A l'âge du radotage

Jean Claude Blanc

putain de mémoire

          A l'âge du radotage

Je m'en souviens c'était hier

Y'avait du monde dans les chaumières

De ces mercenaires téméraires

Qui s'épaulaient dans la misère

Pour cultiver leurs maigres terres

 

N'étant encore qu'un minot

Ces gueux je les toisais de haut

Alors que là-bas près du ruisseau

Se laisser couler l'ordre nouveau

Sur SLC à la radio

 

Ainsi j'errais dans les nuages

Pas de limites aux pâturages

Tellement génial notre entourage

Tous habitants du même village

 

Sur les montagnes escarpées

S'y accrochaient, pins et sapins

Débarrassés des haies de genêts

Qu'à cette époque on taillait

Pour éclaircir notre chemin

 

Juste l'espace pour passer

S'y balader sur ces sentiers

Où n'y avaient que des mulets

Chargés de bois pour la cheminée

 

Pour protéger le paysage

Qu'il ne soit pas voie de garage

Déjà les vieux s'en souciaient

Car c'était bon pour la santé

Y'avait rien de mieux que la marche à pieds

 

Décor de hêtres, de noisetiers

Et d'herbes folles à satiété

Un vieux château bien haut perché

Pour évoquer le temps passé

Hélas en ruine, dépouillé

 

Soufflait la bise signe de beau temps

Grâce à cet air transperçant

Qui nous fouettait vivement le sang

Certains tenaient jusqu'à cent ans

 

Malgré la rigueur de l'hiver

On se roulait dans les congères

Si on avait la goutte au nez

On nous servait pour le goûter

Un bol fumant de café au lait

Même jusqu'aux os de neige trempés

On se dévêtait sans se faire prier

Dans cette seule pièce où l'on vivait

(Qu'on surnommait le gabinet)

Où n'y régnaient que quelques degrés

Ainsi notre corps s'aguerrissait

 

Les paysans, hommes à tout faire

Supportant pas le feu d'enfer

Bricolaient en leur atelier

Evidemment emmitouflés

Rafistolaient râteaux cassés

En prévoyance de l'été

 

C'était le moment du grand rangement

Lorsque dehors hurlait le vent

Faire la trace jusqu'à l'étable

Casser la glace en eau potable

Donner aux vaches, leur part de foin

Taper la belote entre copains

 

Si je croyais au Père Noël…

Seulement pour plaire à mes parents

A ces coutumes j'étais rebelle

Car je n'étais plus innocent

Même à l'école maternelle

 

Me suffisais de papillotes

Et d'une orange, issues de leur hotte

N'étant pas riches de sermons

Ma mère, mon père, manquant de pognon

Mais pleins d'amour pour leur garçon

Tellement timide mais si mignon

 

On tuait le cochon en février

Que l'on avait bien engraissé

De pommes de terre, de navets

On en tirait jambons fumés

Qu'on tenait au frais dans le charnier

Pour plus tard s'en régaler

 

En mars sautaient nuées de grenouilles

Que l'on chopait dans les marées

Même des flics pas la trouille

Qui n'allaient pas se geler les couilles

En ces nuits noires, frigorifiées

 

Tous ces instants de réjouissance

Les ai vécus, j'ai eu cette chance

Réapparaissent en résurgence

Quand sur mon sort je m'épanche

Que reste-t-il de ces chimères

Dans nos quartiers de béton austère

Où on s'éclaire aux lampadaires

Chacun chez soi en sa tanière

A ruminer, vieux solitaire

 

Juste par regret on se rappelle

De ce bon temps à la vie belle

Lorsqu'un de nous manque à l'appel

On s'ensorcelle la cervelle

De ces souvenirs immortels

Dur revenir dans le réel

 

Portent un nom nos disparus

Qui fait honneur à leur vertu

Celle de s'escrimer à la charrue

Pour nous nourrir petits malotrus

 

Trop jeune hélas pour piger

Qu'ils étaient nés pour en baver

Ces valeureux, d'avance broyés

Face à l'essor de ce progrès

Qu'est remonté dans la vallée

Où y'a plus guère d'héritiers

 

Je me souviens de ces belles heures

Gosse naïf et rêveur

Car si l'on crevait pas de faim

On s'amusait de 3 fois rien

 

Plus bien alerte, encore j'espère

Venir faire mon tour dans les bruyères

A la saison des champignons

Et des airelles à foison

 

Ce qu'il nous reste dans ce brouillard

Que des « charrives » défoncées (chemins forestiers)

Et des « jasseries » abandonnées (burons)

Des raidillons qui mènent nulle part

 

La soif d'en être me donne des ailes

D'aller danser au son de la vielle

Pour la bourrée, je fais merveille

En slalomant entre les bouteilles

Sage auvergnat, toujours je veille

 

A ces rituels, je me voue

Des histoires à dormir debout

N'enviant pas tous ces jaloux

Qui ne croient plus au loup garou

Bien qu'ils s'invitent au mois d'août

Comme je les plains ces prétentieux

Trop consciencieux pour être heureux

A nous donner leçons de morale

Alors qu'ils craignent tellement le mal

 

Mais la nature triomphe toujours

Même que demain il fera jour

Poussera le blé et le chiendent

Même si on n'a plus mal aux dents

 

Après le froid, le mauvais vent

Lentement paresse le printemps

Jonquilles, narcisses inondent les champs

Qui s'offrent gratis, sans argent

 

Le soleil se lève, sur ma maison

Lueur d'espoir à l'horizon

Tout est en place, à l'unisson

Alors vais faire ma provision

De sérénité, de sensations

 

Me plongeant dans l'introspection

Je m'imagine fuite des saisons

La floraison et les moissons

Finalement on tourne en rond

Mais croyez pas que je me morfonds

 

Il n'y a pas plus bel hommage

Que se retourner vers nos ainés

Ces laborieux pèlerins sages

Qui n'ont été que de passage

Nous laissant seuls, pour continuer

Après nous avoir enseigné

Ce qu'est la solidarité

 

Frères humains, sans condition

Comme le suggèrent nos dictons

Nous faut faire fi, de la bise qui pique

Etant élevés à coups de trique

 

Pour terminer ce doux refrain

Je vais y'aller d'alexandrins

Conte de raisin changé en vin

Que mon vieil oncle m'a appris

Tout en riant de ses folies :

 

«Toi qui a tant souffert de la pluie de la grêle

Te réserve en mon bide, un petit coin bien chaud »

Plaisante ainsi l'ancien, qui trinque à la chapelle

D'un verre d'eau de vie, qu'il avale tout de go

Comme on dit par ici, saoul comme un étourneau      JC Blanc  janvier 2017(mémoire vive)

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