50 ou le train

agneaubleu

Tout mon barda (comme dirait ma mère ) est étalé devant moi, des magasines, un livre, des mots fléchés,une bouteille d'eau, des stylos, des crayons à papier, un carnet à idées,une pomme,un tube de rouge à lèvres, des gouttes pour les yeux, un inventaire à la Prévert dans lequel je n'arrive pas à retrouver ma clef de voiture. Je retourne mon sac de fond en comble sous le regard en coin des quelques passagers déjà installés, on dirait un spéléologue dans une grotte. J'en connais un à qui cela n'arriverait pas, mais voilà en garant ma voiture,je pensais déjà aux quelques heures de voyage en train qui m'attendaient et à tous les menus plaisirs que cela suppose comme boire mon café chéri au bar qui remue dans tous les sens, bouquiner jusqu'à plus soif en écoutant Elvis à fond avec mon MP3, ou grappiller des articles par ci par là avec la délectation de celle qui n'a aucune obligation et, plus que tout boire le paysage qui défile si vite, le toucher du bout des doigts au travers de la fenêtre teintée.

Bon posons nous et élaborons la politique du pire. Première hypothèse : la clef est restée sur le tableau de bord alors plusieurs sous-hypothèses se profilent ; Primo, elle y reste jusqu'à mon retour, opération neutre. Secundo, un voleur opportuniste part avec ma jolie petite auto alors assurance, quelques soucis d'organisation et au final - Pertes et profits. J'y survivrai ; Tertio, un bon samaritain ramène la clef au gardien du parking – Noter de penser à le demander. Dans les trois cas, tout va bien  !

Deuxième hypothèse, la clef est tombée sur le bitume. Soit elle est retrouvée par un grand romantique qui cherche à en savoir plus sur cette femme d'exception au porte clef rose bonbon en peluche, mais elle peut être ramassée par un dangereux psychopathe excité à l 'idée de découper en morceaux une femme capable d'avoir un porte-clef en peluche rose bonbon. Éventuellement elle a chu dans le caniveau et vogue vers les Amériques comme une bouteille à la mer, et un jour un GI valeureux m'écrira une missive qui me bouleversera et changera à jamais ma vie.

Alors pourquoi s'en faire  ? A part le psychopathe, toutes les options sont supportables, et puis objectivement le pourcentage de meurtrier qui se baladent dans les parking doit être, somme toute, infime. Ouf sauvée par mon imagination, mon sempiternel  c'est pas grave  est encore de bon aloi.

Autour de moi, les sièges se remplissent peu à peu et je vois bien que mes petites affaires étalées ne font l'unanimité  alors j'arrête là mes fouilles, de toutes les façons je ne vais pas descendre du train pour retrouver cette fichue clef. J'installe bien comme il faut mon matériel de voyage dans le filet, je cale ma petite bouteille dans la niche prévue à cet effet, je reconstitue en somme un petit monde qui me ressemble,un environnement où me lover,où me plaire pendant mon périple. Les autres voyageurs, comme moi, installent leurs petites affaires qui révèlent un peu de leur personnalité. Un maniaque du sudoku ou des mots croisés se taille des crayons de manière concentrée, une mamie parfaite étale des pelotes et a l'air de faire son choix de jolies couleurs acidulées, un jeune couple n'en finit pas de se dire au revoir, un homme dit d'affaire est déjà en pleine concentration devant son ordinateur,la place à mon coté demeure libre et me laissera un peu tranquille jusqu'au prochain arrêt,je peux m'étaler.

Mes parents se sont rencontrés dans un train, ce qui explique probablement mon attirance pour ce mode de transport. J'aime l'ambiance des gares malgré les saletés collées sur le bitume au fil des années, les voyageurs qui se croisent le nez en l'air, en quête de la moindre information qui curieusement est toujours perchée, ils se cognent les uns aux autres, stoppent net leur trajectoire pour vérifier encore une fois les informations notées sur leur billet, la gare est une antichambre où personne n'a honte de dormir affalé sur sa valise ou de manger accroupi au sol comme si ce lieu de transit ne faisait déjà plus partie de la civilisation occidentale où l'on s'assoit sur une chaise, les jambes posées de manière harmonieuse devant soi, où l'on mange avec distinction (les apparences de la distinction peut être) sans avoir la bouche ouverte comme un poussin affamé,

