
— Jenny Stoe était bien votre colocataire ?
— Pourquoi était ? Vous êtes au courant que je vais la mettre dehors ?
— D'abord qui êtes-vous ? Vous êtes de la Police ?
— Excusez-moi, vous avez raison je ne me suis pas présenté : Ralph je suis le directeur de thèse de Jenny à l'Université.
— Si vous la cherchez vous ne la trouverez plus ici, je viens de mettre toutes ces affaires sur le palier, à cause d'elle on a été cambriolé et on a tout mis sans dessus dessous chez moi
— Je ne la cherche pas, elle est morte, la police m'a convoqué ce matin pour reconnaître son corps.
— C'est quoi ce délire ! Jenny morte ! Elle prenait des putains de cuites à la bière, mais ça n'a jamais tué quelqu'un.
— Daisy pourrai-je passer vous voir ? On ne sait rien sur Jenny et il faut qu'on puisse prévenir ses proches, vous comprenez.
— Je ne sais que peu de choses sur Jenny, mais passez, je ferai un peu de ménage car c'est pas beau à voir chez nous, vous savez l'adresse si vous m'appelez.
— Merci je serai chez vous dans une heure au plus tard.
Ralph se demande bien si les urbanistes qui ont conçu les immeubles de banlieues n'étaient pas recrutés pour le concours du projet le plus laid. De l'Est à l'Ouest, du Nord au Sud de la planète, le concept est identique, des façades de béton lisse avec des meurtrières en guide de fenêtres, sans volets ni balcons, à 300 mètres de l'arrêt du bus le plus proche et à des km de toute zone commerciale.
La banlieue Est de Dublin n'échappe pas au modèle standard.
Après avoir trouvé l'immeuble, Ralph rappelle Daisy.
— Bonsoir je suis au pied de votre immeuble, vous pouvez me donner l'allée et l'étage svp.
— Ah oui j'ai oublié de vous dire que c'est un peu le ghetto ici, première allée, étage 4, n'attendez pas l'ascenseur il ne marche plus.
Arrivé devant une porte entrouverte
— Pardon c'est ici chez Daisy ?
— Oui entrez, j'ai essayé de redresser un peu le bordel après ce cambriolage, tout avait été sorti des placards, je le demande bien pourquoi, car a priori il ne manque rien, même mon ordi est resté, je l'ai trouvé allumé, peut-être ont-ils été dérangé.
— ça s'est passé vers qu'elle heure ?
— Je ne sais pas entre midi et le moment où vous m'avez appelé. Je venais de rentrer.
— Jenny était déjà morte, cela a du se passer tôt le matin, j'ai été prévenu à 9h par la police.
— Mais elle est morte de quoi, pas d'une cuite quand même ?
— Elle a été agressé et on a tenté de faire brûler son corps dans un terrain vague.
— Putain ! La planète est peuplée de malades, elle a du tomber sur des zonards au même look quelle et ont cru pouvoir en profiter, ça a peut-être dégénéré. Je lui ai souvent dit qu'elle devait faire gaffe et arrêter de traîner dans les bars.
— Pourquoi était-elle comme ça ? Vous avez une idée ? Jenny racontait plein de trucs complètement débiles et souvent avec un tel aplomb que je me demandais souvent si elle n'était pas réellement "barge"
— Quels trucs ?
— Qu'elle préparait une thèse sur les UFOS, qu'elle vengerait son père ?
— Pour la thèse je peux vous dire que c'est vrai et pour son père vous savez quelque chose ?
— D'après ce qu'elle m'a dit il est mort dans des conditions étranges, elle était encore ado, elle n'avait plus mère, elle est décédée à sa naissance, là aussi, d'après elle.
— Elle ne vous pas a parlé d'où elle venait ?
— J'ai compris qu'elle arrivait de Manchester, son oncle lui aurait payé des études, c'est à peu près tout ce que je sais.
— Vous dites que votre ordi était allumé, mais Jenny devait avoir du matériel informatique pour ses études.
— Oui mais je ne pense qu'il n'y a plus rien ici, de plus hier soir elle est passé en coup de vent récupérer son disque dur.
— Elle vous a dit quelque chose de particulier !
— Qu'elle devait rentrer se coucher car elle devrait se lever tôt le lendemain. Maintenant c'était Jenny ! Rentrée pas rentrée je m'inquiétais pas plus que ça pour elle.
— Vous auriez une idée où je pourrai contacter cet oncle.
— Aucune, je suis désolée ! Dites vous me préviendrez si il y a une cérémonie.
— J'essaierai merci quand même de m'avoir reçu.
En partant derrière la porte d'entrée, Ralph découvre une affiche avec une tête d'ET dans un cercle et un texte autour. Cercle des Ufologistes - Scientifiques du Royaume Uni.
— C'était à Jenny je suppose ?
— Vous pouvez prendre cette affiche si vous voulez, sinon ça va trop me rappeler Jenny et je vais la mettre à la poubelle.
Ralph plie l'affiche en quatre et la glisse dans son blouson.
Il est déjà tard en cette fin juin, mais le ciel reste encore bleu, la nuit sera tombée à son retour. Il lui tarde que cette journée s'achève. Il sait qu'il aura besoin d'un bon somnifère pour ne pas tomber dans de pires cauchemars que cette journée.