A little bit more
Marcel Alalof
Le train entre en gare de Clermont-Ferrand, son terminus. Il ouvre les yeux, ne sait pas d'abord ou il est. Il voit le compartiment désert, son livre tombé à ses pieds. Il réalise qu'il s'était assoupi. Il sent son visage, son cou, ses épaules, détendus, comme après une séance de yoga ou de relaxation. Il empoigne son cartable de cuir marron qui l'accompagne depuis les premières heures de l'Université, un cadeau de son oncle, lorsqu'il avait réussi en candidat libre, son baccalauréat que la famille n'attendait plus. Il traverse le couloir, dans le sens le plus proche de la sortie de la Gare.Au moment où il arrive vers la porte, il devine une personne devant lui, qui a quelque peine à descendre sa valise sur le quai, bloquée à l'entrée par le volume de celle-ci. Il lui propose son aide, sans même la regarder. Ou plutôt si, il la regarde au moment où il termine sa phrase. Il voit une jeune femme brune aux cheveux courts, petit nez, yeux clairs, encore joufflue, qui lui sourit avec timidité. Il a tout de suite envie d'elle.Il lui propose de porter sa valise jusqu'à la station de taxis, entame la conversation. Elle a vingt-deux ans, est stagiaire dans un club de vacances, rentre passer quelques jours chez ses parents. Il lui dit qu'il vient pour une expertise judiciaire. Il est descendu à l'hôtel de la Gare, sur la place de la Poste, qu'il aime beaucoup pour son calme et son excellente table. En même temps qu'il dépose sa valise devant la station de taxis, prêt à la quitter, il lui propose naturellement de dîner avec lui à l'hôtel. Elle lui sourit, semble hésiter. Il poursuit : « mettons, dans deux heures ! » Elle répond : « je ne sais pas. Si je n'y suis pas, disons que vous commencerez sans moi ! » Il ne comprend pas très bien le sens de cette phrase, mais n'insiste pas plus, pour ne pas se heurter à un refus net.
Rentrée chez elle, elle voit l'appartement désert. Ses parents ont dû oublier qu'elle rentrait. L'examen du contenu du réfrigérateur le lui confirme. Elle est d'abord contrariée, puis se dit que ses parents lui manquent quand ils sont absents et qu'ils l'agacent quand ils sont là.D'un coup, elle étouffe, se sent moite. Elle enlève son jean, ses chaussettes, son T-shirt, qu'elle laisse sur la table de la cuisine, se dirige vers le salon, où elle se plante devant le miroir à trois faces. Elle se contemple, intégralement nue, l'état qui la rassure. Elle voit ses seins au galbe parfait,en forme de globes, si fermes qu'ils semblent flotter en l'air. Ses quelques amants avaient tous étés affolés à leur vue. Elle contemple ses longues jambes aux cuisses musclées, aux chevilles fines, puis, dans les glaces latérales, son dos, ses fesses qui semblent sculptées dans le marbre grec. Enfin, son sexe, dont seule la raie médiane n'est pas épilée. Elle est fière de son corps, ne sait pas encore que pour la plupart des hommes,elle représente, avec son visage de poupées, le fantasme d'une nuit, pour les pervers, une proie.Elle prend une longue douche chaude, répartit sur l'intégralité de son corps un gel à la menthe dont la fraîcheur la surprend encore, puis se rince.Une fois séchée, elle semble réfléchir, puis entre dans sa chambre, ouvre ses placards, après quelques hésitations extrait un pyjama de soie ivoire aux reflets moirés, composé d'un pantalon à ceinture élastique et d'un haut à manches longues. Va-t-elle se coucher de si bonne heure ? Elle inspecte, sur une autre étagère la quarantaine de slips impeccablement alignés, choisit un string de dentelle aux motifs érotiques de temple hindou.Elle hésite à peine pour les chaussures, optant pour une paire de ballerines noires, assortie à la couleur de sa chevelure. Une fois prête, elle dépose deux gouttes de parfum(" l'Indiscret" de Lucien Lelong) sur sa nuque, à la base de ses cheveux, les étale d'un trait de doigt.
