A bientôt
-cassiopee-
Soudain, au milieu de la musique, des voix et des rires, l'angoisse des au revoir a pris mon ventre dans un étau. J'observe tour à tour les trois visages qui m'entourent et même s'il m'est impossible de les graver dans ma mémoire, je peux en esquisser les traits en les parcourant de mon regard. Ils sont apparus par surprise alors que je fuyais par les chemins de traverse, pensant trouver dans la solitude le repos des émotions, et pourtant ce soir, je compte les minutes, redoutant l'instant où il faudra les laisser partir.
Il me prend la main et les battements de mon cœur ralentissent, c'est une ancre qui m'empêche d'être emportée par la houle. Elle me dit avec douceur qu'il reste des grains au sablier et qu'on a le pouvoir d'en ralentir la chute. Les heures défilent sur les toits de Paris, mais dans leurs voix et dans leurs yeux, la nuit est infinie.
Nous embrumons nos esprits de fumée et de liqueur pour chasser les au revoir qui planent au-dessus de nous, et la douceur des lèvres qui s'aiment et des peaux qui se rencontrent a fini de figer la course du temps. Tout se mélange. Nous n'avons pas besoin de mots pour nous comprendre, le silence suffit.
Le monde entier converge sur cette petite parcelle de peau où nous sommes tous les quatre unis. Nos doigts s'emmêlent et s'entremêlent, et sans connaître la danse, nous suivons la musique, note après note, caresse après caresse. Le temps a rompu son cours, il n'y plus ni début ni fin. Retrouvailles perpétuelles, nos esprits sont liés par delà les années et les distances. On s'est rencontrés il y a mille ans, on se retrouve à chaque seconde, les kilomètres sont chimériques.
J'aime cette liberté qui la fait se lever puis revenir, j'aime ses jambes nues, et leurs mains qui se rencontrent sur mon ventre, et les verres de vin posés autour du lit, la fumée qui passe de bouche en bouche, la musique, la pénombre, la lune au dessus de Paris.
Je les vois s'embrasser, et je goûte sur ses lèvres le goût de leur amour. Je les entends rire un peu plus loin pendant que son corps parcourt le mien. Nous communions par les sens, les mots sont superflus.
Le silence a repris ses droits, l'aube avance sur la pointe des pieds, pour ne pas nous faire peur. Ils se sont endormis, et malgré la chaleur de son corps près du mien, malgré leurs respirations régulières, j'ai peur de fermer les yeux. Quand je les rouvrirai, le temps nous aura rattrapés.
Au petit matin, dans cette cour pavée qui forme le dernier rempart, nos étreintes sont des promesses et nos larmes les premiers pas sur ce chemin aux mille et une collines. Jetés aux quatre coins de la Mediterrannee, nous nous retrouverons pour construire une maison à Paris, Rome, Beyrouth et Tunis. Les liens ne peuvent être brisés.
Les portes s'ouvrent et le bruit du moteur vient rompre le charme. Il est l'heure. Nous refusons de prononcer ces mots qui flottent depuis le crépuscule et qui n'ont aucun sens. On se murmure "A bientôt" avec un sourire et des yeux mouillés.
Paris s'anime doucement, aux terrasses des cafés l'on sort tout juste les tables. Ivre de vie, je me sens gorgée d'un pouvoir nouveau. Je marche seule, mais nous ne nous sommes pas quittés : au dessus de Paris, nous sommes nés, et nous sommes devenus assez grands pour couvrir le monde.
Juillet 2019