Les gares européennes ont un charme désuet qui nous transporte au temps de nos arrière-grand-mères malgré la juxtaposition de moyens techniques sensés améliorer le confort du voyageur. Ces arabesques de fers forgés, ces toits aériens et légers nous transportent au début du siècle dernier où voyager restait de l'ordre de l'exceptionnel. J'imagine sur les quais, ces femmes suivies de leur bonne qui porte les bagages les plus légers, transpirante et essoufflée,alors qu'un porteur pousse devant lui un chariot où s'empilent d'énormes malles. Immanquablement, je me place toujours du coté des nantis qui voyagent luxueusement, pas du pauvre paysan en troisième classe, cela serait bien moins bucolique ! D'ailleurs dans le film Titanic, le sort des malheureux voyageurs de fond de cales ne nous intéresse que moyennement ….

Perdue dans mes pensées je ne vois pas arriver une vieille dame qui me demande d'un ton sec  Madame, auriez vous l'obligeance de retirer vos affaires de ce siège, car il semble que cela soit ma place  

Oh pardon, excusez-moi, personne ne venait …., alors je pensais...., j'imaginais ….. 

Je rapatrie vite fait mes affaires dans mon grand sac et surgit alors mon porte clef rose bonbon. Un mal est toujours suivi d'un bien !

Pas de chance la grand-mère n'a pas l'air commode mais ma clé est retrouvée. Tutta bene !

Ma voisine est droite comme un i dans ses vêtements repassés de frais, la mise en plis au carré, un diamant énorme à la main gauche, tiens elles sont jolies ses mains, toutes petites avec une peau transparente, on dirait des colibris. Malgré sa petite taille, je sent en elle une détermination, une rigidité, une exemplarité incroyable, cela à dû filer droit et tourner rond dans sa vie !

Fi de balivernes, elle installe tout comme je l'ai fait une demi-heure plus tôt, ses petites affaires, compagnons de voyage, dans les filets prévus à cet effet, Le monde, la même petite bouteille d'eau que la mienne, un magazine à la couverture austère,crayon, gomme et un sachet rebondi rempli de  je ne sais quoi  . Je vois qu'elle transpire et qu'elle a dû se mettre en retard, ne pas trouver son quai, ou alors oublier son billet, elle a l'air irrité et en colère. Je me fais discrète évitant de croiser son regard.

Le train démarre doucement avec son flot de spectateurs émus ou souriants, j'ai toujours détesté les adieux au pied du train quand celui qui vous accompagne devient petit comme une épingle mais que vous savez encore que c'est lui ce petit point, qu'il ne vous voit plus depuis longtemps et qu'aussi bien il est en train de pleurer. Depuis des années je n'attends plus le départ de quelqu'un, je ne veux plus souffrir l'absence imminente d'une personne que j'aime, ce puits sans fond dans lequel je tombais lorsque adolescente j'accompagnais le petit copain du moment dont aujourd'hui je ne sais même plus le prénom, les larmes faisaient alors un rideau de malheur devant mes yeux, il me fallait quelques heures avant de me remettre de cette terrible disparition. Qu'il est doux de vieillir et d'avoir un tant soit peu de prise sur ses émotions même si Marco parle de moi comme d'une éponge à sensations. Un vieil homme élégant agite un mouchoir d'une blancheur immaculée sous ma fenêtre, il court et s'agite avec des efforts visibles sur son beau visage sculpté par le temps. Je me retourne et je vois ma voisine impassible mais concernée.

 Je le quitte  

Elle me dit cela comme si il était courant qu'une grand-mère divulgue à une inconnue une telle information. Ses yeux sont un peu humides cependant, elle tourne la tête vers l'allée centrale et ramène son gilet sur sa poitrine ornée d'un superbe camé du temps jadis.

Je ne crois pas qu'elle attende un commentaire, elle avait envie de le dire, pour exprimer à quelqu'un cet invraisemblable événement. Je trouve cela si touchant que je la prendrait bien dans mes bras tout comme le ferait cette femme prénommée Amma qui parcoure le monde pour embrasser les gens et leurs donner une énergie d'amour. Mais fait- on cela dans la vraie vie ? La vieille dame doit sentir mon embarras et se retourne vers moi.

 Ce n'est pas triste vous savez, soixante ans de vie de couple c'est quoi au regard de l'humanité ? Peanuts ! Je me sent libérée comme une jeune fille sortant du pensionnat, j'ai envie de bouger, de voir des choses seule, éminemment seule, surtout seule. Cela vous choque n'est-ce pas ? 

