5ème épisode Chat(s) perché(s)

Lucie Ronzoni

Michèle Martinet avait bien perdu son chat roux. Je n'invente rien. Les vitrines des commerçants en bas de sa rue et les troncs des arbres étaient placardés de la photo de Nixon. J'aurai pu me contenter de cette information qui confirmait  les dires de Coco, mais il fallait que j'en apprenne davantage sur les circonstances de sa disparition. Je montais quatre à quatre les marches de son immeuble de la rue saint-Charles dont j'avais eu l'adresse grâce aux dépôts sur main courante quotidiens de Mme Martinet. J'avais l'intention de ne pas accabler la vieille dame : je n'annoncerai pas la mort du chat, je laisserai planer l'espoir qui même à quatre-vingts ans peut encore faire vivre quelques années de plus.

Je brandis ma carte dans l'angle visuel de l’œilleton pour qu'elle accepte de m'ouvrir et  me retrouvai sur un canapé vintage que certains, non avertis des codes esthétiques, auraient qualifié d'usé et d'inconfortable. Elle ne me proposa ni café, ni thé mais un verre de porto avec une langue de chat (sic). 

Elle ne s'étonna finalement pas de ma présence ; elle avait acquis assez de points sur sa carte de fidélité pour trouver normal qu'un commissaire se déplace pour la disparition de son animal domestique.

"Reprenez de mon porto, commissaire, c'est mon fils qui me l'a rapporté du Portugal. Il est délicieux avec un gâteau. Vous n'avez pas touché au vôtre, vous êtes indisposé peut-être ?   

-Non, non, je n'ai juste...pas très faim en ce moment. "

Faux, j'étais affamé.. La langue me faisait de l’œil. Par respect pour Nixon, je m'abstins.

"Madame Martinet, je ne vais pas abuser de votre hospitalité. Pouvez-vous me dire précisément quand avez-vous vu votre chat pour la dernière fois ?

- Vous vous moquez de moi, commissaire ?

-Je ne comprends pas, c'est une question que l'on pose habituellement dans les dispa...

- Vous n'avez donc pas lu ma déposition ?"

Grave erreur, je ne m'étais pas penché sur les dépôts de plainte depuis une semaine, j'avais délégué à Dumont le soin de s'en occuper. Je bafouillai...Elle s'énerva...

"Je me suis fait cambrioler, commissaire Tallier, cambrioler ! ils m'ont pris mon chat ! Je croyais que vous veniez pour ça... "

Je me raccrochai aux branches comme je pus.

"Oui, oui, bien-sûr Madame Martinet, mais j'ai besoin de détails précis.

- J'ai tout dit à un petit jeune...attendez-voir...un lieutenant… un brun avec des cheveux un peu gras...

- Ce n'est pas du gras, c'est du gel...

- Du gel ? Pourquoi faire grand Dieu ! Ce jeune homme m'avait l'air pourtant très compétent...

 - Madame, je reprends l'affaire à zéro. Pensez à tous les détails importants qui vous auraient échappé la première fois.

- Voyons... c'était le Samedi 5 février...je rentrai des courses...;j'ai trouvé la porte ouverte...

- Fracturée ?.

- Oui, c'est ça, fracturée.

- Que vous ont-ils pris en dehors de votre chat ?

- Des bijoux, de l'argent, des choses sans importance.

- Votre chat n'aurait-il pas pu sortir de lui-même de l'appartement  puisque la porte était ouverte ?"

C'est alors que Madame Martinet se leva, pointa vers moi sa langue de chat et m'asséna un :

"Jamais, jamais, entendez-moi bien, commissaire, jamais sans moi! "

  Je vous passe la fin de la conversation où j'essayai de paraître compétent aux yeux d'une vieille dame qui était en passe de résilier sa carte de fidélité.

Résumons : la veille de la pendaison de Nixon, Madame Martinet se fait cambrioler. Chose plutôt courante dans le quartier. Le chat s'enfuit. Cas le plus probable. Et s'encanaille pour rejoindre la bande de chats errants de l'île aux cygnes : on se crache dessus, mais on aime ça et on en redemande.  Pas de chance pour lui, le tueur aux chats rôde dans le coin et trouve que le roux sied bien au vert de la statue. La fin, on la connaît déjà.

Au risque de contredire l'ex-inspecteur, ex-détective Jakson Brodie, une coïncidence n'est pas toujours une explication qui attend son heure. Elle est parfois juste là pour brouiller les pistes.

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