32. La depression d'Eric

Marie Weil

Après le départ de Max, Eric vit de plus en plus mal cette solitude au point de vouloir quitter ce monde. Sa mère Hélène décide alors de prendre une décision drastique pour son fils.

Ce fut à partir de là que ma solitude se renforça encore, me grignotant l'esprit petit à petit. Je n'arrêtais pas de pleurer, j'avais perdu la force de faire quoi que ce soit, jusqu'à délaisser mon travail. En revanche je faisais ce pourquoi j'avais frappé mon fils : je me bourrais la gueule tous les soirs en essayant d'oublier que j'avais détruit ma famille.

Je pensais réellement que tout ce qui était arrivé était de ma faute, et j'en étais rendu à un point où les pensées morbides commencèrent à germer dans mon esprit. J'avais l'impression que plus rien ne me retenait sur cette Terre. Je voulais mettre fin à mes jours.

Puis un soir, je passai à l'acte.

Cela faisait un mois que Max avait disparu sans laisser la moindre trace. Ce soir là, après une énième crise de larmes et une bouteille de whisky vidée, je me rendis dans la salle de bain pour prendre une plaquette de somnifères. Je me servais de ces somnifères lors de mes nombreuses insomnies, et il en restait encore la moitié de la plaquette.

La suite, je ne suis pas en mesure de la raconter. Après avoir ingurgité le reste des somnifères je perdis rapidement connaissance. La dernière impression que je ressentis, c'était de me trouver dans un lieu froid et sombre.

Le lendemain, je me réveillai à l'hôpital. Une personne était à mes côtés, et lorsque ma vue brouillée s'éclaircit un peu, je vis qu'il s'agissait de ma mère. Elle avait les yeux rouges d'avoir trop pleuré. Bien entendu, j'eus droit à une leçon de morale bien méritée de sa part, avant qu'elle ne me dise que c'était elle qui m'avait trouvé inconscient sur le sol de ma salle de bain. Je lui demandai ce qu'elle faisait à Seattle, et elle me répondit qu'elle s'inquiétait trop pour moi, parce que ça faisait plusieurs jours que je ne lui répondais plus au téléphone.

-« Eric, pourquoi tu as fait ça ? Qu'est-ce qui t'a pris de prendre ces cachets ? » me demanda-t-elle, les yeux à nouveau embués de larmes.

La question nécessita quelques secondes de réflexion. Puis je lui racontai ce qui s'était passé avec Max depuis la mort de Lucas et notre violente dispute qui avait abouti à sa fuite et à ma tentative d'en finir. La honte prédominait dans mon esprit, mais j'étais tout de même heureux de voir ma mère à mes côtés.

-« Je suis désolé, maman, j'ai tout détruit autour de moi, et maintenant je n'ai plus rien », lui dis-je en pleurant comme un enfant.

Elle me prit dans ses bras et tenta de me réconforter de sa voix douce.

-« Ça va aller, mon chéri, tout va bien se passer maintenant. Tu vas venir avec moi à la campagne et on va aller voir quelqu'un pour t'aider, d'accord ? »

Je lui répondis d'un hochement de tête en continuant à pleurer dans ses bras. Tout ce que je voulais à cet instant là, c'était d'évacuer tout ce que j'avais accumulé ces derniers mois.

J'étais resté deux jours à l'hôpital en observation, avant de pouvoir sortir. La première chose que je fis, fut de retourner à l'appartement pour faire mes valises. Ma mère avait raison, je devais quitter Seattle et la rejoindre à la campagne, afin d'essayer de remonter doucement la pente. Sinon j'avais toutes les chances de replonger.

J'emportais avec moi des vêtements et ma vieille boite à chaussures cabossée dans laquelle se trouvaient toutes les photos que j'avais accumulées au fil des années que j'avais passées avec Lucas et Max. Je laissai ensuite une note que je remis au gardien en lui demandant de la remettre au propriétaire de l'immeuble. Je postai un autre courrier destiné à un certain centre social dans lequel la police m'avait indiqué que se trouvait mon fils. Il y était dit qu'il pouvait venir chercher les affaires de Max. Enfin je me dirigeai vers la voiture de ma mère pour partir vers ma nouvelle vie.

Quitter Seattle était nouveau pour moi. J'y laissais toute ma vie, ainsi que mes plus beaux souvenirs. C'était très dur de devoir mettre une croix là-dessus, mais je n'avais pas d'autres choix. Si je voulais aller mieux, il fallait que je quitte cette ville.


La maison de campagne de ma mère était située à l'écart d'une petite ville appeler Carson River Valley , à quatre heure de Seattle, pas très loin de la Chaîne des Cascades. C'était très calme, et surtout très verdoyant, pas comme ces villes qui n'étaient recouvertes que de béton, et de plus les habitants étaient sympathique et amicaux.

