9. La facette cachée de Mortimer

Marie Weil

Max reprend le travail dans le restaurant, alors qu'il fait le service du soir Mortimer se montre étrangement très froid avec lui.

La soirée approchant, Max commença à préparer ses affaires pour aller travailler. Mary l'observait avec inquiétude.

-« Tu es sûr que tu veux reprendre le travail ? Tu as le droit à quelques jours de congés, tu sais, dit-elle.

- Je sais, mais je n'ai pas envie de me tourner les pouces toute la journée. Et c'est l'été, Joe commence à avoir de plus en plus de monde au restaurant.

- D'accord, si tu te sens capable de reprendre. »

Max ferma rapidement son sac et embrassa tendrement sa femme en lui disant.

-« Ne t'inquiète pas pour moi, d'accord ? Je serai de retour comme d'habitude.

- D'accord… A plus tard », répondit-elle avec un sourire.

L'homme se dirigea vers le jardin où jouait Rebecca. Elle courut vers lui et se jeta dans les bras de son père pour lui dire au revoir. Après ce moment de tendresse, Max monta dans sa voiture et partit pour le restaurant.

Évidemment, pendant le trajet, les pensées du cuisinier voguèrent vers les écrits de son père. Il avait été bouleversé d'apprendre que son père Lucas avait eu une enfance aussi dure. Comme Eric, il avait été surpris par cette réalité. Mais il était aussi admiratif par le comportement que son père avait eu envers son compagnon, lorsque ce dernier avait été brutalisé par ce salopard. Etait-ce l'amour qu'il lui avait donné un tel courage ? Max n'en savait rien, mais il savait que si Mary avait été à la place de Lucas, il aurait sans doute agi de la même façon.

Quand il arriva au restaurant, quelques tables étaient déjà occupées. Il fit signe à Joe qui vint à sa rencontre.

-« Comment ça va, mon garçon ? demanda Joe en lui donnant une tape amicale sur l'épaule.

- Bien, enfin je pense… assez pour le travail, en tout cas, répondit Max, un sourire aux lèvres.

- Je respecte ton choix, mais si à un certain moment tu ne te sens plus capable, tu pourras rentrer, hein ?

- T'inquiète pas, Joe, je finirai le service de ce soir, comme les autres soirs. »

Le barman hocha la tête et laissa son cuisinier aller au vestiaire afin qu'il puisse se changer.

Max enfila sa tenue et rejoignit la cuisine. Il fut accueilli chaleureusement par Tommy, mais lorsqu'il salua Momo, ce dernier lui serra froidement la main.

Il ne se focalisa pas sur ce comportement plutôt étonnant et commença à faire ses plats sous les directives de son meilleur ami. Pendant une heure, les plats s'enchaînèrent à un rythme soutenu, et Max remarqua que Momo continuait à avoir un comportement étrange. Il était froid et distant avec lui, et lorsqu'il lui demandait quelque chose, celui-ci l'ignorait totalement, alors qu'avec Tommy il avait un comportement normal.

Au bout d'un moment, l'agacement du jeune cuisinier atteignit son paroxysme. Il jeta brusquement sa serviette et alla vers son collègue.

-« Tu peux m'expliquer ce qui ne va pas ce soir ? demanda-t-il.

- Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit Momo en lui tournant le dos.

- Pourquoi tu m'ignores quand je te demande quelque chose ? La cuisine c'est comme ça je te rappelle, on doit communiquer ! »

Momo garda le silence, ce qui eut pour effet d'augmenter encore l'énervement de Max.

-«  Hé ! Je te parle ! » dit-il en lui touchant l'épaule.

Au contact de sa main, celui ci tressaillit violemment, avant de se retourner vivement en lui criant :

-« Me touche pas, sale pédale ! »

Le jeune cuisinier en resta bouche bée, ces mots venaient de le toucher en plein cœur. Puis la surprise fit place à la colère. Il s'avança vers son collègue, prêt à en découdre.

-« Sérieux, c'est quoi ton problème ? demanda-t-il d'un ton brusque.

- Mon problème, c'est toi ! Comment est-ce que les services sociaux ont pu te laisser vivre avec… eux !! » dit Momo avec une pointe de dégoût dans la voix.

L'ébahissement de Max ne cessait de croître, tout comme sa colère.

-« Attends, c'est de mes parents que tu parles là !?

- J'appellerais pas ça des parents ! Les gens de leur espèce sont si dégueulasses ! Je sais même pas si élever un enfant pour eux est plus facile que de s'enfoncer une bite dans le cul ! »

C'en fut trop pour lui. Fou de rage, il assena un violent coup de poing à son collègue. Le choc fut tel, que son collègue s'effondra au sol en faisant tomber bon nombre d'assiettes. Le vacarme assourdissant avertit Joe qu'il y avait du grabuge dans la cuisine. Il pénétra dans les lieux d'un pas rapide.

-« Non, mais c'est quoi ce bordel !? On vous entend jusque dans la salle ! » aboya-t-il.