Je lui souris, c'est en somme la seule chose que je sois, à cet instant capable de faire.

Elle continue son monologue explicatif, peut-être seulement pour elle même

Je l'ai vraiment aimé vous savez, mais trop c'est trop, un coureur de jupons c'est tout ce qu'il est !  

Mon sourcil doit se soulever tout seul en signe d'étonnement car le vieux monsieur qui courait il y a quelques minutes à coté du train doit avoir près de 80 ans.

 Il n'y a pas d'âge, vous verrez, un coureur le sera toujours et il ne fait pas exception, malheureusement. Dieu sait combien j'ai été patiente, obligeante, jamais un mot sur le sujet et pourtant j'ai souffert vous savez. On a beau faire la fière parce qu'on est la plus belle du quartier savoir les bras de l'homme que vous aimez dans les cheveux de la voisine cela vous blesse, et plus la vie avançait et plus cela m'a fait mal, alors voilà maintenant c'est fini, il peut courir cela lui fera du bien à son petit cœur d'artichaut  

J'acquiesce discrètement car cela me renvoie quelque peu à ma propre histoire avec Marco même si je ne l'avais jamais envisagée sous cet angle.

 Voulez vous venir prendre un café ? Ou que je vous en ramène un ?

Ma solution à moi, une bonne tasse de café en tête à tête.

 Allez y …euh...   Bénédicte, je m'appelle Bénédicte  

Et bien Bénédicte, enchantée, je m'appelle Violaine.

Elle a l'air ravi tout d'un coup et ce bref échange me l'a rendue hyper sympathique. C'est amusant le contact humain, il y a 10 minutes, je me faisais un mini drame de mon voyage aux cotés d'une vieille bique mal aimable et maintenant je me réjouie de passer quelques heures aux cotés d'une grande romantique dont je brûle de connaître la vie. Y-aurait-il des êtres humains sans aucun intérêt ? J'en doute car l'expérience m'a appris à chercher dans les autres le petit supplément d'âme qui leur manque de prime abord et souvent je n'ai vraiment pas été déçue. Un jour j'ai même fait ami ami avec un sale type que je rencontrais au square de mon quartier et qui roumagais à longueur de journées à sa fenêtre parce que les enfants riaient trop forts dans le bac à sable, avec mes voisines de banc il a eu le droit à tous les qualificatifs vénéneux  pauvre tâche, minable, déchet   et autres gentillesses dont sont capables toutes les mamans pour défendre leurs rejetons adorés. Et bien un jour j'étais seule avec ma fille, lui penché à sa fenêtre il arrosait un minuscule pot de fleurs dans lequel germaient des haricots ou des lentilles, son appartement étant au rez-de-chaussée nous devions passer devant pour rejoindre le square et en longeant sa fenêtre je n'ai pu m'empêcher de montrer à ma fille de 3 ans les minuscules plantes, elle s'extasiait devant ce petit miracle de la nature en parlant de bébé plante, toute contente de voir cela de si près. Et bien contre toute attente, il lui a parlé doucement de la nature, des arbres, de la nourriture et de fil en aiguille, il a parlé de lui, de sa vie si solitaire, de ses enfants qu'il ne voyait plus et pendant des années nous nous sommes arrêtés en chemin pour rendre visite au vieux grincheux devenu ce si gentil Jérôme.

Je me dirige vers le bar roulant (j'adore ce mot), plusieurs personnes attendent en se tenant aux barres prévues à cet effet car cela tangue. Un employé en uniforme aubergine navigue dans un microscopique espace dont il a l'air de connaître chaque centimètre, il est professionnel, rapide comme le train dans lequel il travaille, et d'une politesse exemplaire mais est il encore humain ? Je m'approche de lui et lui commande mon kawa adoré, il me tend en moins de 10 secondes dans un affreux verre en carton recouvert d'une capuche en plastique pour éviter les renversement intempestifs je suppose.

