A la ferme, on la ferme !
Hervé Lénervé
Il n'était pas une fois, dans un temps incertain, ni en un lieu indéfini, mais en 1962, en Bourgogne. Une ferme, comme il y en avait tant dans nos campagnes, une famille nombreuse de dix enfants, comme il n'était pas si rare en France métropolitaine profonde. Ici, pas d'enfant roi, ni sacro-saint de vos familles rachitiques citadines. Une famille d'agriculteurs, des paysans, n'ayons plus peur des mots, n'ayons plus peur de rien, n'ayons plus peur de notre condition.
A la ferme, il n'y avait pas de temps pour s'occuper des enfants. La marmaille s'élevait toute seule, les plus grandes aux soins des plus petits, les plus grands aux soins des bêtes et des champs. Ça marchait à coups de ceinturon du paternel pour les bêtises et à l'indifférence générale pour le travail bien fait, puisque cela ne faisait que partie de la normalité.
Je m'appelle Pierre, je suis le deuxième, on appelle ça le cadet, je l'ai lu dans le grand Larousse, c'est le seul bouquin qu'on ait à la ferme. J'ai dix ans, j'ai de bonnes notes à l'école. Si ! C'est vrai ! Je suis toujours avec les deux frangins qui me suivent partout et en âge aussi. Il y a, René, plus jeune d'une année, un peu comme moi, lui, puis Jean, deux ans de différence, grand en taille, un grand haricot celui-là, mais pas futé, bête à bouffer du foin. Tous les trois on en fait des conneries, j'vous dis pas… si, j'vais vous en dire une quand même ! Après les autres ils sont trop jeunes, y'a ben, les frangines aussi, bon ça, j'aurais à dire, mais on a pas l'temps et vous n'auriez pas aimé. C'est moi qui raconte. J'ai toujours bien aimé raconter des histoires, j'veux dire pas des histoires de Toto, non de vraies histoires, bien écrites tout comme il faut. Mon instit, elle dit que je serai écrivain plus tard, bon on verra, car moi écrire comme ça, ça va, mais faut pas que ça me prenne trop la tête, aussi. Bon j'voudrais vous raconter une drôle d'histoire, mais c'est pas une histoire drôle, non ça non ! C'est du vrai, du vécu, la preuve c'est qu'on la vécu tous les trois, moi et mes frangins… Je raconte :
Un matin, tôt, on fait pas la grasse mat à la ferme, on nous lève à cinq heures et après le petit déj. on part bosser. Donc on marchait tous les trois pour aller brûler les andains d'un grand champ sur le plateau du Serein. C'était la fin de l'été, il faisait très chaud pour la saison. Il y avait une citerne d'eau à côté du champ que l'on devait cramer, « sécurité oblige », j'aimais bien cette expression, je l'avais lu quelque part à l'école, mais je ne me rappelle plus où. Bon, peu importe, quand nous arrivons… ions…âmes (bon, on s'en fout) au champ, on vit des bras, des jambes qui bougeaient comme des tiges de blé chahutées par les vents (je suis balaise en poésie, aussi). Nous étions jeunes, mais pas idiot à part pour le grand haricot, tout de suite, on sut de quoi il en retournait, une partie de jambes en l'air d'un couple. Des jeunes qu'on connaissait pas, des Parisiens surement. C'est alors que notre abruti de frangin eut une idée pour se marrer, nous aurions dû nous méfier, car des idées, il n'en avait jamais, sinon pour faire des conneries, pourquoi fallait-il aussi qu'on l'écoute encore ? Son idée géniale s'était de mettre le feu aux quatre coins du champ pour voir comment les parigots allaient déguerpir à moitié à poil. Bref, l'idée nous plaisait bien, quand même aussi, donc nous l'exécutons… ions… âmes (bref, on s'en fout) en faisant gaffe de ne pas être repérés, de toute façon le couple était trop affairé pour repérer quoi que ce soit. Un Ovni aurait pu atterrir entre leurs jambes, qu'ils ne l'auraient même pas remarqué. Donc, voilà le feu parti à trois bouts en même temps et ouais ! On était que trois. Puis Jean alluma le dernier coin. On allait se marrer… en fait non… on s'est pas marré tant que ça, car le vent qui n'existait pas, se mit à exister d'un seul coup et le feu se transforma en incendie. Je n'avais jamais vu ça, un feu de rien qui devient un brasier tout seul, d'habitude on galérait toujours pour allumer le moindre truc. Si bien, que bientôt nos deux parigots furent entourés de flammes de deux mètres de haut, un mur de feu. Ils essayèrent de le franchir, mais c'était pas franchissable. On aurait pu essayer avec l'eau de la citerne d'ouvrir un passage, mais non, on restait là à ne rien faire, comme de grands couillons à observer le garçon et la fille lutter contre les flammes, c'était pas possible car ils étaient eux-mêmes des flammes et le feu ne lutte pas contre le feu. On sait ça à la campagne, mais eux il n'était pas de la campagne, ils étaient de Paris. Bientôt ils s'agitèrent moins que leurs consœurs pour finir par s'éteindre complètement, alors que les autres brûlaient toujours très bien.
- He ben ! Ça brule vite le parigot.
C'était l'abruti qui parlait, nous, comme on était plus intelligent, on fermait notre gueule.
- Putain, allez ! On s'arrache. C'était René.
- Putain, attends ! Ya pas l'feu. C'était l'abruti.
Mais cette fois on ne l'écouta pas, on rentra muets à la ferme, à part pour l'abruti.
- Putain, les gars ! C'est la première fois qu'on crame un champ aussi rapidement, le vieux y va être content.
Non ! Le vieux ne fut pas content du tout, surtout quand il vit les gendarmes arriver à la ferme.
Ils nous interrogèrent séparément, mais même l'abrutit pour une fois, eut l'intelligence de la fermer, comme quoi, rien n'est jamais perdu.
Le croirez-vous ? C'est pourtant vrai ! On ne fut jamais inquiété, pas même suspectés et la seule sanction qu'on reçut, ce fut une raclée à coups de ceinturon comme jamais on avait eu droit. Bon, c'était peut-être un peu mérité, après tout.
Les deux parigots furent rapatriés, chez eux, à Lyon et dans l'état qu'ils étaient, m'est avis qu'ils économisèrent une crémation.
Moralité : dans les années qui suivirent nous furent dispensés d'aller cramer les chaumes, l'écobuage nous était interdit avant que la mode l'interdise à tous… dommage on aimait bien aller cramer des champs et je ne devais jamais devenir écrivain... dommage aussi… pour la littérature, j'veux dire.
FEU, heu, enfin ! FIN, plutôt.
Merci pour cet avis. Comme je dis souvent, on ne peut pas plaire à tout le monde et je n’oblige personne à aimer les gens que je n’aime pas :)
· Il y a plus de 7 ans ·Hervé Lénervé
Pour qu'une personne sache que vous avez répondu à son commentaire, cliquez sur répondre sinon elle ne sera pas prévenue.
· Il y a plus de 7 ans ·unrienlabime
Un peu glauque votre histoire et sans tête ni queue, si j'ose dire.
· Il y a plus de 7 ans ·J'aime pas.
unrienlabime