6ème et dernier épisode Chat(s) Perché(s)

Lucie Ronzoni

6ème et dernier épisode

Que les amis des bêtes se rassurent, je n'ai pas abandonné Lénine et Nixon à leur triste sort, ni négligé les menaces terroristes. J'étais juste occupé par un pays qui vivait sa révolution à deux pas du commissariat du quinzième, rue Chasseloup-Laubat.  Il y a des choix qui s'imposent d'eux-mêmes, n'en déplaise à l'ambassadeur des Etats-Unis. Pendant que je regardais 8 révolutionnaires renverser dans la douceur un représentant de Kadhafi sur le sol français, Armand avait pris à cœur l'affaire du meurtrier félin et était bien décidé à la résoudre seul. Ce qu'il fit avec une grande habilité tout en apprenant bien des choses sur notre dur métier.

Sa piste était mince mais valait le coup d'être exploitée. Elle reposait sur l'analyse des cordes retrouvées sur le lieu du crime. Pas d'empreinte, mais une liste d'une dizaine de magasins sur Paris susceptibles d'avoir vendu l'arme mortelle. Il s'agissait en effet de cordes d'alpinisme en très bon état qui trahissaient, en plus de sa haine des animaux, de la nouvelle passion pour la montagne de notre pendeur félin.

Armand, scrupuleux, méthodique et surtout très motivé, entreprit de visiter et de questionner chacun des employés sur les ventes de ces dernières semaines.  Une vingtaine de cordes avaient été achetées sur Paris dans la semaine précédant les faits mais c'est au Vieux Campeur de la rue des Ecoles qu'Armand pensa flairer le bon filon. 50 mètres de "corde à double polyvalente convenant parfaitement à toutes les activités d'escalade grandes voies et montagne" et apparemment très efficace pour la pendaison, avaient été vendues avec gants et harnais à un individu qui avait retenu l'attention du vendeur. Il s'agissait d'un jeune homme apparemment mineur et très nerveux qui s'était longuement renseigné sur l'art de faire des nœuds coulants. A raison de 3 mètres de corde par chat, un rapide calcul fit entrevoir à Armand toute l'étendue des victimes potentielles du tueur en série, et accéléra sa détermination à arrêter au plus vite sa folie meurtrière.  Armand emmena aussitôt le vendeur au commissariat pour établir un portrait robot. Et c'est muni du dessin d'un brun boutonneux, aux yeux marrons et cheveux mi-longs qu'il s'attaqua aux écoles d'escalade parisiennes. Sa théorie se tenait : la corde qui avait étranglé les chats devait avoir également servi à escalader la statue, mais pour cela,  un peu d'entraînement était nécessaire. Les clubs d'escalade à Paris, heureusement, on les compte sur les doigts d'une main et Armand eut vite fait d'identifier le jeune homme dans le club de la Croix Nivert. Il s'agissait de Christophe Doloré, 16 ans, qui habitait dans les tours du front de Seine. La suite aurait pu être simple : interpellation, aveux, blâme, travaux d'intérêt général dans une SPA... Malheureusement, Armand crut bien faire : il  appela aussitôt les services de l'ambassade pour les avertir qu'il était sur une piste écartant toute menace terroriste. Bien naïf, mon Armand. Lorsqu'il donna le nom de Christophe Doloré, les choses allèrent très vite. Le commissaire-divisionnaire Leblanc m'appela une heure plus tard sur mon portable et au milieu des cris des "Dehors Kadhafi", je crus comprendre qu'il fallait que je rappelle à mon lieutenant les règles élémentaires de la discrétion. 

Christophe s'était fait des amis au club de la Croix-nivert: Un ami en particulier, Robert : le fils de l'ambassadeur américain. Ensemble, ils avaient dû monter le coup mais rien ne filtra quant aux aveux éventuels des deux compères : on nous pria de nous en tenir là.  On peut penser que lorsque le père eut vent du nom de Christophe Doloré, il pressentit  la complicité de son fils et arrêta à temps la machine judiciaire.

La déception d'Armand fut immense, il ne peut s'empêcher d'aller voir à quoi ressemblait le duo infernal aux heures de cours d'escalade du club de la Croix Nivert. Il vit deux jeunes hilares, totalement insouciants, visiblement remis de l'engueulade, si tant est qu'elle ait eu lieu.  Christophe, brun, boutonneux  et Robert, blond, imberbe. Ils arboraient fièrement des Tee-shirt du Che.

Armand repéra leur vestiaire et accrocha les deux cordes meurtrières à leur porte-manteau. Histoire de leur rappeler les bonnes manières.

                                                    FIN

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