Puis il vit Momo au sol, les lèvres en sang, et Max devant lui, visiblement choqué.

-« Il s'est passé quoi ici ? Vous vous êtes battus ? » demanda le patron, à présent en colère.

Le jeune cuisinier n'avait envie que d'une chose : sortir prendre l'air. Il quitta son tablier et se dirigea précipitamment vers la porte de derrière qui menait sur une petite cour à l'arrière du bâtiment. Il n'arrivait pas à croire qu'il venait de frapper un de ses collègues. Momo et lui s'étaient toujours bien entendus, ils travaillaient ensemble depuis un bon moment. Alors pourquoi lui avait-il dit de telles horreurs ?

La porte s'ouvrit doucement, et Tommy fit son apparition.

-« Je suis désolé de ce qui est arrivé avec Momo… C'est moi qui lui ai parlé de tes parents, je ne pensais pas qu'il réagirait aussi violemment, s'excusa-t-il

- En effet, t'aurais rien dû lui dire », répliqua brusquement son ami

Il y eut un long silence. Tommy sortit une cigarette de son paquet et l'alluma en aspirant une bouffée de fumée.

-« Qu'est-ce qu'il fait Joe ? demanda son ami

- Il a interrompu le service pour l'instant, et je ne te cache pas qu'il est fou de rage », répondit le cuisinier

Max soupira en repensant aux mots blessants de son collègue. Jamais il n'aurait pu penser que celui-ci tiendrait de tels propos homophobes. C'est là qu'il se rendit compte que, même des années après le lycée, il existait toujours des personnes avec des pensées hostiles, haineuses, envers l'homosexualité.

-« Mary avait raison… Je n'aurais jamais dû venir travailler ce soir.

- Tu ne pouvais pas prévoir ce qui allait se passer, dit son ami d'une voix apaisante.

- En tout cas, ça montre que le décès de mon père me touche beaucoup plus que je ne l'aurais cru… »

Tommy se tourna vers son ami, son visage affichant une surprise sincère.

-« Parce que ça t'a rien fait quand tu l'as su !? demanda-t-il.

- Si, il y a eu le choc d'apprendre qu'il était décédé, mais je t'avoue que je n'ai ressenti aucune tristesse. »

La surprise du cuisinier augmenta encore d'un cran.

-« Vous étiez en si mauvais termes tous les deux ?

- Ouais… mais maintenant je me rends compte que toutes ces années de silence entre nous deux étaient un véritable gâchis… »

La voix de Max était tremblotante, ses yeux se remplirent de larmes et sa gorge se noua.

-« Il est mort maintenant… et je ne peux plus rien faire pour lui », termina-t-il en reniflant.

Cette dernière pensée souleva encore davantage son cœur. Tommy s'aperçut du profond mal-être de son ami. Il s'approcha de lui et lui posa la main sur l'épaule. A ce contact, le jeune cuisinier ne put s'empêcher d'éclater en sanglots. Les larmes coulèrent à flots sur ses joues et tout son corps tremblait sous le coup de l'émotion.

Son ami passa son bras autour de ses épaules en lui disant :

-« Vas-y, pleure… Il faut que tu évacues, après ça ira mieux. »

Max se réfugia sur l'épaule de son ami et mit en pratique son conseil. Ils restèrent ainsi durant quelques minutes, le silence interrompu par les sanglots de cet homme déchiré par le remords.


C'est avec les yeux rougis que Max rentra chez lui, sa tenue de cuisinier encore sur le dos. Quand sa femme ouvrit la porte, elle fut tout d'abord surprise de voir son mari rentrer plus tôt que prévu, mais lorsqu'elle vit ses yeux brillants et sa mine abattue, elle comprit tout de suite.

Une fois installé dans la cuisine, celui ci lui raconta tout ce qui s'était passé. Au fil de son récit, la surprise de Mary ne cessait d'augmenter.

-« Jamais je n'aurais cru ça de Momo, dit-elle.

- Moi non plus… » murmura son mari.

Il se sentait très las et n'avait qu'une envie : aller se coucher et tenter d'oublier tout cela.

-« Vas-y, une soirée seule devant les séries télé ne me dérange pas, dit sa femme, comme si elle avait lu dans ses pensées.

- Je peux rester, si tu veux.

- Non, non, va te coucher, tu en as vraiment besoin. »

Max se leva et lui déposa un baiser sur le front, avant de se diriger vers la chambre. Une fois dans la pièce il vit que la boîte de son père était posée sur sa table de chevet. Mary avait dû la mettre là pendant son absence.

Il se débarrassa de sa tenue de cuisinier et enfila un simple t-shirt avant de se mettre au lit. Il jeta un regard sur la boîte à côté de lui, puis il la prit et l'ouvrit avec précaution. Il fouilla parmi les pages pour retrouver celle où il avait arrêté sa lecture. Lorsqu'il la trouva, il se cala confortablement contre son oreiller et reprit sa lecture.


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