37. Un discours touchant
Marie Weil
Quand Max déposa la dernière feuille dans la boite à chaussures, les larmes coulaient sur ses joues. Il se sentait vidé, mais surtout très con d'avoir cru, durant toutes ces années, que son père était un égoïste qui l'avait abandonné dans ce foyer. Tout ce qu'il voulait aujourd'hui, c'était de le serrer dans ses bras et lui dire à quel point il l'aimait.
C'est donc les larmes plein les yeux qu'il quitta le salon pour rejoindre sa chambre où Mary dormait déjà. Sans un bruit, il prit place à son bureau,, prit une feuille vierge et un stylo et, après avoir séché ses larmes, il commença à écrire frénétiquement. Cela lui prit une grande partie de la nuit.
Le lendemain matin, les yeux rougis par la fatigue, Max était en train de revêtir son costume cravate qu'il ne portait que pour les grandes occasions. De son côté, Mary préparait Rebecca qui était toute excitée à l'idée de voir grand-mère Anne et ses cousins.
-« Tu es prêt ? demanda Mary en se dirigeant vers lui.
- Oui… enfin je crois… répondit-il en soupirant.
- Tu vas y arriver, mon chéri… Après cela je suis certaine que tout ira mieux pour toi, dit-elle en lui caressant la joue pour le réconforter.
- Tu crois… ?
- Bien sûr. »
C'est donc le cœur lourd que Max se dirigea vers sa voiture. Durant le trajet pour l'enterrement, il remarqua que ses mains tremblaient un peu, sans doute à cause du stress que lui procurait cette cérémonie. Cela faisait tout de même plus de dix huit ans qu'il n'avait pas revu une grande partie de sa famille.
Lorsque la famille arriva devant l'église, beaucoup de gens furent surpris de les voir. Max reconnaissait une multitude de visages qui lui rappelaient son enfance et son adolescence, comme Alice et Martin qui étaient presque majeurs et, bien entendu, grand-mère Anne.
Lorsqu'elle vit son petit fils, elle se précipita vers lui et le serra dans ses bras, très heureuse qu'il soit finalement venu à l'enterrement.
-« Tu ne peux pas savoir combien ça me fait plaisir que tu sois venu… C'était très important pour moi et pour tout le monde que tu prennes cette décision, lui dit-elle, le sourire aux lèvres.
- Je sais, mamie, je suis content d'être là, avec vous pour papa », répondit-il en lui rendant son étreinte.
Puis tout ce petit monde se dirigea vers l'église et y pénétra sous le son des cloches. Les gens prirent place sur les bancs de l'église, accompagnés par le gospel triste que distillait la chorale.
Lorsque Max vit le cercueil qui trônai devant l'autel, son cœur se serra. L'homme qui l'avait en grande partie élevé se trouvait à présent dans cette boîte, et le jeune père de famille aurait tout donné pour le voir encore une dernière fois.
Lorsque la chorale se fit silencieuse, le prêtre prit la parole. Son discours était composé de chapitres de la Bible et, de temps en temps, il mentionnait les noms de Lucas, d'Hélène et de Max. Ce dernier fut surpris que lui-même soit mentionné.
Après la prise de parole du prêtre, il fut temps de laisser la parole aux proches et à la famille du défunt.
Son cousin passa en premier. Il fit un court discours dans lequel il se remémorait les bons moments qu'il avait passés avec Eric, en y ajoutant une petite touche d'humour qui ne manqua pas de décrocher quelques sourires et rires discrets. Ce fut ensuite au tour d'Anne qui remerciait infiniment d'avoir rendu heureux son fils Lucas, et en souhaitant que tout deux soient à nouveau réunis au Paradis.
Puis ce fut au tour de Max. Il se leva doucement et se dirigea vers le pupitre du prêtre d'un pas mal assuré. Les mains tremblantes, il sortit la feuille de papier sur laquelle il avait écrit son discours d'adieu. Il la posa à plat sur le pupitre.
Son regard se posa sur les personnes présentes dans l'église. Certains avaient les yeux larmoyants, tandis que d'autres semblaient curieux de savoir ce qu'il allait dire. Tous ces regards posés sur lui le rendaient mal à l'aise, alors, instinctivement, il chercha Mary. Cette dernière l'encouragea en lui souriant.
Après avoir pris une profonde inspiration et vérifié que le micro fonctionnait bien, Max se lança.
-« Alors… bonjour à tous et merci d'être venus ici pour mon père, ça l'aurait sans doute très touché de vous voir tous ici, rien que pour lui. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m'appelle Max John's et je suis le fils adoptif d'Eric qui m'a élevé avec son compagnon Lucas après la mort de ma mère… Je vais être franc avec vous, beaucoup de personnes présentes ici pensaient que je ne viendrais pas aux obsèques de mon père, et pourtant je suis venu… Je suis venu grâce à une vieille boîte à chaussures qui m'a ouvert les yeux sur ce qu'était sa vie avant ma naissance et après mon départ.
Mon père, par le biais de l'écriture, m'a raconté son histoire en me faisant découvrir tout le parcours qu'il avait dû traverser pour savoir qui il était vraiment, et aussi ce que ça faisait d'aimer quelqu'un à la folie, malgré tous les obstacles rencontrés sur son chemin, juste parce que l'être aimé était du même sexe que lui. J'ai compris la vie qu'il a menée avec Lucas et les épreuves que tout deux ont dû traverser, comme lorsqu'ils ont eu à faire face aux préjugés des autres lors de mon adoption, et quand mon père Lucas est tombé malade.
J'ai ensuite découvert la vie de solitude qu'il a vécu après le décès de celui ci et mon départ précipité, la dépression qui s'en est suivie. Ce fut cette partie là qui m'a fait le plus grand mal, car j'ai appris que mon père Eric, malgré son interdiction de me voir, prenait le risque de prendre sa voiture pour venir m'observer de loin et pour constater avec soulagement que je m'en sortais plutôt bien.
C'est là que j'ai compris que mon père m'aimait tellement, qu'il avait décidé de faire le sacrifice de se séparer de moi pour mon propre bien, et même si j'aurais voulu que les choses se déroulent autrement, je ne le remercierais jamais assez d'avoir pris cette décision difficile, et cela juste pour moi. Grâce à lui, j'ai pu rencontrer ma femme Mary et avoir eu ma fille Rebecca.
Alors ici, devant vous tous, je voudrais te dire à quel point je t'aime aussi... que je suis désolé d'être sorti de ta vie, te laissant seul, alors que tu avais besoin d'un pilier sur lequel t'appuyer et t'aider à faire face à la disparition de Lucas… J'aurais malheureusement attendu le jour de tes obsèques pour te dire à quel point je t'aime, papa, et j'espère que mes mots te parviendront là-bas où tu es à présent, avec maman et Lucas. »
Lorsque Max acheva son discours, les larmes mouillaient ses joues, et le reste de l'assemblée n'était pas en reste. En regardant Mary, il vit qu'elle souriait tout en écrasant une larme. Anne se leva et prit son petit fils dans ses bras sous le regard des personnes présentes.
En regagnant sa place, celui ci se sentit léger, le poids qu'il portait seul sur ses épaules depuis dix huit ans venait de s'envoler avec son discours. Malgré sa tristesse, il était heureux d'avoir pu enfin exprimer les émotions qu'ils enfouissaient depuis bien trop longtemps. La paix était en lui.