 « Deux euros »   il prend   «  merci Madame » il tend la monnaie et passe au suivant sans un regard qui brille ou qui accroche un tant soit peu ce qui l'entoure. Pas un travail pour moi cela, je préfèrerai travailler à l'usine, au moins les règles du stakhanovisme sont claires, un geste, un objet, un résultat et alors la tête peut vagabonder. En étant serveuse comment pouvoir faire abstraction de l'être humain qui se trouve en face de vous, comment ne pas sentir les messages des regards qui se portent sur vous, comment passer des journées entières à lutter contre l'attraction des autres qui fait que nous ne sommes ni des machines, ni des objets sans âme. Ce pauvre garçon doit être épuisé le soir venu, il ne sait pas pourquoi, il pense que son travail l'épuise, qu'il mériterait plus de pauses,un meilleur salaire alors qu'avec un peu de joie de vivre et de chaleur humaine son job pourrait être fantastique et joyeux, il croiserait alors des milliers de vies en partance, des sourires répondraient à ses sourires, il deviendrait drôle et le soir venu il penserait à tous les échanges qu'il aura eu dans une simple petite journée alors que d'autre devant leur chaîne de montage n'ont que leur clef anglaise à qui parler.

Je ne peux pas refaire le monde, je ne peux pas changer les gens, je ne peux pas les modeler comme j'aimerais qu'ils soient tous,ouverts, chaleureux, gentils, aimables, tous ces qualificatifs que la plupart des gens que je connais nomment des faiblesses.

J'ai l'habitude de passer pour la Bisounours de service, celle dont on dit avec un peu de condescendance  tu sais Béné les méchants psychopathes existent, tu va encore te faire avoir, tu devrais être plus vigilante   et bien  non  . La vie me semble bien plus belle par mon prisme de gentil OUI-OUI, un jour je croiserai peut-être le fameux méchant psychopathe dont on me parle si souvent et j'agirai en conséquence pour ne pas être alors coupée en menus morceaux.

Je vois au loin, ma compagne de voyage, qui arrive en zigzaguant dans l'étroit couloir qui mène au bar, je la trouve divinement élégante. Et je pense à cette vieille actrice à laquelle je souhaitais ressembler lorsque j'étais petite fille, ah oui Denise Grey, cette femme était pour moi la grand-mère chic et charme que j'aurais aimé avoir, ma propre aïeule étant une paysanne mal fagotée et rugissante de grossièretés.

 Je vais prendre comme vous, un bon café est toujours le bienvenu,n'est-ce pas ?  

 Voulez vous prendre le mien je ne l'ai pas encore entamé, allez je vais en chercher un second  

Elle se hausse sur le tabouret de bar en m'attendant.

Café - merci Madame – même scénario, même ton, même geste. L'enchaînement est bien rodé.

Violaine m'accueille avec une chaleur qui me plait vraiment.

 Vous savez, je ne raconte pas ma vie si facilement d'habitude mais il y a en vous un petit quelque chose qui attire la confidence,non ? 

 Oh Violaine, je vous appelle Violaine ? Je ne sais pas bien mais il est vrai que souvent les gens me parlent, se confient à moi, j'ai peut-être de grandes oreilles ….. 

Elle sourit en refaisant ce geste d'apaisement, il me semble qu'elle a eu tout à l'heure en déplissant son chemisier sur sa poitrine ;

 Il est magnifique votre camé, fin, bien dessiné 

 Il me vient de ma grand-mère figurez vous, il en a traversé des guerres, d'autant qu'elle était russe et bien née  

Je reste bouche-bée, j'aurais tellement aimé avoir des ancêtres avec une histoire tourmentée et historique, une ascendance prestigieuse avec un arbre généalogique et des maisons de famille,

Violaine a du voir dans mon regard naïvement transparent ma curiosité.

Je ne l'ai pas connue, elle est morte en mettant mon père au monde, j'ai un vieux daguerréotype où elle a l'air d'une petite souris grise à coté de son géant de mari. D'ailleurs sur cette photo elle porte ce camé, une courte vie, elle n'avait pas 18 ans, elle est juste passée sur terre pour assurer une descendance, la survie de l'espèce. Si on savait en arrivant au monde de quoi demain sera fait, on se bousculerait pour arriver vous croyez ? A quoi cela rime une vie de 18 années ? Rien le temps de connaître, juste le temps de souffrir de n'être pas aussi belle, aussi intelligente,aussi charmante qu'on l'aurait souhaité, juste le temps de souffrir des premiers tourments de l'amour, des premiers émois aussi je le concède, tout cela pour mourir un jour d'été pour enfanter et point, fin de l'histoire. Je n'ai pas eu d'enfants et croyez moi, cette sombre histoire, si courante à cette époque, y est sûrement pour quelque chose. Bon mais dites moi ma grand-mère est morte il y a plus de 100 ans, on pourrait discuter de choses un peu plus moderne, non ? Que faites -vous, là un week-end morose dans ce train ?

