Ah ! L'hiver à la campagne !

Christine Bruyere

L'année dernière, je fus invitée, ainsi que deux de mes camarades d'atelier, Arrigo Cohic et Pedrino Borgnioli, à passer quelques jours dans une terre au fin fond de la Normandie. Le temps qui, à notre départ, promettait d'être superbe, s'avisa de changer tout à coup, et il tomba tant de pluie, que le chemin creux où nous marchions était comme le lit d'un torrent.

Qui a eu l'idée saugrenue de partir au mois de novembre à la campagne ? Arrigo – car je suis maintenant certaine que c'était son idée – aurait pu choisir un endroit au Sud de la Loire ; vous avez remarqué comme il fait toujours beau au sud de la Loire ! Mais non, il a choisi la Normandie, à équidistance de Bayeux et de Lisieux, dans une jolie maison normande isolée à trois km d'un village où il n'y avait même pas de bureau de tabac.

Certes, la maison était jolie : torchis, briquettes, pans de bois et tout ce qui caractérise une maison normande ; seulement, elle était humide, et quand le vent soufflait de Nord Est, la cheminée refluait, il fallait laisser la porte ou la fenêtre ouverte.

Nous étions censés travailler à notre scénario. Le premier jour, pour se mettre en situation, Pedrino avait suggéré une promenade dans les petits chemins autour de la maison. Le soleil qui rayonnait chichement nous invitait à partir à la conquête du territoire environnant. Nous partîmes d'un bon pas. En marchant, nous tentions de mettre sur pied notre scénario ; la dispute n'était pas loin, mais nous en avions l'habitude : nous n'en venions jamais aux mains.

Au bout d'une heure de marche, alors que nous décidions juste de rebrousser chemin, quelques gouttes firent leur apparition, suivies bientôt d'une avalanche ; le soleil s'était empressé de repartir et des nuages noirs se déchiraient pour déverser des trombes d'eau sur nos têtes nues.

Il nous fallut une heure et demie pour retrouver notre chaumière qui nous apparut plus accueillante que lorsque nous l'avions quittée. Je me précipitais pour me déshabiller et passer sous la douche, beaucoup moins généreuse que le ciel dans son débit, mais mieux que rien. J'enfilais des vêtements chauds, mis une bouilloire d'eau sur le feu pour nous faire un thé bien chaud et sortis la bouteille de rhum.

Bizarrement notre promenade avait dégelé l'atmosphère. Nous avons apporté des couvertures et, bien installés autour de la cheminée qui avait eu la généreuse idée de ne pas fumer, nous continuions à faire valser les idées.

Et si on racontait l'histoire d'un « se de fe »* qui part à la campagne dans une petite bicoque et qui ...

Non, ce serait l'historie d'une nana de trente ans qui ...

Ou alors, ce serait un couple âgé qui se souvient ...

Mais il fallut se rendre à l'évidence, nous tournions en rond. Les idées, pas de problèmes, mais est-ce que cela allait plaire à des téléspectateurs, car nous avions la redoutable ambition de soumettre notre scénario aux décideurs de la télévision – il fallait bien que notre atelier « scénario » serve à quelque chose ! Et la discussion reprenait de plus belle :

Mais si on cherche à plaire, c'est justement là qu'on ne plait pas !

On ne va tout de même pas perdre notre âme, justement pour faire plaisir à un téléspectateur hypothétique, tiens à la ménagère de moins de 50 ans ! L'essentiel est d'avoir une belle histoire et de bien la raconter.

De toutes façons, on ne pourra que faire mieux que les scenarii que l'on subit en ce moment.

Belles paroles, mais pas très constructif tout cela. Bientôt, je m'endormis, bercée par le ronronnement des voix de mes deux copains : Couico et Borgno, comme je les appelais souvent.

Une demi-heure plus tard, j'émergeais, la tête embroussaillée. Couico et Borgno se taisaient ; ils semblaient avoir vider leur cerveau de sa substantifique moelle. Et je commençais doucement :

 

« I had a dream ... »

Non ! On nous l'a déjà faite celle-là ! Grognèrent Couico et Borgno d'une seule voix.

Non, non, je vous assure, j'ai fait un rêve ! Attendez, je vais vous le raconter.

Toi et tes rêves ! Je ne comprends pas, moi, je ne rêve jamais.

Mais si, tout le monde rêve. Ton problème ...

Quoi, je n'ai pas de problème !

La dispute allais de nouveau refleurir. Je les arrêtais aussitôt :

Bon, les gars, vous m'écoutez, oui ou non ?

OK. Vas-y, ma grande. Nous sommes tout ouïe.

Voilà, il y avait une femme qui était sur le bord d'une route ...

Je déroulais mon histoire, un peu incohérente, comme tous les rêves, un peu surréaliste, comme bien des rêves, mais elle était tout de même ..... valable. Enfin ... peut-être.

Lorsque j'eus terminé, un grand silence régnait. On n'entendait que le crachotement du feu dans la cheminée.

Bon, allez, crachez-le : ce n'est pas terrible !

Si, Si, c'est pas mal, dit Couico.

Tu veux dire que c'est même très bien. J'achète !

Et pendant que la pluie crépitait au dehors, nous nous mîmes à travailler sérieusement. Nous tenions notre idée de base, nous n'avions plus qu'à la dérouler en laissant faire notre imagination fertile.

Dix jours plus tard, nous rentrions à Paris pour présenter le fruit de notre travail.

Accepté !

* SDF ou Sans Domicile Fixe

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