Lui, une fois rentré dans la chambre d'hôtel s'est allongé sur le lit, après avoir tiré les rideaux. « Pour quelques minutes ! » pense-t-il. Il se lève beaucoup plus tard, inconscient du temps qui est passé, en cette saison où la luminosité ne cède pas. Il veut se brosser les dents, ne trouve pas sa brosse. Il retire une mignonnette de Jack Daniel's du minibar, se gargarisant jusqu'à ce que sa bouche lui brûle, puis avale le liquide.
A peine a-t-elle franchi le seuil du restaurant que le maître d'hôtel se dirige vers elle avec empressement.Elle se rend compte qu'elle ne se souvient plus du n om de son hôte,prend la parole la première : »Bonsoir !j'ai rendez-vous avec l'oncle d'une amie pour dîner.C'est un client de l'ho^tel.malheureusement,j'ai oublié son nom ! »Le maître d'hôtel lui rend son sourire,répond avec philosophie : »Le choix de la table vous échoit donc »,et l'invite à choisir.
La salle de restaurant,en réalité une brasserie , partagée en son milieu par une allée qui dessert de part et d'autres,des boxes de bois sombre rehaussés de lampes de cuivre d'époque 1900,est déserte.Elle observe,en même temps qu'ils avancent,le sol recouvert de mosaiques pour la partie centrale et de moquette bordeaux pour l'espace dévolu à la restauration,les miroirs biseautés disposés sur les mursentre les ouvertures,qui renvoient chacun plusieurs reflets de la même image,les vitres opaques aux armoiries rouges et vertes de la ville.Et surtout,accroché par des filinsaux très hauts plafonds,un avion ancien à hélice dont la présence en ce lieu qui n'a rien d'un musée,lui paraît incongrue.Le maître d'hôtel devinant son étonnement va au-devant de sa question ! »C'est le biplan de Nungesser et Colli.La direction a pensé qu'il rajouterait au cadre.En plus,il s'allume comme un lustre.Elle le remercie du regard,se dit qu'elle vérifiera car,à sa connaissance,il était toujours porté disparu.
« Vous prévoyez du monde au restaurant,ce soir ? »Il fait un petit signe de dénégation. »En principe,non.En cette période de vacances,tout le monde a quitté la ville !Quelle table vous ferait plaisir ? »Elle se dit qu'un box serait trop intime pour une première rencontre et opte pour une table ronde,en bordure de l'allée centrale.
Dans ce même laps de temps,lui,une fois réveillé de sa sieste,ressent l'envie de sortir,pour visiter la ville,se changer les idées.Il se sent poisseux après ce voyage trop long en costume de demi-saison,dans un train non-climatisé.Il entre dans la salle de bains,se fait couler un bain,chausse les pantoufles de l'hôtel pour ne pas glisser sur le carrelage et tout nu,entreprend de se raser.Ensuite,il jette quelques sels de lavande dans son bain,dont il contrôle prudemment la température,avant de s'y plonger.Il profite du bain à remous pour se masser le dos,se laisse aller,les yeux fermés,laissant régulièrement couler l'eau chaude,quand la température commence à refroidir.Puis,il s'extrait de son bain,enfile un peignoir,se sent suffisamment détendu pour aller se coucher.Mais,il a faim.Il n'appelle pas le room-service,toujours décevant,sauf à Pau,enfile ses vêtements et descend.Il doit être très tard,car,en cette soirée de plein été,il fait nuit noire !Arrivé à la réception,il demande où est la brasserie,vers laquelle ensuite il s'achemine ,les jambes cotonneuses,dans un état de semi-coma.Il est passé par l'extérieur,pour contempler la façade.Il pousse la porte de la brasserie.
Alors qu'il pénètre dans la salle,il devine une jeune femme qui se dirige vers lui ;Il sent qu'elle le regarde pour l'inviter à céder le passage.Il s'efface pour la laisser passer.