A Paris, Vivre
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A Paris, vivre
Il n’est qu’au creux de toi que je me sens chez moi, ma ville, où chaque matin je parie mon bonheur. Chacun de mes pas porte mes souvenirs dans tes rues. Je suis entière dans l’éclatement de tes quartiers. En dix ans de cohabitation j’ai vu tes voies et tes travers. Si j’ai pu aller loin, si j’ai pu partir, c’est que j’étais forte de te savoir là. Pour dire bien, il faudrait dire tous les lieux, toutes les rues, toutes les années, tous les instants, toutes les places, toutes les nuits, tous les regards, tous les va et les vient du métro, tout le silence bruyant des passants. Pour dire bien il faudrait dire le commencement de tout cela.
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Je suis en haut, tout en haut, sur le rebord. Les effluves du boulevard Barbes montent à moi, c’est vibrant de bruit, de mouvements, ça grouille comme la vie, ça ne me dégoûte pas. Je regarde de haut mais sans condescendance, les cliquetis du manège, ce n’est que mon regard qui descend, qui me descend, me flingue en bas comme une tache obscène, un corps ramassé qui résonne de silence. Mais je ne saute pas, je regarde le boulevard, je l’ausculte, je ne l’avais jamais vu ainsi, de si haut. Sur le rebord de la fenêtre du huitième étage la vue est différente. D’habitude je suis dans le boulevard ou bien je le regarde à l’horizontale, il est devant moi avec sa faune bruissante, avec ses voix qui vous alpaguent, qui vous vendent la voie royale jonchée de montres, de bracelets, de parfums trafiqués. Et puis plus haut et puis plus loin, ce n’est plus les objets que l’on vend, c’est un peu de plaisir contre un peu de monnaie, et ça non plus ça ne me dégoûte pas. C’est le lieu où je vis, c’est la ville que j’habite, et je la prends avec ses misères et ses caniveaux, et avec ceux qui sont dedans. Mais non je ne saute pas, je ne me suis pas mis sur le rebord de la fenêtre pour sauter, je m’y suis mis pour mieux voir,. Debout, sur les pointes, il m’aura fallu ouvrir les battants et enjamber pour changer de perspective. D’ici je vois la Tour Eiffel, j’ignorais qu’on pouvait l’apercevoir, elle vous nargue du luxe de sa lumière, comme pour vous dire « souriez, pas de mauvaise publicité pour la ville la plus belle du monde, la plus glamour, souriez, et cachez vos mendiants, dissimulez votre solitude. » C’est une lutte vaine, même sur les Champs Elysée on trouve des quêteurs de rêves, des embobineuses de bonne aventure. Moi mes rêves je les ai à portée de main droite, je détourne mon regard vers l’intérieur, un bureau, un stylo, des feuilles, des rêves emmurés dans le papier peint d’un 20 m². J’inspire, je rentre en moi, je me retrouve, je descends du rebord de la fenêtre du 8ème étage. Ma ville est un roman.
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Je me promène rue Myrrha, la rue la plus sûre de Paris, même de nuit. Pas parce que les policiers y rôdent mais tout simplement parce qu’il y aura toujours du monde pour vous entendre crier, parce que les gens de la rue connaissent votre prénom, parce que vous êtes des leurs, même ma voisine bretonne qui est blonde aux yeux bleus, elle est des leurs, elle habite la rue, elle est d’ici.
Moi, je n’ai pas l’esprit de quartier, je suis apatride, apolitique et athée, mais j’aime cette rue, je l’aime encore plus ce matin-là parce qu’elle m’offre un moment de grâce. Tout du long s’étalent des tapis de prière, aucun ne se ressemble, aucun n’a le même tissage, la même couleur, je le sais parce que je le vois. Les hommes, les hommes seulement, jeunes, vieux, éprouvés, moustachus, chauves, vigoureux, tous les hommes sont là le long de la rue, agenouillés pour la prière. Il y a dans leur posture, dans leurs voix qui s’élèvent, dans l’humilité de leur foi, la force et la faiblesse de celui qui croit et qui n’a plus de lieu pour prier. C’est une mosquée en plein air. Je reste figée, muette, invisible, je suis la seule femme, la seule. Les hommes, absorbés par leur rituel, ne me voient pas. Je ne devrais pas être ici près d’eux, ils ne devraient pas être ici en pleine rue. Mais ce hasard indécent m’a permis d’entrer dans l’intimité de leur croyance, dans la beauté de cet instant offert. Alors je retiens tout, tout pour l’écrire plus tard et parce qu’il m’a été donné de voir cela, je remercie l’indécence du hasard.
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C’est toujours la même complainte : « Bon sang mais qu’est ce que tu peux bien lui trouver à cette ville, où y a même pas la mer, même pas la montagne, même pas la forêt, ou y a rien de rien que de la pollution ! ».
Alors je lui ai montré, je l’ai pris par la main, on a monté les soixante quatre marches de l’escalier qui mènent à la petite ruelle et je lui ai montré. Près de la place Stalingrad s’étend une longue ligne d’eau, prise dans la glace, bleutée par les lumières qui s’y reflètent. Non ce n’est pas la Seine, non il n’y a pas de bateaux mouches mais un seul petit truc à moteur qui oscille d’une rive à l’autre pour emmener les parisiens de chaque côté du cinéma. Un cinéma à deux rives au bord du canal, où je viens souvent seule. J’y plonge mes souvenirs, les lave, les porte à mon regard, et oui pour moi, ça vaut bien la mer, ces souvenirs là, ces rues là, ces lieux là, ces gens là, ça vaut bien la mer.
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Mon Paris est d’Ailleurs, pas cosmopolite ni international, d’Ailleurs, parce qu’il s’y produit des moments d’ailleurs, des moments qui rompent le déroulement bien huilé de la vie, hors-circuit, hors champs, parce que dans ses rues que l’on n’a pas encore parcourues il est des moments que l’on n’a pas encore vécus. C’est pour cela que j’y viens, pour cela que j’y reste, pour cela, rien que pour cela, y vivre.
Saisissant. Voilà le premier mot qui me vient. C'est un travail percutant, sensible et poignant.
· Il y a plus de 14 ans ·Un grand bravo, de la part d'un Parisien.
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