A côté du miroir.
Marcel Alalof
Je me souviens que nous étions sortis ensemble,il y a longtemps.Puis la vie sans heurt nous a séparés.Je ne sais pourquoi,je la rencontre toujours ou presque,lorsque je ne vais pas bien.Nous ne nous disons pas grand-chose ;il n'est pas nécessaire de parler,pour que le courant passe.Nous sommes assis côte-à-côte sur le banc d'un jardin public.Elle ne dit rien ;je suis bien.Ou, je la rencontre à la sortie de l'école,où elle a vraisemblablement déposé un enfant.Nous marchons de concert,sans parler ; je suis bien.Je sens quelquechose de doux qui circule entre nous.J'ai l'impression que ce serait moins bien si nous parlions.Je crois toujours que nous allons continuer à nous revoir.Puis,je me réveille,m'aperçois que j'ai rêvé,que tout cela est loin,mais ce doux rêve me laisse serein pendant plusieurs jours.
Un soir,j'ai rendez-vous avec une bande d'amis étudiants à Saint-Germain-Des-Prés.Il fait beau.Je suis en forme,un peu le boute-en-train.
Mes amis et moi,tous anciens étudiants à la fac de Droit, nous installons à la terrasse des »Deux Magots ».Nous sommes contents d'être ensemble.
Je vois une jeune femme très élégante qui attend qu'une place se libère ;je me dis que je la connais.C'est elle,qui vient visiter mes rêves quand je ne suis pas bien.Elle ne m'a pas vu.Il suffirait que je fasse un geste pour me faire reconnaître,l'inviter à notre table.Un siège se libère à deux rangées derrière nous.Je sens qui'elle s'y installe.Je suis de demi-profil,elle ne peut pas ne pas me voir.Pire,je sais qu'elle sait que je l'ai vue.Plus les minutes passent,plus je me sens incapable de me faire reconnaître d'elle,comme si elle n'était pas réelle ou que je ne voulais pas qu'elle le soit,comme si elle n'était plus que dans le passé,ou un rêve!Une demi-heure plus tard,nous nous levons.En continuant à parler à mes amis,je me retourne ;d'un regard rapide, sans la fixer,je vois qu'elle est toujours assise à sa table.Elle me regarde,comme si j'étais devenu fou.