AH TU VERRAS, TU VERRAS

mylou32

Ce que je "vois" d'elles et d'eux ou comment essayer de se mettre à la place de l'autre cet(te) inconnu(e). D'autres suivront...

Je sens sur ma joue un léger souffle, une fois, deux fois, la troisième m'arrive sur le bout du nez. Je renifle cet air qui ne me donne aucune indication si ce n'est une haleine fraiche de dentifrice mentholé. Son parfum quand elle bouge est fleurie avec une note de vanille comme dans mon yaourt préféré; elle est maintenant au pied du lit, un léger frottement m'indique qu'elle a pris ma serviette de bain. Doucement, tout doucement elle découvre mes bras enfouis sous la couette. Ce geste me donne des frissons malgré la température chaude de la chambre. Son parfum continue à me chatouiller les narines, je le hume et tourne la tête pour essayer de capter où elle est maintenant et surtout combien de temps va s'écouler au moment où elle me prendra par la main pour me mettre assise sur le lit. A moi de la surprendre maintenant, je sais le faire toute seule et le lui montre: d'un bond je suis assise et éclate de rire; je pense qu'elle aussi car sa voix me parvient, très loin, étouffée, ouatée; je l'imagine la tête renversée en arrière pour rire à gorge déployée! seulement je la visualise que quand moi j'arrête mes bruits de gorge qui occupent tout mon esprit. Son rire à elle peut m'envahir, alors ma journée peut commencer, joyeuse, car je sais qu'elle me fera rire elle aussi! au début je me retiendrais, puis au fil des heures et de ses pitreries, je rirais j'en suis sûre, car des fois elle m'a à peine levée qu'elle se trompe de serviette,par exemple, après la douche. Cela me fait rire intérieurement car celle de ma voisine de chambre est plus douce sur ma peau. Pour ce qui est de la brosse à dent, si ce n'est pas la mienne, à l'odeur, je repousse de la main celle qu'elle me présente, au début elle croyait que j'avais mal aux dents! je refusais absolument d'ouvrir la bouche! Et puis à force de tâtonner autour du lavabo, je retrouvais la mienne(le poil était plus dur) et la brandissais triomphalement et puis par je ne sais quel miracle elle me comprenait. Le moindre de mes signes devaient être décortiqués certainement, je ne «voyais» pas comment sinon. D'une douceur agréable, j'étais lavée puis emmitouflée dans une grande serviette pour m'amener jusqu'à mon lit, je comptais les pas faisant pour y aller, il y en avait six. Personne ne m'avait appris à compter pourtant mais ma concentration, faisant , là aussi... Mes vêtements sont posés sur ma droite et un à un je les touche, les triture, je cherche le fil qui dépasse, la texture du tee-shirt, tout doux, celui qui me fera me glisser à l'intérieur avec délice, celui qui râpe aussi dans un tout petit endroit connu de moi seule. Et quand elle me le prend des mains, trop vite, je n'ai pas eu le temps de savoir si c'est mon préféré! ou celui dont l'étiquette à longueur de journée me râperait la nuque et m'agacerait prodigieusement! Mais elle est si douce que j'ai de la patience à son encontre. Elle commence juste l'habillage et moi d'un geste vainqueur le finis fièrement: «Je savais encore m'habiller!» elle interrompais juste quelques fois mes élucubrations tactiles qui prenaient un peu de temps à son goût, mais je savais que ma voisine de chambre en faisait moins que moi et j'aimais partager avec elle notre intervenante plus que gentille, mais là je m'égare... Ses mains continuaient à me frôler pour esquisser la suite de mon habillage et pour rire des fois me donnait le pull (c'est l'hiver) devant derrière et je le savais qu'elle faisait exprès, voir si j'étais vigilante à son travail! le mien était d'y veiller, car après qu'est ce que je pouvais être mal toute la journée, à tirer sur le col qui m'étouffait! comme la fois où une remplaçante étourdie avait rangé la veille mes chaussettes en boule dans mes chaussures! et une autre au réveil (avec la chance que j'ai eu!) le lendemain n'a pas vérifié et m'a carrément remis la chaussure! j'étais mal ! j'ai enlevé la chaussure et l'a jeté au loin! elle me l'a remis avec une fermeté que je ne connaissais pas! et dés les premiers pas j'ai su que j'allais leur en faire voir de toutes les couleurs! je tapais sur tout ce qui bougeait autour de moi! eh! tiens à commencer par l'infirmière et son odeur d'alcool! elle voulait venir à mon secours mais mes coups de pieds l'ont vite fait déguerpir! je frottais mes chaussures l'une contre l'autre dés que j'étais assise. Obligée d'aller à la salle à manger comme cela! non seulement j'avais