A LA PISCINE
franck75
A LA PISCINE
Je préfère vous prévenir tout de suite, aujourd'hui je compte me livrer devant vous à un exercice de misogynie chimiquement pure. Les âmes sensibles, je veux dire les femmes, si tant est qu'elles en aient unes, sont donc invitées à sortir immédiatement de cette pièce. Personne ne sort, j'en étais sûr. Cet exercice, comme vous vous en doutez, me coûte énormément, et je n'ignore pas les effets dévastateurs probables d'une telle attitude sur mon image, ma réputation et mes conquêtes à venir. Mais peu importe, il en va de ma conscience et de mon honnêteté sur lesquelles, on le sait, je ne transige jamais. Et puis les risques de me griller au fond ne sont pas si grands. Hier, en écrivant mon texte, j'ai fait le compte des femmes qui seraient sans doute là ce soir. Il y aurait certainement machine, là, et sa copine, mais maintenant elle sont maquées toutes les deux avec deux abrutis ; il y aurait aussi trucmuche et puis bidule, des sacrées celles-là, mais bon, avec elles c'est déjà fait, et puis elles ont pris du poids ces derniers temps. Il y aurait bien aussi l'autre là, avec son air faussement intello, mais de toute façon, je n'ai rien à espérer de son côté:elle me voit comme un ros con de macho.
Bref, arrivons au fait.
Hier, j'étais à la piscine près de chez moi, rue du Renard. Vêtu d'un maillot de bain seyant, saillant diront mes admiratrices, je me tenais au bord du bassin, prêt à en découdre avec l'élément aqueux, lorsque soudain, à la vue d'un groupe de nageuses ou bien plutôt de barboteuses se hissant péniblement hors de l'eau, une phrase, une phrase terrible a traversé mon l'esprit. Je vous la livre brut d'encéphale: (ouvrez les guillmets) "Les femmes ont une drôle de forme" (fermez les guillemets ...). Ahuri par l'énormité de cette pensée, je me suis retourné pour voir si quelqu'un derrière moi ne me l'avait pas soufflée. Mais non, hélas. J'en étais bien l'auteur. Humilié, accablé, je suis aussitôt rentré chez moi, et pour me punir, je me suis astreint à disserter sur ce thème rédempteur: "Les femmes sont merveilleuses". Mais là, rien. La panne sèche. J'ai griffonné quelques vagues réflexions sur leurs gestes gracieux, leur mystère, leur parfum délicat, toutes ces fadaises que l'homme ressasse depuis que pour parvenir à ses fins, il lui faut faire la cour, mais il n'y avait dans ces quelques lignes rien d'assez consistant ni drôle pour satisfaire à l'exigence légitime du public ici présent.
Faute d'inspiration et de temps, j'ai donc dû me replier sur mon idée initiale et tenter d'expliquer l'injustifiable. Retour à la piscine. Ce matin-là, il y avait des gens vieux, des gens laids, des grands, des petits, des chauves etc., il y avait même des Chinois. Eh bien à les voir passer devant moi, je me disais seulement, "tiens, ce type est vraiment vieux, celui-ci vraiment laid, celui-là vraiment chauve"... ou bien encore "ce type est vraiment chinois". Mais à aucun moment: "Ces types ont une drôle de forme". Pourquoi ce jugement différencié? Hervé, que j'appelai rapidement m'éclaira un peu sur ce mystère. "Vois-tu Franck, me dit-il avec l'assurance de celui qui en a connu des wagons, les femmes sont vouées par nature à la procréation. La mise au monde d'êtres nouveaux est leur fonction première, et tout dans leur corps reflète cette fonctionnalité: un bassin large pour mettre bas, des mamelles pour allaiter, un postérieur rebondi pour tricoter devant la télé pendant la gestation. D'ailleurs, et c'était là son argument massue, lorsqu'on parle de l’être humain comme d’un mammifère, ne pense-t-on pas surtout à la femme?"