La vie à la campagne me changeait complètement de ce que j'avais connu à la ville. Je n'étais pas réveillé par les bruits de voitures, de klaxons, mais seulement avec le chant des oiseaux et les vaches de la ferme voisine. Je prenais mon petit-déjeuner dans le jardin de ma mère où je pouvais profiter du calme ambiant.

Vivre avec ma mère changeait aussi beaucoup mes habitudes. J'étais plutôt content d'être avec elle, car je pouvais l'aider dans certains domaines, comme les courses, le ménage ou à l'entretien de son jardin. Ce changement dans mes habitudes me faisait le plus grand bien. Maman était aux petits soins avec moi. Elle me préparait toujours mon petit-déjeuner servi avec une assiette de pancakes tout chauds. La journée, elle tenait à ce que je me sociabilise avec les habitants de la petite ville voisine. A force de l'accompagner, je pus faire la connaissance d'Anita, gérante d'une petite épicerie et de Pablo, que tout le monde surnommait Picasso à cause du célèbre peintre français. C'était un homme vraiment sympathique qui tenait beaucoup à ses origines mexicaines et à sa famille, Donna son épouse et ses quatre enfants âgés de 10 à 24 ans.

Pablo aimait beaucoup ma mère, il la surnommait Mama Bella pour la taquiner. Il avait l'habitude de venir chez elle pour réparer quelque chose ou simplement lui donner des gâteaux mexicains qu'avait préparés sa femme. Quand il me rencontra la première fois, il sympathisa immédiatement avec moi en me disant que c'était un honneur de faire la connaissance du fils de Mama Bella.

J'appréciais vraiment Pablo, il dégageait une grande joie de vivre et revendiquait toujours ses origines mexicaines avec fierté et humour. Il me parlait beaucoup de son pays en me racontant ses traditions, comme le Jour des Morts où tout le monde se réunissait autour des tombes de leurs défunts proches pour leur faire des offrandes, et ils érigeaient aussi des autels où étaient posées les photos de chacun d'entre eux.

-« Dis, amigo, je ne t'ai jamais demandé pourquoi tu étais venu vivre chez Mama Bella alors que tu étais à Seattle ? » m'avait-il demandé un jour, alors que nous fumions une cigarette devant le coucher de soleil.

J'avais soupiré tristement en repensant à mon ancienne vie de famille qui me semblait bien loin. Je m'étais d'ailleurs demandé si Max allait bien et s'il avait trouvé une vie stable grâce au centre social.

-« J'en avais une avant, mais je l'ai malheureusement perdue du jour au lendemain », lui avais-je répondu.

Depuis que j'étais installé chez ma mère, j'allais voir une psychologue une fois par semaine. Il s'agissait du docteur Ayana Palmer, une femme d'une grande gentillesse qui était bien appréciée de ses patients. Elle dirigeait un groupe de soutien dans lequel je m'étais automatiquement inscrit. Il réunissait des personnes qui, comme moi, avaient vu leur vie basculer du jour au lendemain. Je ne cache pas qu'avant d'en faire partie, je voyais ces groupes comme une assemblée de gens demeurés psychologiquement où on les obligeait à exprimer leurs émissions par des exercices comme crier de toutes ses forces ou d'autres encore. En vérité j'étais plutôt loin de la réalité, car ce n'était nullement comme ça que ça fonctionnait.

La première fois que je m'étais rendu dans ce groupe de soutien, je m'étais demandé ce que je fichais là. Autour de moi, étaient assis sur des chaises disposées en cercle des personnes de tous âges qui avaient vécu des moments difficiles, comme des dépressions, des addictions, des séparations, qui avaient détruits leur vie. En les regardant, j'avais pu ressentir leur mal être qui les rongeaient depuis des années, ça m'avait plutôt rendu mal à l'aise.

Le docteur Palmer avait voulu que je me présente devant tout le monde, vu que j'étais le petit dernier de la bande. J'avais été gêné de devoir me livrer devant de parfaits inconnus, même si cela était censé m'aider à remonter la pente. Alors je m'étais prêté au jeu.

Le groupe de soutien m'avait particulièrement aidé à m'ouvrir aux autres. Je leur avais parlé des nombreuses années que j'avais passées auprès de Lucas, de l'adoption de Max suite à la mort de Rebecca et de la maladie qui avait emporté mon compagnon. Étrangement, alors que je m'étais attendu à être jugé négativement, je m'étais aperçu que certains pleuraient.

-« C'est normal que certains pleurent lorsque vous racontez votre vie, Eric, car pour certains ils se reconnaissent dans ces moments difficiles et tragiques, que vous avez eu à vivre. Mais je dois avouer que votre histoire ne me rend pas indifférente », m'avait expliqué le docteur Palmer.

Cela avait été plutôt surprenant de voir que mon histoire avait ému une psychologue qui en avait sans doute déjà vu des pires que la mienne.




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