50 ou le yoga

agneaubleu

Je ne m'attendais pas à cela, des dizaines de personnes affluent vers une salle des sport locales avec des tapis roulés sous le bras, on se croirait à un concert rock, si ce n'était l'âge moyen des participants. Le maître dont parle Véronique doit vraiment être réputé, je me demande si c'est vraiment le jour pour débuter ou plutôt tester, car je doute de continuer plus loin que le première séance, j'avoue que j'ai un peu peur d'être ridicule ce qui ne m'est pas arrivé depuis fort longtemps.

Je bénie enfin Véronique de ces explications, je me raccrocherais à elle comme aux jupes de ma mère, elle nous emmène directement sur le coté où elle nous présente un vieux monsieur au visage buriné  Joseph mon professeur depuis bientôt 10 ans, il va nous faire entrer, on sera moins bousculé  Joseph je vous présente Marco, c'est la première fois qu'il assiste à un cours alors on va l'entourer,n'est ce pas !   Le vieil homme opine de la tête et nous précède dans un immense gymnase avec déjà des dizaines de tapis installés cote à cote, il m'en désigne un et me dis de m'asseoir ou de m'allonger en attendant le début du cours. Des yogis arrivent de toutes parts, la plupart ont des accoutrements singuliers, des chaussettes disparates, des pantalons ramollis et usagés, des tee-shirts datant de l'antéchrist, aucun ne porte de justaucorps fluo ou de jogging pétard. Je me dis que cela doit être lié à l'humilité supposé du yogi. Ludivine continue de discuter avec Véronique et n'a pas l'air de trouver tous ces participants bien curieux, certains sont dans la position du lotus et, je le suppose, doivent méditer, ce qui dans ce brouhaha me semble invraisemblable, certains s'attrapent les pieds et les masse en tous sens et d'autres sont allongés, les yeux fermés, insensibles au bruit ambiant. Je choisis cette option qui me permet d'être dans l'ambiance sans me faire craindre le pire tant les personnes qui m'entourent me semblent aux antipodes de mon propre monde, les femmes ont presque toutes les cheveux blancs ou gris, les hommes moins nombreux ont bien le look idéalisé du yogi mythique, à savoir : la queue de cheval, la maigreur et le regard ardent, je me fais peut-être du cinéma mais je ne risque pas la concurrence lorsque Béné part aux cours ou en stage !

Soudain le silence se fait et une voix chaude avec un fieffé accent anglo-saxon résonne dans cette cathédrale sportive.

 Bonjour à tous, bienvenou dans ce cours d'ouverture au yoga, je me présente Wells Down, je viens d'Australia et je soui hyper fun d'être ici parmi vous, j'ai avec moi Stéphanie qui traduira si je ne trouve pas tous les mots pour mes options durant le leçon et trois professeurs confirmés passeront parmi vous pour vous aider à oune meilleure pratique, alors bonne pratique à tous, et commençons par un mantra d'ouverture que me transmis Maitre Shima lors de mon premier séjour en Inde (un bourdonnement averti résonne à l'évocation de ce nom inconnu de moi évidemment).

Joseph, mon voisin de tapis me tapote le bras et me dit à voix basse de m'asseoir en tailleur avec le dos le plus droit possible. Misère, je me sens vouté et malgré une bonne volonté affirmée, je n'arrive pas à croiser dignement mes jambes, Joseph qui lui est droit comme un i me tend une petite brique de bois et me dit de m'asseoir dessus,je transpire déjà à grosses gouttes et rien n'est encore commencé. La brique sous mes fesses fait des miracles car mon dos s'étire comme si j'étais tiré par les bras, pas le temps de me féliciter qu'un son rauque sort de toutes les bouches et, à vrai dire m'impressionne plutôt mais me maintenir à flot sur ma brique de bois me demande déjà tellement d'efforts que je ne peux même pas me hasarder à imiter les chants de moines tibétains pour me sentir vraiment dans l'ambiance. Je jette un œil sur Ludivine, elle a l'air à fond, et sourit tout en chantant à l'unisson dans une langue qui m'est inconnue dont le  a  paraît être la sonorité principale. La hauteur sous plafond de ce simple gymnase donne à ce drôle de chant une emphase incroyable comme si nous allions tous nous envoler ou tout du moins léviter. Mes doigts de pieds me ramènent à la dure réalité, une crampe m'attaque par le bas et je vois mes doigts de pieds au garde à vous à mesure que la douleur se propage dans mes jambes. Je reste stoïque comme toujours lorsque je subis une douleur physique, j'essaie d'envoyer du souffle dans mes maudites extrémités, la douleur s'essouffle, la douleur meurt de sa belle mort Les chants se sont tus.

Mes voisins se mettent debout comme des ressorts, je me lève comme un vieillard il me semble, Joseph à coté de moi est un jeune homme !

 Suria namascar   Salutation au soleil   Nous allons la faire doucement pour les déboutants. 

