A trop jouer avec le feu on se brule

plumedesang

Voici ma dernière nouvelle à ce jour.

La vie est semée d'obstacles plus ou moins difficiles à surmonter, pourtant rien n'est plus douloureux que la perte d'un être cher.

Je ne le sais que trop bien, j'ai perdu mon père à l'âge de 17 ans.


J'étais encore au lycée quand cela s'est produit. Je baillais aux corneilles en plein cours de maths lorsque la CPE, après avoir frappé à la porte de la salle de cours, indiqua au professeur que la conseillère d'orientation souhaitait me voir. Après que M. Baillol m'ait donné son accord, je rassemblait mes affaires et me levai de ma chaise, emboitant le pas à Mme. Dumoulin me demandant de quelle connerie j'allais encore être accusée cette fois-ci.

C'est donc exaspérée que je rentrais dans le bureau de la CO. Je me préparait mentalement à lui débiter le même discours que je servais aux profs et aux pions à chaque fois qu'ils me surprenaient à fumer des cigarettes ou d'autres substances diverses et variées dans les WC, lorsque elle me coupa net dans mon élan, balançant de but en blanc: « Mlle. Dupont, je suis désolée de vous l'apprendre mais votre père est décédé il y a environ deux heures, mes plus sincères condoléances ».

Cette phrase me fit l'effet d'un boulet de canon reçu en pleine poitrine, je suffoquait, peinant à tenir sur mes jambes flageolantes sous le coup du choc que je venais de subir.

« Votre mère nous a téléphonés pour nous prévenir, elle est en route pour venir vous chercher, elle sera présente d'ici une demi-heure ».

Les sons me parvenaient étouffés, comme si quelqu'un me parlait depuis la surface en s'obstinant à maintenir ma tête sous l'eau. Même le visage de la conseillère devenait flou, laissant place à de petites taches noires qui dansaient devant mon champ de vision. Puis tout d'un coup plus rien.


La première chose que je vis à mon réveil était le visage inquiet de ma mère. Puis une douleur, tout d'abord légère, se fit sentir progressivement dans le bas de mon dos pour finalement devenir insupportable. La voix de l'infirmière scolaire parvint à mes oreilles: « Suite à son malaise, elle à un bel hématome au bas du dos, mais par chance rien de cassé, en revanche suite au choc de la nouvelle, il lui faudra surement consulter un psychologue mais elle s'en remettra avec le temps. Toutes mes condoléances, Mme. Dupont ». Ses condoléances? Mais qui était mort et qu'est ce que... Soudain l'épisode dans le bureau de la conseillère me revint de plein fouet en mémoire: mon père était mort.


Les obsèques eurent lieux trois jours plus tard et le cercueil fut mis en terre dans le cimetière situé sur les hauteurs de la ville. Je fus dispensée de cours pendant un mois et demi, le temps de me remettre de mes émotions. Les jours passaient, mais pas la douleur, même les séances chez une psychologue préconisées par l'infirmière scolaire n'y faisaient rien. Quant au soutien de ma mère et de mes amis, aussi réconfortant soit-il, il ne parvenait pas à combler la terrible sensation de manque que j'éprouvai.

C'est un soir, alors que je noyais ma peine dans une bouteille de vodka que j'avais subtilisé à ma mère, devant mon écran d'ordi, isolée dans ma chambre, qu'une idée germa dans mon esprit.


J'étais en train de regarder un énième film d'horreur mettant en scène une bande de jeunes faisant une séance de spiritisme dans une maison abandonnée, quand, l'alcool aidant, l'idée de faire pareil s'insinua dans mon cerveau imbibé. Bien loin de moi l'idée d'invoquer des esprits frappeurs et malfaisants, non, ce que je voulais c'était simplement entrer en contact avec mon père, histoire de soulager ma peine.

Lorsqu'on se retrouve avec une idée pareille en tête sous l'effet de l'alcool, elle disparaît généralement après une bonne douche froide et une grosse nuit de sommeil. Du moins si l'on est quelqu'un de raisonnable. Hélas la peine qui me rongeait avait eu raison de tout mes autres sens.

C'est ainsi que le lendemain matin, je me rendis d'un pas décidé à la bibliothèque municipale.


Bien qu'obstinée par l'idée de rentrer en contact avec l'esprit de mon défunt père, pas question de le faire n'importe comment et risquer ainsi de faire un tout autre genre de rencontre, beaucoup moins avenante.

C'est pourquoi un petit séjour entre les rayonnages de livres était une étape primordiale dans ma quête de médium en herbe. Par chance, la bibliothèque municipale comportait une petite section sur le paranormal et l'ésotérisme. Étant très friande d'horreur, que ce soit sur écran ou papier, c'est sans s'inquiéter le moins du monde que M. Forestier, le bibliothécaire, enregistra mes emprunts.

Je rentrais aussitôt chez moi et m'enfermai à double tour dans ma chambre, plusieurs heures de lecture se profilant à l'horizon.