Ouais, j'étais à moitié convaincu. Après tout, en dépit de ces contraintes biologiques, certaines femmes tirent plutôt bien leur épingle du jeu, jusqu'à vingt-cinq ou trente ans en tout cas. Elles n'ont pas toutes ces formes lourdes, bêtes, comme moulées à la louche sur une charpente instable, à l'image de celles que je voyais se dandiner sur le carrelage de la piscine. Une belle poitrine, de jolies fesses, un ventre raisonnablement plat peuvent tout à fait selon moi donner le change, et pas seulement aux bébés. La question était donc à ce stade: une femme pondéralement surchargée peut elle, à l'instar de ses congénères mieux loties, faire oublier cette fonction ontologique de procréation? Il fallait que je m'en assure. J'ai appelé plusieurs amis mais aucun, malheureusement, n'avait jamais connu de grosse. C'est toujours ce qu'on dit. Si, un, avait renseigné la semaine passée une touriste américaine qui cherchait son chemin. Et puis un autre qui avait vu autrefois sa soeur obèse patauger nue dans la baignoire, mais ça ne comptait bien sûr pas. J'ai finalement obtenu le témoignage, sous couvert d'anonymat, de l'ami de l'ami d'un ami qui fréquentait depuis trois semaines et cinq jours une femme très enveloppée. Mais j'ai compris que cet individu venait de purger une peine de quinze ans aux Baumettes.
Au bénéfice du doute, j'ai quand même admis l'idée que les femmes, quelles qu'elles fussent pouvaient faire rêver, c'est à dire faire illusion. Restait la question du comment. En d'autres termes, par quelle bizarrerie de la nature l'homme désire-t-il la femme? Où est le truc? comme dirait Majax.
"Ce qui est sûr, m'a assuré Régis qui a des complicités avec nombre d'entre elles, c'est que les femmes elles-mêmes s'interrogent sur ce mystère. Dans le cadre intime de leurs ablutions, dans les noirs secrets de leur physiologie, elles se demandent souvent, selon lui, ce que les hommes au fond peuvent bien leur trouver, et ce qui peut chez eux motiver un tel empressement à jouir de leur corps. Il m'a juré que certaines d'entre elles, qui sont d'ailleurs ici dans la salle, prennent les hommes pour de vrais malades et ne se prêtent à des rapports physiques qu'avec la plus extrême parcimonie.
Bien, me suis-je dit, le mystère n'est pas percé, mais nous avançons. Les femmes ne seraient donc pour rien dans le désir qu'elles inspirent aux hommes. Ce que m'a confirmé Muriel un peu plus tard par email: "Tu sais Franck, nous les femmes, au bout du compte, on est bien peu de chose". Le jugement était sévère, mais j'avais l'impression que je touchais au but. C'est alors qu'en me promenant du côté de la place des Vosges, l'esprit plongé dans d'abyssales réflexions, j'ai rencontré par hasard, Steve. Hi. Hi. "Je crois pouvoir t'aider m'a-t-il dit amicalement. J'ai connu successivement des Américaines et des Françaises, c'est à dire après le pire, le meilleur. Je peux donc te parler des rapports men/women en connaissance de cause. Tu sais comme moi qu'on ne couche pas avec une fille parce qu'elle est intelligente. Si elle l'est, tant mieux bien sûr, ou plutôt non tant pis!" Je l'ai laissé s'esclaffer puis il a poursuivi: "Plus sérieusement, Franck, je crois que Dieu a son mot à dire dans toute cette histoire. C'est lui qui pousse l'homme vers la femme et pas seulement parce qu'il faut perpétuer l'espèce. Non, ce que je crois, c'est que l'homme, le mâle, depuis qu'il existe, n'a finalement qu'une obsession: les trous. Des trous, il veut en faire avec sa pelle, avec sa pioche, avec son épée, son fusil, ses canons, ses missiles... Si on le laissait faire, il ferait des trous partout. D'où l'importance de la femme pour calmer ses ardeurs. Oui, Je suis certain - et toi qui es né au pays des fromages qui puent, tu comprendras cette métaphore - que Dieu n'a inventé la femme et ne l'a rendue excitante à l'homme que pour éviter que la terre ne se transforme en un énorme gruyère".
Je tenais enfin ma réponse.