À la vie... À la mort
Didier Benini
- Bonsoir.
- Bonjour.
- On avait rendez-vous ?
- Disons que je vous attendais.
- Nous avions rendez-vous et je l'avais oublié ?
- En fait vous l'ignoriez.
- Ah bon ?!… Enfin, peu importe. Nous nous connaissons ?
- Non mais nous allons nous ‘s'appendre'.
- ‘S'apprendre' ?!
- Oui, s'apprendre. Je vais apprendre à vous connaître et vous en ferez de même avec moi.
- Ah bon !?… C'est bizarre. Ça n'est pas dans ma nature de me ‘s'apprendre' comme ça, sans plus de liens, sans aimer.
- Une objection ?
- Non pas du tout. D'ailleurs je m'étonne de la sérénité qui entoure notre rencontre, ou plutôt notre presque rendez vous.
A vrai dire je me sens plutôt bien. Je pense que l'on doit se sentir comme cela après avoir avalé un tube d'anxiolytiques. Pas vaseux, seulement apaisé. C'est vous qui me faites cet effet ?
- Pas exactement, j'essaie simplement qu'avant de l'inviter au départ, mon hôte soit en paix.
- Départ ? paix ?
J'étais en guerre ? je pars en guerre ?
- Non pas vraiment. Mais marchons un peu, avançons.…
Est-il besoin d'une guerre pour combattre ? Ressentir l'impérieuse nécessité de lutter ?
- A vrai dire non, vous avez raison.
D'ailleurs ne faut-il pas déjà arracher notre premier souffle pour naître à un autre chaos ?
Peut-être pire qu'un chemin de tranchée celui qui nous sort de ce ventre sans sexe ! Pas de vainqueurs, seulement une blessure et deux sangs mêlés dans un même tourment.
- Chaos ?! Tourment ?!
Mais le jour ne reflète t-il pas la plus céleste des lumières ?
Lors de l'une de ses trop brèves éclipses, son astre me confiait se répandre en vagues chaudes, d'une douceur capable de panser les plaies, fertiliser les terres, faire à nouveau battre un cœur tari d'amour.
- Malheureusement aucun rayonnement d'aucun astre ne saurait apaiser les maux des hommes seulement sensibles à leur propre éclat…
A propos, c'est normal cette obscurité ?
- Oui. Ce ne sont pas encore là les ténèbres mais déjà la fin d'un jour, le début de votre nuit.
- Ma nuit…
Mais vous ne restez pas ?
- Non, je n'assure que le trépas.
- Ah ?! mais au-delà du passage je risque de me perdre. Et puis je m'attends à tout !!
Vais-je trouver mon chemin ? vers où… ? seul… ? longtemps… ?
- Vous voilà bien !
Ce besoin d'éclaircissements…
Le jour vous habite encore un peu.
Cette constante quête du scintillement des choses, des autres, des évènements, votre nécessité absolue d'y apporter ou d'y trouver une nouvelle clarté, la vôtre.
Laissez la nuit vous envahir. Les ténèbres allégeront vos pas du fardeau des lumières, sans ces illuminations peut-être trouverez-vous dans l'obscurité une nouvelle lueur ?
- Vous avez certainement raison mais laissez moi le temps de me ‘s'apprendre'…
Même si je ne brille plus, mon éclat aiguisé au fil du temps résiste encore et tente en vain de pourfendre l'ombre d'un feu disparu.
Si toutefois je ne m'y faisais pas, pourrais-je vous appeler au secours, compter sur votre opacité pour éclairer mon chemin. ?
- Lorsque enfin vous perdrez le sens de la lumière, comme un frêle esquif sur l'océan la nuit vous bercera de ses plus doux remous.
Il me faut à présent vous laisser continuer seul votre passe. Un jour m'attends, … le mien.
- Vous allez vers le Jour ??!!
- Oui, c'est à moi d'y apparaître maintenant. D'ailleurs je ne retrouve plus mes lunettes et je crains d'en avoir besoin après tant de nuits.
- Tenez prenez les miennes, elles sont excellentes, indice de protection 3. mais prenez aussi mon parapluie, à la Lumière le soleil n'est pas toujours au rendez-vous.
Pardonnez-moi cet ultime halo de clairvoyance, mais si l'on passe ainsi du jour à la nuit et de l'obscurité à la clarté, qu'en est-il du miracle de la vie ?
- Rassurez-vous, je naîtrai nu de mes savoirs.
Les hommes apprennent mais ne retiennent rien, ainsi peuvent-ils toujours se raconter des Histoires.
- Bon et bien,… Bon Jour.
- Bonne Nuit.