A la recherche de l'Amour perdu
mylou32
La présence à ses côtés d'une jolie femme noire aux yeux de braise attire mon regard, il s'écarte:" je te présente Nathalie" C'est presque ma fille" me dit ma mère." Elle m'appelle Maman Blanche. En sortant de l'aéroport j'appelais Gérald cela faisait onze heures que je ne l'avais entendu, il y avait la messagerie. J'allumais une autre cigarette avant de monter en voiture. " Nous allons à Bras-Panon, chez moi à la cure". Des senteurs moites me parvenaient de la vitre ouverte. Paysages inconnus et pourtant reconnus, ma mémoire revenait par vague, qui une odeur, un arbre en fleurs, des fruits en guirlandes, et j'écoutais le Père me faire les louanges de notre île, avec son accent qui me berçait dans un chant déjà connu. Arrivés chez lui, sa maison était derrière l'église, entourée d'un magnifique jardin fleuri, parfaitement entretenu. J'avais envie de marcher pieds nus, pour retrouver le contact de ce sol qui était le mien, ma terre natale. Les jours ont passé, nous avons voyagé dans mon île, j'ai revu ma famille, leur maison tout en haut des collines, signes évidents de réussite. Ils avaient laissé la ville à la basse couche de la société. Tout me paraissait petit , sale, seule les couleurs me dépaysaient, le bleu me paraissait plus fort , plus puissant. Les montagnes se découpaient au loin, plus menaçantes presque oppressantes. Ile naïve, je me sentais enfermée, prisonnière. Les fruits étaient abondants, mais les gens passaient sans les voir, zombies dirigés, manipulés, la nuit ne pouvait qu'être dangereuse. Leur agressivité le jour, leur violence étreinte sous des cendres de difficulté à survivre dans la misère. La nuit , des échos lointains de bagarres allumées par l'alcool, d'ivrognes se disputant la bouteille, chaleur moite. Et dans ces montagnes si prés de la mer, le silence: pas âme qui vive. Et ma solitude se ravive de jour en jour. Rues traversées dans les villes bigarrées, tout le monde se côtoie, s'interpelle dans une langue chantante, voix aiguës transperçant mon âme pour ne plus me sentir animale. Les jours passent et je découvre des gens qui se battent pour une autonomie plus large, La France aux dires de certains ne reconnait pas La Réunion avec une identité propre, elle maintient l'île sous une chape de silence; les postes clés étaient occupés par des "zoreilles", on prenait les réunionnais pour des sous-développés. Ces problèmes me semblaient tellement graves pour le respect de ses habitants que je me rends compte de ma situation privilégiée d'avoir vécu en France. Le créole vit en autarcie et avec une mentalité très fermée , vieille de cinquante ans en arrière , avec quelques voix qui s'indignent de la situation, mais peut-être vite tues par la chaleur tropicale et la misère quotidienne qui allait de soi parce qu'ils ne connaissent pas autre chose ou parce que l'Afrique du Sud et Mandela n'étaient pas bien loin. «La différence c'est La France!» on en parle comme d'une Amérique lointaine et terre promise, on y croit et cela fait rêver. Parenthèse ressentie au travers de mes rencontres là-bas. Je portais cette histoire en moi sans le savoir. Mes quinze premières années s'étaient construites avec cela. Je comprenais mieux ma répulsion face au racisme; à l'exclusion; à la souffrance quelle quelle soit. Au silence des injustices de proximité, celles du quotidien, qu'on ne parle pas parce que banales, minimisées, parce que tout le monde la vivait cette violence et qu'on avait tendance à penser qu'il y avait pire, et qu'après tout "on" était pas si mal que cela par rapport à quoi? à qui? C'est brouillon ce que je dis et je n'avais fait qu'effleurer le problème réunionnais , le livre de Père P "Quel diable de prêtre" le traite en profondeur avec un brin de révolte. Comment ne pas l'être? Comment ne pas dénoncer et la parler? Je voyageais dans toute l'île, je retrouvais une amie d'enfance: Marie-France, secrétaire médicale, elle portait sur elle une sophistication qui reniait un petit peu sa nombreuse famille et les souvenirs de partie de "riz chauffé" mangée à même la marmite avec la main. Je montais au Tampon où la fraicheur et la pluie me surprirent