32 semaines
Michael Ramalho
Allongé sur son lit d'hôpital, elle m'assure que je peux aller chercher un café. Elle passe sa main dans mes cheveux comme pour m'encourager à la laisser. Je fais mine de résister mais je cède assez vite. Je suis lâche. J'aimerais que tout se déroule sans moi. Je me force à ne pas prendre mon temps en me dirigeant vers la cafétéria. En chemin, je mets mes œillères. Je refuse le droit à ces gens d'être heureux, d'être là dans la joie pour accueillir leur enfant, juste à côté de nous. Je les envie trop pour les supporter. J'attends mon café en tournant ostensiblement le dos au kiosque à journaux. Ni repère ni témoignage. Je veux oublier ce jour. Je retourne à la chambre. Y règne une atmosphère glaciale. Rien ne s'est encore produit. Je suis déçu. J'enrage contre moi-même d'avoir eu cette pensée. Il vient bientôt. On m'ordonne d'aller enfiler une charlotte, des sur chaussures et une blouse. L'individu fait son apparition. L'insensible, engoncé dans une combinaison irradiant des températures négatives, ne laisse apparaître que deux yeux minuscules dissimulés derrière des lunettes aux verres épais. Sans un mot, il presse l'interrupteur. Ne persiste dans l'air que la brume blafarde de l'échographe. Une fleur aux pétales verts et bleus éclos tristement sur le clavier. La tourmente s'apprête à s'abattre sur nous. L'insensible tire un tabouret et s'approche d'un plateau sur lequel reposent ses instruments de torture. Elle me prend la main, la serre très fort. Casse-la mon amour ! N'hésite pas. Partage ta douleur. Les battements de cœur du bébé résonnent soudain dans la pièce. De la buée sort de ma bouche. Elle baisse la tête. Des stalactites salées touchent presque sa poitrine. L'insensible se penche vers elle et glisse l'instrument de mort sous le drap qui repose sur son ventre. Il presse le piston. Les battements de cœur ralentissent. Je sue du grésil. Elle laisse échapper un sanglot qui crève mes tympans. De sa main libre, l'insensible appuie sur un bouton du clavier. La fleur fane en même temps que les battements de cœur de notre bébé s'éteignent à jamais. L'insensible se lève et s'éloigne. Derrière lui des traces de pas sur un chemin de neige épaisse et gluante. C'est terminé.