42,2km ! Un échec ? La morale de l’histoire…
Melvin Dia
Barcelona, me revoilà ! Pour ton marathon. “Ostia !”, que ce fut difficile ! Mais avant d'entrer plus en détails sur cette journée, il me faut comme dans les séries ou les films où le dénouement s'explique par les faits ayant pris corps précédemment, il me faut remonter le fil du temps, quarante-huit heures auparavant.
Vendredi soir, Bordeaux : je me rends à la soirée de gala de l'école. Je leur avais promis, mais en mode en “Cendrillon” prévoyant un Uber pour minuit. C'est au final en version “Very bad trip”, certes soft, tout de même je cours dimanche ! Mais un whisky-coca, cela ne se refuse pas ! Non ? Ni un havana club d'ailleurs ? Ni un verre Bordeaux… Je crois que c'est à peu près tout. Quarante-huit heures avant un marathon rentrer à plus de trois heures du matin, c'est léger. On ne vit qu'une fois ! Et cela leur faisait plaisir que l'équipe soit présente.
Malgré le lieu improbable, la soirée est très réussie, les filles très belles, les garçons élégants. Surtout, ils ont pour nous des mots, que je crois sincères, qui ne peuvent me laisser indifférent. Je suis ému, et touché par la reconnaissance du travail accompli en plus de six mois par notre nouvelle équipe. Aussi, je sens beaucoup de doutes, parfois de l'angoisse chez ces jeunes dans leur vingtaine face au grand chantier qui s'ouvre devant eux: leur vie. J'y reviendrai. Mais la soirée est belle, quelques danses, une tournée pour saluer celles et ceux qui ne reviendront pas, et cette fois je m'en vais avec les autres profs. 03h30 !
Une dernière précision avant de me jeter dans le coeur de cette course: on court avec tout ce que l'on est, son passé (les bobos, les handicaps que le corps a accumulés), son présent, les rencontres récentes, et le futur les promesses que portent ces rencontres.
Ce dimanche matin donc, Plaza Espana, peu après 08h30, sous la lumière du ciel de Barcelone dont je ne me lasserai jamais, pour la deuxième fois consécutive je m'élance parmi plus d'une dizaine de milliers de coureurs.
La course de ce dimanche ne ressemble en rien à celle de l'an dernier. Il y a douze mois, mon premier marathon, en (re)venant à Barcelone je courais entre autre pour boucler un cycle de six ans (2010-2016), tentant de mettre au clair l'expérience de mes années Barcelone. Aussi l'an passé, et ce fut capital pour la fin, sur les derniers kilomètres je fus accompagné de Tony que je rencontrai par hasard. Cette rencontre fortuite nous fut une aide précieuse, nous motivant l'un l'autre dans la dernière ligne droite, on sentait bien en avançant côte à côte qu'il était alors inconcevable d'arrêter si près du but.
Aujourd'hui je suis seul ! Oui bien seul. Et sur la Meridiana, ce long faux plat entre le 14ème et 21ème km, je sens l'effort qu'il va fournir pour franchir la ligne d'arrivée. Et il reste le double à parcourir...
A mesure que j'avance je note que le parcours a été quelque peu modifié, et l'émotion qui m'anime est différente cette année. Aujourd'hui, dans ma vie je n'ai jamais été aussi apaisé, et j'aimerais beaucoup faire “un temps”. J'étais plutôt bien parti. Je suis parti sans précipitation, gérant mes premiers kilomètres, pour bien me chauffer. Je suis un diesel. Mon capteur, m'indique sur les quinze premiers kilomètres une allure prometteuse, et mon coeur bat à une fréquence moyenne très honorable. Mais…
Mes mollets, l'un après l'autre comme s‘ils avaient croisés le regard de la Méduse deviennent à mesure que je courre durs comme la pierre. La secouriste qui m'appliquera de crème relaxante me dira même “esta muy duro, vas despacio (il est très dur, vas y doucement”). L'avenue Méridiana, puis la Diagonal qui fait elle aussi une boucle sont passées. Enfin ! Les trente “premiers” kilomètres. Il en reste un peu plus de douze.
