4ème épisode : Chat(s) Perché(s)

Lucie Ronzoni

Mes efforts avaient fini par payer. Grâce à mon réseau, je dénichai Coco au terminus de la station du RER A, là où Mickey et ses amis avaient construit leur pied à terre en France. Le clochard s'était fait plusieurs fois chasser du hall d'accueil du célèbre parc d'attraction par des Cast Members souriants mais fermes sur les principes. Il avait donc dû diminuer ses ambitions et, depuis, manifestait sa haine contre le capitalisme dans les plus modestes couloirs du RER. Je me doutais qu'après avoir souillé la statue pendant dix ans, il chercherait un autre symbole à polluer, mais je ne pensais pas qu'il quitterait Paris et m'obligerait à faire tant de kilomètres pour prendre cette indispensable déposition. 

Avant tout, je dois dire que c'est moi qui eus la pénible tâche d'annoncer la mort de Lénine à son maître. Ce moment douloureux, fort en émotion, apitoya quelques usagers qui se rapprochèrent de notre improbable groupe et nous jetèrent des pièces. Le temps que je brandisse ma carte de Police (ce qui eut un effet répulsif immédiat), nous étions riches de cinq euros en pièce de cinq et dix centimes. Je les ramassai une par une et payai un café à Coco pour réchauffer son cœur meurtri.  

Coco m'apprit avec nostalgie que Lénine avait son indépendance. Il ne passait jamais la nuit entière avec son maître. Ils se quittaient après la dernière ronde de la police fluviale. Coco avait donc vu pour la dernière fois son chat noir à deux heures du matin sans avoir rien remarqué d'anormal aux alentours.

Quand je l'interrogeai sur son départ précipité de l'île aux Cygnes, alors que nous formions avec Le duc et Armand un attroupement des plus inoffensifs au pied de la statue, il me répondit qu'il avait eu un mauvais pressentiment et qu'il avait préféré faire demi-tour. Les arbres avaient caché la corde et le corps pendu de son chat. Il n'avait donc pas compris la  vraie raison de notre venue et s'était alors décidé, le cœur léger, à prendre quinze jours de vacances à Disneyland.

Mais la révélation était ailleurs. Coco était formel : aucun chat roux sur l'île aux Cygnes.

Des roux, il n'en connaissait qu'un : celui de la vieille femme qui déposait régulièrement une main courante contre lui au commissariat du 15ème. Brejnev et Lénine étaient donc loin d'être copains (ils avaient même une fâcheuse tendance à se cracher dessus) et adieu ma théorie du gang anti-chat errant :  Nixon (changement de nom et de camps oblige)  n'errait jamais puisqu'il se faisait fièrement transporter dans un sac cabas par sa diablesse de maîtresse.

Il me restait la piste de la blague des jeunes du quartier. Mais comment avaient-ils pu enlever le chat de la vieille et quel sens profond avaient-ils voulu donner aux pendaisons de deux ennemis jurés ?

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