A

Caïn Bates

      Abandonner, partir, s'enfuir loin du monde dans lequel on vit. Puisque le jour n'offre plus son lot de surprises, tenter sa chance parmi les ombres, rôder une fois de plus dans l'obscurité. Petit à petit, suivre son instinct, arpantant les rues au hasard, comme guidé par une puissance supérieure, une illumination, un phare paumé dans l'immensité...

    Atterrir dans un lieu fréquenté par le silence après avoir survolé un monde régi par les cris, visiter un désert encore surpeuplé il y a quelques heures, comme si l'Humanité s'était éteinte en quelques minutes. Puis finalement, deviner des chuchotements provenant d'un lieu retranché dans la pénombre d'un porche. Des sanglots étouffés perturbant le sifflement d'une brise légére, comme un murmure au creux d'une oreille inexistante. Obéir à l'appel, plus par envoûtement que par envie, oublier tout le reste, juste suivre le bruit.

     Apercevoir une créature chétive tremblotante sur le sol, le corps fatigué et le regard apeuré. Tenter de s'en approcher, la voir reculer, se recroqueviller, la respiration lourde mais faible. Profiter de l'embranchement des murs pour la piéger sans perdre le contact visuel pour tenter de l'apaiser, sans franc succès. Finalement, se laisser tomber à son côté, l'attrapant rapidement afin de pouvoir la blottir contre soi, sentir sa respiration tiède sur la peau gelée et le contact des larmes brûlantes au creux du cou. Ne plus avoir en tête que sa détresse, lui apporter une présence, un quelconque espoir d'aller mieux, de se confier. Peu à peu, accepter une étreinte de sa part, devenir une partie d'elle même et ne plus vouloir la quitter, caresser sa nuque, les lèvres sur son front, l'oreille attentive à ses balbutiements.

      Admirer sa beauté angélique camouflée sous les traces encore fraîches de son bourreau, la contempler comme on fixe l'aurore, plus belle que la voûte céleste, son sourire écorché plus pur que le cristal. La vouloir comme idole, comme seule déesse dans ce monde inconnu, boire chacun de ses sons comme une prière, un commandement. Ne pas la sentir partir, la croire endormie paisiblement, deviner un “merci” sans vraiment comprendre, et attendre de longues heures. Finalement, tenter de la réveiller et ne plus sentir son souffle, la voir disparaître, la vision brouillée, ouvrir les yeux et ne pas la reconnaître, comprendre que ce n'était pas elle.

     Adorer une vision de paradis, subir un enfer, chercher un idéal...

Signaler ce texte