Arrive ensuite le front de mer, trop court, et la boucherie est à bon plein. Certains épuisés, poursuivent à pied ou tout simplement abandonné. De mon côté, ça tire fort dans les mollets. Il me faut ralentir, dire définitivement adieu à mes objectifs et peut-être passer sous la barre infamante des 04h00. Je tiens vaille, que vaille. C'est dans la tête, c'est dans la tête… 31, 32, 33… J'approche.
Sur les derniers kilomètres, je décide d'ôter mes écouteurs, pour mieux m'imprégner des cris de la foule, je suis littéralement porté par ses encouragements, ces “Venga”, “Animo”, ”Queda poco, vamos”... Et la lumière du ciel Barcelone… Mais que c'est dur, et il faut me dire que c'est dans la tête pour oublier que mes mollets peuvent à tout moment me lâcher. Retour Plaza Espana, c'est fini ! Je suis épuisé, mort, les jambes qui tiennent à peine. Mission accomplie.
Alors échec cette course ? Oui au regard de l'objectifs que je m'étais fixé, des résultats de l'an dernier. Je visais mieux que les 03h48 autour de 03h30. Je finis à 03h56, certes en deçà de la barre symbolique des 04h00. Mais bon je suis allé jusqu'au bout, tout même. Pour moi je savais que j'irai jusqu'au bout, comment ? Je l'ignore, mais impossible d'abandonner. D'abord, il y a de l'orgueil chez votre auteur, ensuite je ne me voyais aucunement retourner au bureau, et écouter la mine alors tu auras participé. Aller au bout de ces 42,2 km reste le minimum syndical. En mode guerrier, et mobiliser ce croissant qui va de la tête, au coeur jusqu'aux tripes et même un peu plus bas. Savoir ralentir, gérer la course, y mettre le coeur, en trouvant l'inspiration dans celles et ceux à qui ont la dédier: l'an dernier à ma famille et mes amis très proches, pour leur montrer que je pouvais, cette année moi-même, et l'équipe et les jeunes de l'école.
J'ai l'explication à ma mésaventure, je crois, en fin de journée, croisant un ami qui travaille dans une boutique de sport: j'ai choisi des chaussures trop fines qui ont déporté tout le poids de mon corps sur des mollets insuffisamment préparés. Mais peu importe, car “at the end of the day”, cet échec, tout relatif, reste le mien. Je l'assume seul, les choix ont été les miens. C'est l'avantage du sport individuel, dans la victoire comme dans la “défaite” le résultat est limpide.
Mais après tout ce dénouement me convient plutôt bien, ou l'art de retomber sur ses pieds ! En cas de succès, j'aurais pavané, fait une photo, un selfie, les aurais publiés, cela m'aurait attiré bien des like, mais l'essentiel de cette journée serait tombé dans l'oubli de la masse d'infos des réseaux sociaux où une publication chasse l'autre.
Et le moraliste sans morale que je suis peut alors dresser quelques conclusions de ce passage éclair en capitale catalane. D'abord l'an prochain mieux me préparer. Et surtout au regard de la soirée de vendredi, et c'est là l'essentiel à mes yeux, c'est pour cela que je l'évoquais au début, je crois profondément que bien que de passage dans la vie de la plupart on reste connecté à toutes celles et ceux qui l'ont traversée. La morale donc ce dimanche, sous la lumière du ciel de Barcelone, si tant est qu'il y en ait vraiment une; du moins est-ce ce que j'aurais voulu mieux exprimer à mes petits jeunes vendredi soir : croire en soi, toujours ! Et ne laisser personne vous faire douter de votre capacité à aller jusqu'au bout.
Melvin
PS: il me faut remercier chaleureusement Florence, ma prof de yoga, dont le soutien dans la dernière ligne droite de ma préparation a été sans faille. Merci. Et bien sûr toutes celles et ceux qui m'ont apporté leurs encouragements.
Oui un marathon c'est avant tout un combat contre soi même, l'école de la vraie vie.
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