 Oh moi je monte faire une expérience inter-sidérale à Paris, organisée par mon mari, je le précise, mais le connaissant je m'attends à de sacrées surprises  

Elle avale lentement une goulée de café en me regardant interrogativement, je vois le précieux breuvage descendre dans sa gorge, là sous son fin cou divinement ridé, ses deux mains graciles se réchauffent sur le verre de carton et je perçois le plaisir extrême quelle prend. Je crois bien avoir trouvé une adepte pour mon club des buveurs de café.

 C'est nouveau cela ? À mon époque un mari n'aurait probablement pas envoyé son épouse tenter des expériences loin de lui ou peut -être le mari d'Alexandra David-Neil mais les autres ? Et le mien n'en parlons pas ! 

 C'est une idée collégiale, disons, je lui ai également organisé un petit séjour à ma sauce  

 Vraiment ? C'est fantastique l'imagination des couples modernes pour assurer leur survie, c'est ça non ? 

 Sincèrement, vous me voyez pantoise, comment avez-vous deviner ?  

 L'expérience Bénédicte, seulement 80 années passées sur cette terre, dont cinquante aux cotés d'un mari volage et merveilleux à la fois, des kyrielles de conversations entre amies, des centaines d'histoires de cœur, je ne sais pas si on peut dire qu'il y en une qui soit originale. Un couple, deux cœurs, deux façons de voir la vie, deux façons d'aimer, et mille idées pour ne pas se déchirer, s'oublier dans l'autre,changer sans blesser. Vous devez me trouvez pessimiste, n'est-ce pas ?  

 Vous êtes fascinante plutôt, ouh la la, je suis impressionnée par vos raccourcis si intelligents, si fins, si vrais, alors pourquoi ?  

 Pourquoi je quitte ce terrible et adoré époux à 80 ans ? Pour les même raisons qu'une jeune fille, ma chère, parce que je veux vivre ! Je veux oublier ce poids qu'il met sur moi, sans même s'en rendre compte d'ailleurs, je veux arriver au paradis en ayant pu faire le vide avant, je veux rire sans sentir son jugement sur moi. Aujourd'hui j'ai le sentiment d'étouffer, de ne pas exister, toutes ces années où je ne pensais qu'à lui, où je ne cuisinais que pour lui, où je n'étais belle que pour lui et tout cela pour quoi ? Pour qu'à l'aube de notre grand voyage, il me harcèle de questions sur mon amour, mon désamour, mon mal-amour ? Un peu de dignité et de silence, c'est tout ce que je veux aujourd'hui  

Cette diatribe n'appelle que le silence. Nous buvons nos cafés respectifs sans plus un mot, les fils de la connivence font le lien entre nous. J'aurais envie de la serrer dans mes bras pour un échange d'auras initiatique, lui souffler sur le visage de doux mots, de ceux qui apaisent, mais sa révolte m'impose une compassion respectueuse.

Elle me prend la main, saisissant mon incapacité à mettre des mots sur notre amitié naissante.

 Vous savez,je me suis beaucoup trompée dans la vie, d'ailleurs la vie n'est-elle pas une succession d'erreurs supposées,de méprises transformées, mais là je crois faire enfin ce qu'il faut même si c'est au prix du malheur.

Subitement, les émotions me montent dans la gorge comme lorsqu'enfant je subissais une injustice ou imaginée telle, je pensais tellement que la vieillesse était le plus bel âge, celui où les désirs prépondérant de notre jeunesse s'apaisent, où notre cœur va au rythme de nos petits pas de mamie

Les mots de Violaine m'ont touchée au plus profond et me bouleversent

intimement,cette vieille dame est le fou du roi qui peut dire toutes les vérités sans craindre les foudres de quiconque. Pourtant elle ne me connaît pas et ne peut pas savoir le cheminement de mon couple.

Vous avez un don de seconde vu ou alors vous êtes bien psychologue ?

Non, je vous ai juste raconté ma petite vie, je ne voulait pas faire injure à la vôtre, Bénédicte, je suis vraiment désolée,j'ai horreur de faire de la peine   Elle me prend gentiment le bras  Allez nous allons retourner à nos places et parler de nos projets joyeux si possibles  

Violaine est peut-être moi dans trente ans  ! Le destin me l'a envoyée pour que j'arrête de croire que les gens changent, que les amoureux charmeurs le restent jusqu'au trépas et que tenter des expériences de  rapprochement   ne servent à rien.

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