Le  déboutant  que je suis, essaie de suivre chaque geste, de comprendre chaque consigne, chaque inspiration ou expiration sensée accompagner chaque mouvement, et bref, je suis à la traîne, au sol quand les autres sont debout, lamentable tel un éléphant de mer échoué sur la sable,

Mon orgueil en prend un coup et ma fierté légendaire me pousse à ne pas baisser les bras devant un simple cours de yoga. Toute ma vie je me suis gaussé de ce type d'activité qui pour moi n'était pas du sport, je me moquais de ce que jugeais efféminé, pas une sport pour nous les mâles, et j'en connais un rayon en homme. Et là je crache mes boyaux alors que seulement dix minutes se sont écoulées depuis le début de la pratique, alors que le malingre Joseph à mes cotés vole quasiment ou pour le moins voltige avec un évident bonheur. Une femme s'approche de moi, et m'indique où placer mes pieds, mes mains, elle pose ses mains sur mes épaule pour redresser mon dos, je dois être un cas difficile car elle ne quitte pas l'angle de mon tapis, prête à m'aider à chaque nouvelle consigne dont parfois le sens me semble tout simplement obscure.  activez l'aine interne, regardez avec le troisième œil,soufflez dans votre dos ! ! ! 

Le professeur montre chaque posture et il est décidément éblouissant, musclé juste comme il faut, je comprends les commentaires de Béné sur certains de ses Maîtres de yoga, je rigolais en coin lorsqu'elle me parlait de leur corps athlétiques,aériens et solides à la fois. L'australien à un look à la Mike Oldfield des années 70, des cheveux mi-longs, un visage buriné, des membres longs et fins, un sourire qui lui mange le visage, très sympathique the guy. Il effectue ses postures comme une elfe bondissante tout en faisant des commentaires qu'il appelle  ajoustements  , il est si fascinant que j'en oublierai d'essayer de le copier. J'ai chaud, mon corps envoie des litres d'eau sur le tapis et mes mains n'arrivent jamais plus loin que mes genoux. La femme à coté de moi, je pourrai presque dire ma coach personnelle car depuis le début elle ne s'occupe que de moi, me félicite, m'encourage  Là descendez un peu plus bas …...si si …. vous pouvez le faire   Tournez vos coudes, croisez vos genoux, soulevez votre tête, pointez votre nez sur la gauche, sur la droite   Pas une seule fois les mots usités dans d'autres disciplines ne sont prononcés  Rentrez le ventre, serrez les fesses  . Le mot  muscle  n'a pas l'air d'avoir grande importance ici, l'essentiel est ailleurs mais où ?

 Sarvangasanah   Posture sur les épaules Ma coach me prépare une couverture et me place dessus, plutôt m'y écroule, je suis tellement fatigué que j'irai bien dormir là tout de suite maintenant.  Tenez bien votre dos et fly vers la position mère  . Il est marrant, lui, impossible de lever mes jambes, mon postérieur pèse le quintal, et d'avoir la tête en bas m'étouffe, je dois être cramoisi voire même violet, la femme qui me glisse qu'elle se prénomme Françoise, m'attrape vigoureusement les jambes et cale son genou derrière mon dos, je ne résiste plus à rien, être les jambes en l'air ou les pieds sur le tapis me semble être de la même difficulté. Je fais de mon mieux et ' mon mieux' n'est pas bien terrible, je le concède, mais j'ai fait le cours de bout en bout même si probablement cela n'avait rien d'harmonieux . J'imagine même que je pourrais réitérer l'expérience sans trop me faire prier simplement par défi.

La fin du cours est délicieuse, allongé après tant d'efforts, le professeurs nous parle de notre corps, du souffle qui y passe ici ou là, des énergies qui jouent à cache-cache sans que l'on soit au courant, de nos yeux qui partent vers le cœur, et j'avoue que hors contexte j'aurai ri de cet illuminé qui me parle de mon bras gauche comme d'un élément dissociable de mon corps, de mon orteil droit comme du prémisse de ma volupté future ou de ma langue comme d'une chiffe que l'on peut faire reposer au fond de sa gorge.

Je concède que je suis comme un enfant, fier devant sa maman, je pourrais dire  je l'ai fait  je suis passé outre mes à-priori, par dessus mes convictions de mâle, et surtout pour la première fois depuis des années j'ai entrepris quelque chose de neuf en sachant par avance que je ne brillerai pas, ne serait-ce pas faire preuve d'humilité ?

Certains participants sont tellement bien qu'on les entend ronfler, pour ma part je ne suis pas loin de m'endormir,mon corps est lourd et léger à la fois, mon cerveau est vidé par tant d'efforts physiques, définitivement, je me découvre détendu, presque alangui et surtout heureux. Si Béné pouvait me voir,si ma mère pouvait me voir, si tous ceux qui voient en moi une brute machiste pouvaient me voir !

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