C'est en début de soirée seulement que j'achevai ma lecture et que je déverrouillai la porte de mon antre pour descendre dans la cuisine, mon estomac criant famine. Je constatait que ma mère avait déjà mangé et qu'elle avait laissé à mon intention une assiette remplie de nourriture sur la table. La lumière du salon étant éteinte et le son de la télévision ne parvenant pas à mes oreilles, j'en déduisit qu'encore une fois elle avait avalé des somnifères et était allée se coucher, le décès de mon père l'ayant, tout comme moi, affectée. Tant mieux, je ne voulais pas avoir affaire à elle maintenant. J'aurais eu du mal à justifier ma journée quasi intégrale d'ermitage dans ma chambre alors que d'habitude, ces derniers temps, je réclamai beaucoup son attention. Comment lui expliquer mon changement soudain d'humeur? Je n'avais vraiment pas envie de faire chauffer mes neurones plus que de raison (ils avaient déjà beaucoup travaillé aujourd'hui) à inventer des mensonges, quant à dire la vérité: au mieux je me serait prise une bonne gifle, au pire, et c'était malheureusement le plus probable, un coup de fil à ma psy et bonjour cellule capitonnée. C'est sur ces pensées que j'engloutis mon repas avant d'aller me coucher.


Je dormis très peu cette nuit. Maintenant que j'étais suffisamment renseignée sur la démarche à suivre pour invoquer l'esprit de mon père, je passai la nuit à me remémorer le matériel nécessaire au rituel, où me le procurer, comment et à quel moment l'utiliser, quel lieu choisir, que faire si je me faisais attraper et maint autres détails. Drôles de préoccupations pour une adolescente,


Le lendemain matin, mon plan était au point. Après avoir petit déjeuné et m'être préparée, je sortis pour aller rendre mes emprunts à la bibliothèque. Ma deuxième étape était de me procurer le matériel dont j'avais besoin. Les livres indiquaient des objets spécifiques, mais n'ayant pas de boutique ésotérique à disposition, je décidai de me débrouiller avec ce que le supermarché du coin avait en stock pouvant s'en rapprocher le plus. Une fois équipée, j'appelai ma mère pour lui dire que je passai la nuit chez une amie: hors de question que je retourne chez moi avec mon sac rempli à craquer de bougies, de bâtonnets d'encens, d'une feuille papier imprimée d'une planche ouija (séjour à la bibliothèque, quel supermarché irait vendre ça?) et autres bizarreries. Maintenant il ne me restait plus qu'à tuer le temps jusqu'au moment fatidique. C'est ainsi que je passais mon après-midi à faire du lèche-vitrines. Le soir venu, je passai à l'action.


Je m'étais grandement interrogée sur le lieu à choisir. Il fallait qu'il soit non fréquenté, assez spacieux pour y placer tout le matériel et, point le plus important, que son aura soit adaptée à ce que je venais y faire. La solution était évidente: le cimetière. En plus de remplir les trois critères précédents, il s'agissait aussi désormais de la demeure de mon père en ce bas monde. Je m'y rendis la nuit tombée.

Une fois sur place, je me mis en quête de la tombe recherchée. Je la trouvai rapidement, allant régulièrement m'y recueillir. J'ouvrai alors mon sac et disposait les objets contenus dedans comme indiqué. Du moins, dans mon souvenir. Je passai ensuite à l'invocation proprement dite. Je psalmodiai mon charabia, encore une fois comme ma mémoire me le permettait. Quelle ne fut pas ma surprise et surtout mon désarroi lorsque je fus confrontée non pas à mon père mais à un esprit malsain. J'avais pourtant respecté les instructions à la lettre. Et si... Soudain je compris. Je n'avais rien respecté du tout. Premièrement, ce n'était pas une idée issue d'une longue réflexion mais d'une cuite, ensuite j'avais effectivement lu des livres sur le sujet, mais sous l'effet de la gueule de bois, sans prendre aucune note et aussitôt terminés, je les avais rendus. De plus, je ne m'étais pas fourni les objets exacts mais ce qui me semblait pouvoir faire l'affaire. Sans compter les innombrables erreurs commises lors de leur disposition où lors de la phase d'invocation, puisque évidemment, n'ayant pas de trace écrite, je m'étais fiée à ma mémoire probablement défaillante, vu l'état second dans lequel je me trouvais lors de ma lecture. Je voulais atténuer ma douleur, mais au final je l'avais considérablement amplifiée.


La voix que j'entendais me tourmenter à longueur de journée suite à cela s'est tue désormais. Mais au prix de grands sacrifices. Au départ, je faisais comme si de rien n'était, me comportant le plus normalement possible. Mais au fur et à mesure, j'ai sombré dans la folie. Ma psy, avec l'accord de ma mère, m'a fait enfermé dans un institut psychiatrique. J'y suis restée deux ans. Les médecins n'ont pas cru un mot de mon histoire et pensent que la perte de mon père et la consommation de certains produits ont été les déclencheurs de ma pathologie. Ils ont refusé de me communiquer leur diagnostic et m'assommaient de médicaments en tout genre. D'ailleurs c'est bien la seule chose qu'ils savaient faire. C'est une fois sortie de cet enfer que je me suis renseignée via les notices des cachets et internet que j'ai découvert ce dont je souffre depuis cette nuit là. Évidemment qu'ils n'ont rien voulu me dire. Car désormais je fais partie du cercle très select des fous à lier. Même si cela partait d'une bonne intention, à trop jouer avec le feu, je me suis brulée.

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