mal mais en plus cela me mettait dans une rage folle que dans cette foutue baraque, personne ne comprenne que cela venait des chaussures, qu'une remplaçante pas très attentive devait ranger elle-même ses propres chaussettes(sales en plus!) au fond de ses godasses, pour les reprendre(sales peut-être!) le lendemain; en tous cas elle savait se les retirer avant d'y mettre les siens ! moi j'avais les orteils contractés, mâchés (pas marcher), rouges, bleus certainement! je ne les verrais pas heureusement! un effroi de moins! Je n'avais même plus faim rien que de penser au trajet de ma chambre à la salle à manger! cela va être un calvaire! heureusement aujourd'hui je n'ai pas le programme de parcours santé hebdomadaire! Mais c'est midi et je n'ai pas le choix, je n'ai pas la concentration habituelle pour sentir sous ma plante de pied(à travers la maudite chaussure) le gravier tout d'abord, puis le chemin tout tracé de deux rangées de larges pavés grumeleux qui mènent jusqu'aux cinq marches puis trois pas à plat et ensuite une autre volée de marches qui menait au perron et à la grande porte rugueuse et lisse à la fois (tout dépend où on y met les doigts), c'est un rez de chaussée, qui est un hall tout d'abord, on m'enlève le manteau avant de me mener par huit de mes pas à ma table, sur ma droite. Ma concentration n'y est toujours pas, toute à mes douleurs, j'essayais de marcher sur mes talons, mais l'autre remplaçante me tiraillait par le bras pour que j'avance. Je freinais, j'avais peur, elle était brusque elle, j'avais beau l'écouter je ne l'entendais pas sa petite musique gestuelle qui m'indiquait qu'elle ferait attention à moi. Je mettais mes mains en avant comme au premier jour, heureusement d'ailleurs, car au dernier moment j'ai ressenti la porte se refermer presque sur mon nez! Le repas passé, je retournais dans ma chambre , sans café, je recommençais à taper, un peu partout, sur tout ce que je trouvais sur mon passage,et l'on m'avait isolée, marre de cette histoire! je trouvais sur mon lit mon coussin préféré, en feutre, un peu usé, un peu passé mais avec cette odeur rassurante qui était la mienne. Je sentais aussi un souffle léger sur ma joue, je croyais rêver, mais non! un parfum bien connu, plus que connu me parvint et dans un grognement de satisfaction je la reconnaissais: la relève était faite! elle était là agenouillée, je mis ma main sur sa gorge et des vibrations de sa voix rassurante me remontaient tout le long du bras. Elle me toucha la gorge aussi et je grognais longuement, lui racontant dans un langage connu d'elle et moi que j'avais mal aux pieds, ma grande misère de la matinée! et je finissais mon monologue par le geste que j'avais eu toute la matinée: le frottement d'un pied sur l'autre jusqu'à envoyer paître les chaussures qui m'avaient tant chamboulé l'existence l'espace de quelques heures qui m'avaient paru une éternité. Pleine de compréhension, elle ne me les remit pas et les remplaçait par mes chaussons, ce qui m'arrachait un profond soupir de satisfaction Mais pour l'heure nos gestes de reconnaissance étaient là: je lui touchais le nez, elle me touchait le mien puis elle me faisait descendre les mains sur ses joues qu'elle gonflait et appuyant sur mes doigts les faisait se dégonfler dans un puissant souffle que je recevais sur le visage, me faisant éclater de rire cette fois; puis lentement c'était au tour des yeux que je faisais rouler dans leurs orbites, elle pareillement, puis la bouche et son large sourire, et la mienne qui grognait encore mais retenant à peine le même sourire. Et ses mains s'attardaient dans mes cheveux bouclés, moi je n'osais pas, là, je ne savais pourquoi, ou plutôt si! les miens étaient si sensibles! sentant ma réticence elle prenait alors mes deux mains et les mettait sur sa tête; me venait alors un plaisir indicible, c'était doux, il se dégageait de ses boucles à elle une odeur de vanille, parfois d'ylang-ylang ou de coco, de toutes manières d'odeurs incroyables me réjouissant indéniablement et me faisant voyager vers des contrées lointaines; elle était la seule avec ses senteurs uniques; des contrées où je n'irais certainement jamais mais qui dans cette rencontre me disaient qu'elle venait de là-bas; mais me disaient aussi combien nos boucles, nos yeux, nos joues, nos nez et nos bouches se ressemblaient et que nous étions les mêmes humains; moi certes sourde et aveugle, mais elle s'occupant de moi, constante et à l'écoute mais surtout en un mot bienveillante .

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