A l'imparfait

alison_pi

Lorsque j'appris à conjuguer à l'imparfait, c'est toute une réalité qui s'est avérée filer. Associant les faits pour marquer une histoire singulière à l'encre de la vérité, l'imparfait m'a fait penser

Je me souviens lorsque j'appris à m'exprimer à l'imparfait. J'étais en CE2.
J'aime ce temps, j'aimais le conjuguer et ainsi surprendre les verbes s'allonger et voir leurs actions défiler. 
Lorsque j'ai appris l'imparfait, j'ai compris qu'il fallait décrire la réalité en associant des faits, et ainsi sauver les temps imparfaits de l'amertume. 
Il m'eut fallu très tôt apprendre à écrire pour faire découler sur des pages vides un mouvement indéfini, mais aussi et d'abord du temps pour comprendre.
Comprendre que la vie est un espace de silence et que le temps est fait pour penser, et que moi dans tout ça je suis seulement une simple matière à toute cette mascarade particulière. 

Très tôt, l'idée d'entrevoir et de percevoir par dessus les faits des signes, et en faire une richesse sans prix m'eut permit de m'enrichir du savoir.
Telles restent mes leitmotivs pour aimer vivre et découvrir ce qui m'entoure. 
Sans compter que dans les faits je suis plutôt curieuse et assagie... 

Par exemple, à l'âge de 4 ans alors que je prenais mon petit déjeuner accompagnée de ma mère et de mon grand frère âgé de 6 ans, je me souviens que j'étais ailleurs comme plongée dans mes pensées. 
Cela me rappelle ces trajets en voiture avec le regard plongé dans l'horizon. Je laissais mes yeux voguer de points en points, de couleurs en couleurs au loin. Des lignes, des ronds, du mouvement et de la vitesse, j'aimais sentir mon esprit se perdre et je prenais plaisir à le suivre dans ce chantier. 
Mais revenons-en au général, ce matin là, je regardais par la fenêtre, je ne mangeais pas. J'étais comme bloquée et tournée vers l'extérieur. 
D'un coup, je fus rattrapée par une sensation désagréable. Comme un choc qui vint en réaction à la question de ma mère 
"A quoi penses-tu" me dit-elle, tout en mâchant sa tartine beurrée qu'elle aimait tremper dans son lait. 
A vrai dire, ce petit plaisir me répugnait.
Pourtant, ce matin là elle me fit un don. 

Celui de penser. C'était donc ce que voulait dire penser dans "A quoi penses-tu?". 
A cet instant, cela signifiait regarder vers l'extérieur, réfléchir sur cet arbre qui ce matin là se penchait derrière la fenêtre, à moins qu'il ne se cachait du vent.
Penser, il s'agissait de percevoir le mouvement de sa propre perception. 
Mais pas que. Car penser c'était aussi être extrait de ses rêveries. Cela m'a aidé à me détacher de l'égo, et à me positionner au devant de la pensée de l'autre. J'avais 4 ans.  
Je venais de conquérir une vérité, celle que ma mère me proposait ce matin là au petit déjeuner. 
Je me souviens alors que mon expression ne fit pas triste mine. De la nonchalance, comme à ma grande habitude. 
C'est alors que je retournais à mes occupations avec davantage de réponses, sans pour autant  avoir poser de question.
Je ne répondis rien sur le coup mais je compris beaucoup.
Je me repris à regarder avec abondance l'arbre et ses branches. Je revois encore la lumière en ce matin, elle était claire et la cuisine s'en était inspirée ou l'avait aspirée, que sais-je au fond.  

Ah si! Je sais ! Je me souviens quand j'eus ma première théorie de l'esprit. Ce fut à 6 ans, si ce n'est pas plus tôt.
A 4 ans déjà,  je tripotais pendant des heures des objets et les cailloux trouvés sur mon chemin. Jusqu'à l'âge de 5 ans, je collectionnais des escargots que j'alignais dehors, devant l'entrée de la maison lorsqu'ils étaient de sortie selon les conditions météorologiques. Il m'arrivait souvent de les casser, et alors je me faisais enguirlander. L'on ne devait et ne doit pas faire de mal aux autres me répète la vie.
A 5 ans toujours, je restais collée contre les murs de briques rouges qui longeaient la maison de ma grand-mère. Je suivais le ciment sur lequel passait de temps à autre des fourmis. 
Plus tard, j'allais dans son grenier pour y dévoiler des objets aux ombres ténébreuses et aux histoires passionnantes. 

Assise des heures dans l'escalier qui se finissait sur une porte en bois épais, en tailleurs en haut de l'escalier, mes pieds sur le plancher je les sentais planer dans la pénombre. 
Dans l'obscurité du grenier, l'on pouvait entrevoir par dessus le bois de cette gigantesque matière une brèche, à travers laquelle la lumière passait. Ce devait être vers l'âge de 6 ans que je compris les sens cachés d'un instant présent.
Je me souviens des pensées que je créais dans ces moments de solitude. 

Par exemple, des heures durant dans le silence je démasquais ma réaction suite au contact avec des éléments extérieurs. 
De cette lumière qui formait une ligne c'est une démarcation  qui parvenait jusqu'à moi. C'est alors qu'éclairée, je compris que définir la vie par des mots mis en pensée me donnait également une limite, celle de l'instant partagé entre différentes matières. 
Et finalement cette pensée accompagnait mon corps de sensations délicieuses et surprenantes.
Je sentais ce bois, je pouvais le toucher et aussi sentir la lumière s'échapper par dessus cette grande porte robuste. Je le ressens toujours aujourd'hui.

Suite aux heures que je passa dans ce grenier, cachée des autres et de leurs réalités, je compris que l'égocentrisme et l'introspection amenaient à des conséquences.
Comme celle de la solitude et de la capacité d'être seul en présence d'autrui et ainsi apprendre à vivre et à mourir avec plaisir.
D'ailleurs plus tard, je me souviens qu'à l'école l'on nous avait appris les subordonnées relatives. Celles ci me permirent d'entrevoir la cause et l'étiologie de mes actes.

Toujours chez ma grand-mère, coupée du monde d'autrui, j'aimais rêver et mettre en pratique le savoir. 
Ce sont dans ces instants que j'ai apprit à créer. Car en raisonnant ainsi, grâce aux phrases relatives si je prenais telle décision alors telle chose se produirait. 
En réalité, ce furent les si et les alors qui parsemèrent ces longues journées ternes de couleurs singulières. 
Enfant, je passais du temps à comprendre les différents intérêts pour lesquels une chose pouvait en entraîner une autre. J'appris que cela pouvait tout aussi bien se produire dans d'autres situations, mais sous différentes conditions. 


Comme par exemple le jour où ma mère m'apprit le mot penser
Ou de cet été et de ce soleil qui vint effleurer mon esprit et éclairer un instant ma solitude d'illusions, en la sublimant. 

Je continue d'aimer cette lumière qui me vient de l'extérieur, telle une simple pensée singulière qui me transcende lorsque seule, je me revoie dans ce grenier entourée d'une micro réalité. 

De toute bonne foi, l'imparfait me permis de tisser des files d'une histoire qui découle d'une simple existence,  fleuris de souvenirs qui resteront incompris.

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