au détour de la rencontre de la famille de ma "nounou" Madame Damour, son nom même indiquait ce que j'avais reçu de plus précieux dans mon enfance. Sa famille était dans la même petite maison, dans le même grand tournant de la route. Je retrouvais les mêmes yeux bleus chez sa soeur ! le même étonnement et plaisir à me rencontrer, moi la petite fille devenue adulte qui avait tant compté dans la vie de sa soeur. Elle se rappelait de ce coup de fil reçu de la France pour me confirmer le décès de sa soeur. Elle se rappelait mes sanglots à l'autre bout du fil, ne sachant que dire pour me consoler. Je voulais revoir la maison de mon enfance, je voulais feuilleter les albums de la famille, je voulais des photos, je voulais qu'elle me parle de sa soeur, la faire revivre une dernière fois, ce qu'avait pensé celle qui m'avait élevé. Mon impatience fébrile à tout savoir , tout voir ou revoir. Racontes-moi, dis-moi comment, pourquoi? , et je pleurais:"Il ne faut pas pleurer, tu ne la laisses pas se reposer en paix!". Ces mots ne faisaient que redoubler ma peine. Je pleurais sur celle qui avait été ma mère pendant quatorze ans. Je sanglotais sur ce passé qui me rattrapait, qui me faisait mal , sur ce deuil, cette porte à refermer. J'étais venue et visitais la maison de mon enfance, mes larmes coulaient confirmant le but de ma visite, je ne les essuyais pas: elles m'étaient salvatrices, elles chassaient le doute, la maison vide remplissait ma certitude qu'elle avait vraiment disparue, emportant avec elle mes souvenirs d'enfance, mon histoire, ses vieilles chansons et vieux contes terrifiants, la chaleur du feu de sa cuisine au bois, l'odeur du café grillé et sa viande boucané, l'arôme des oeillets rouges cueillis pour les vendre au marché. Et la treille de raisin n'était plus là, ni l'odeur de la cire qu'elle mettait sur son parquet. Et enfin cette dernière vision d'une vieille dame qui m'avait serré dans ses bras sentant bon le savon. Ce jour-là le vent avait fait voler son chapeau de paille découvrant une chevelure grise par les ans. Elle avait son sourire dans les yeux et de la tristesse aussi que je n'avais pas capté, toute excitée à l'idée de prendre l'avion. Non ces souvenirs n'avaient pas disparus, ils étaient là en moi, remontant à chaque pas, me délivrant du chagrin emmagasiné pendant toutes ces années d'absence. Je la faisais revivre à chaque pièce que je franchissais, au travers chaque regard posé sur toutes les choses qui faisaient le lieu. Sa soeur et ma mère papotaient, indifférentes, ignorantes de ce que je vivais de l'intérieur. Brouhaha de conversations qui m'indignait et m'agaçait, comme ces gens qui parlent forts dans une église ne respectant pas le recueillement qu'exigeait l'endroit. Emotions pures, douloureuses, je retrouvais le perron, le jardin entourant la maison me paraissait petit, abandonné. La pluie faisait jaillir les couleurs, lavant les feuilles vernissées des plantes. Lavant aussi ma peine, mes larmes ne se voyaient plus dehors. Une fraîche odeur de terre mouillée remontait du sol. Une main se posait sur mon épaule, je fermais les yeux, l'interruption me ramenait dans la réalité douloureuse d'être vivante, d'être obligée de reparler, communiquer. Nathalie me demanda doucement:"Veux-tu que je prenne des photos?" Sa voix se frayait un passage au travers mes émotions, et, comme un réveil que l'on remonte à l'aide d'une clé, je me remis à fonctionner, à me sentir, à capter les sensations extérieures. J'acquiesçais sans paroles . La date du départ approchait. Je reprenais l'avion sans regrets, avec la certitude que mon île m'attendrait. Que ma vie était à présent en France, la sureté que je reviendrai me faisait regarder devant, l'avenir, des projets pleins la tête, professionnels avant tout: acquérir des diplômes pour aider les gens de mon île. Faire des formations pour me protéger et repartir là-bas pour soulager, aider, la misère peut-elle être plus supportable au soleil? a-t-elle une couleur différente? l'éclat du soleil est-il si fort qu'on ne la voit plus?Les lunettes de soleil des riches touristes occultaient-elles les gens qui ne voyaient plus que l'obscurité au bout du chemin?...