3ème épisode : chat(s) perché(s)

Lucie Ronzoni

Je devrais me taire. Je l'ai promis à l'ambassadeur des Etats-Unis en personne. Cependant, j'ai un accord tacite avec Coco le Clodo : je lui ai promis de retrouver l'abominable pendeur de chats, même si, jusqu'ici,  l'irréductible clochard communiste, reste introuvable.  Oui, chats avec un s. Car une semaine jour pour jour après Lénine, c'est Brejnev qui, langue pendante, yeux exorbités et corps roux ballotté au gré du vent, affola à nouveau la police fluviale avant de traumatiser définitivement l'ambassadeur. 

Mon dimanche matin fut donc une fois de plus perturbé, sauf que, averti que je suis, je pris la peine de prendre mon petit déjeuner avant de partir sur le Pont de Grenelle. Toujours flanqué d'Armand, je ne pus que constater le nouvel affront fait au capitalisme triomphant : la statue de la liberté servait de gibet à la race féline. Par pure courtoisie, j'appelai de Maximin alias le Duc, commissaire du XVIème arrondissement. A peine remis de sa grippe, il soupira bruyamment et me pria de détacher rapidement le corps avant que les habitants de la rive droite ne se réveillent. A quelques mois de la retraite, Lénine avait eu raison de sa fragile santé : il ne se déplacerait plus jamais sur les lieux d'un crime. L'avait-il d'ailleurs déjà fait  ?

Débarrassé du Duc, je devais désormais prévenir l'attaché d'Ambassade américaine. Je ne sais s'il avait reçu des instructions, mais c'est accompagné de l'ambassadeur en personne qu'il vint se recueillir sur la dépouille de Brejnev. Le diplomate était visiblement très embêté. Pour lui, il était clair qu'on était face à une nouvelle forme de menace terroriste : s'en prendre aux symboles pour déstabiliser les fondamentaux de l'Amérique. J'essayai de dédramatiser la chose : il s'agissait sans doute d'une blague de jeunes du quartier. Ou encore (j'improvisai très vite, ce qui est une de mes grandes spécialités), d'une opération d'assainissement de l'île aux Cygnes par un gang anti-chats errants. L'ambassadeur me regarda de travers et sceptique sur mes compétences, choisit de poster 24 heures sur 24 un ancien GI au pied de la statue. C'est là qu'il me fit promettre de ne pas ébruter l'affaire pour ne pas affoler les américains en visite à Paris. Je crois qu'il n'avait qu'une peur : qu'un touriste prenne la place du chat.   

N.B : Brejnev, c'est le nom que j'ai donné à ce pauvre chat roux. Car il fallait bien le baptiser avant de l'enterrer. Je ne suis pas du tout sûr de l'avoir déjà vu à côté de Coco. Peut-être n'était-il même pas copain avec Lénine ? Serais-je sur une fausse piste en l'appelant ainsi ?

Signaler ce texte