Agonie

desmotspourlavie

Je m’efforce de garder les yeux ouverts, d’entendre le moindre bruit, y compris le souffle de la ventilation de ma chambre d’hôpital. Toute preuve du fait que je sois encore vivante était bonne à prendre. Je me disais qu’un jour ma souffrance me quitterait comme un lointain souvenir, mais elle toujours présente, cruelle et sans pitié envers ma chair qu’elle détruit peu à peu. Mes brûlures me martyrisaient plus que tout. Je voulais appuyer sur le petit bouton pour faire venir une infirmière, mais la douleur était tellement forte qu’elle m’empêchait de faire quoi que ce soit, plus puissante que ma volonté d’agir. Depuis bientôt 3 jours, mon état s’est aggravé. Je suis sous morphine, mais elle n’a plus aucun effet sur mes infirmités.

Je commence à voir flou, et un élan venu de nulle part me pousse à résister à la mort. Je souffre tellement que je ne peux même plus hurler. Je suis à bout de force, mais ma tête continuait à se rebeller face au trépas. Elle avait encore beaucoup de choses à dire, ma tête. Surtout, elle avait encore beaucoup d’adieux à faire, mais mon corps le lui en empêchait.

Mon amour, tout arrive tellement vite et de façon si soudaine. Tu ne peux imaginer combien je t’aime. Mon cœur t’appartient pour l’éternité. Chaque seconde de ma profonde et lente agonie a été une fraction de pensée, un mot qui t’étais destiné. Le temps s’arrête lorsque je suis à tes côtés, comme suspendu au dessus de nos cœurs. Tant de choses sont futiles dans la vie, seules les personnes avec qui l’on vit méritent toute notre attention: elles sont comme des trésors, perles régulières ou pierres précieuses de notre existence.

Le peu de souffle qui me reste, je te le dédis, maman , toi qui as su me l’insuffler un beau dimanche du mois de mai, en me mettant au monde. Tu as rendu ma vie sur terre plus douce, tu as toujours été là pour moi. Alors je te dis adieu comme il se doit et te remercie du fond de mon âme.

Mon cher père que je n’ai jamais connu, je m’apprête à te rejoindre sur les nuages du paradis, havre de paix des corps meurtris. Je vais me laisser transporter par la lumière de ce refuge; tu me verras, surpris qu’à l’aube de mes 20 ans j’ai pu entreprendre un tel voyage, et tu me demanderas qui a osé arraché le cœur d’une fleur à peine éclose, ayant si peu profité des rayons du soleil.

Flamme, feu maudit mais indispensable à l’Homme, tu me rapproches de ton amie la mort, mais tu m’enlèves aux miens, ceux avec qui j’étais si bien. Nul doute que ce n’était qu’un accident, que tu m’as léché de ta langue si ardente et vive uniquement parce que je me suis sacrifiée pour sauver un enfant, qui par chance a pu s’en sortir.

Tu m’as fait payé la perte de cette jeune chair si appétissante en dégustant la mienne. Tu as fort heureusement fini par être maîtrisé par des gens plus habiles et plus braves que moi, mais j’ai tout de même du mérite. Écoute ce petit garçon échappé de tes bras rire aux éclats. Regarde-le grandir. Bien que je ne le connaisse pas, il est ma plus grande fierté, preuve indéniable que je t’ai dupé en le faisant sortir de l’immeuble que tu envahissais. Ses cris te suppliaient de le lâcher, mais tu ne faisais rien, alors je t’ai contraint à l’abandonner. Ta colère et ta hargne m’ont emportée au plus profond de tes entrailles, et finalement tu m’as vaincue.

Je sens mes yeux se fermer. Le bruit de la ventilation se transforme en bourdonnement sourd qui peu à peu devient inaudible. Je quitte mes anges terrestres pour rejoindre ceux qui apaiseront mes maux.

Qui que tu sois, être céleste ou puissance inconnue, finis-en avec ma souffrance, accueille moi avec autant de douceur et d’amour que ceux qui m’ont permis de vivre en toute quiétude sur Terre.

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