Ai desu

Hen'sen No Tenshi

Fiction relativement courte

Un jour, un magicien décida d'adopter. C'était du jamais-vu au sein de la profession, habituée aux apprentis et aux protégés, mais étrangers à la notion de descendance. "Le voilà devenu sénile" chuchotait-on à son propos. "Un magicien qui devient parent c'est comme un politique qui devient religieux, c'est louche !" lui dirent tantôt les boulangers, yeux chargés de suspicions.

Les plus mécontents allaient même jusqu'aux mises en garde "Un enfant de magicien ! Votre acte nous mènera tous à notre perte ! L'apocalypse à notre porte !" Mais le magicien, après avoir tenté d'expliquer son désir de transmission, abandonna l'idée de faire changer l'opinion. "Plus l'adversité est forte, plus je savourerai mon bonheur" se consolait-il, tout en rêvant de façonner à son idée, un petit être qui aurait besoin de lui.

Maintes fois il avait tenté d'aller contre son désir, ce qui le faisait devenir plus présent dans ses pensées, jusque dans ses rêves. Ses objectifs finirent par devenir un, et tout alors, tendit vers la réalisation de cette unique passion: transmettre dans un jeune corps, la sagesse et l'expérience d'un vieil esprit, soit l'éducation. Il se disait souvent que bon nombres de ses erreurs auraient pu être évitées si au lieu de s'élever seul, il avait pu compter sur d'autres pour lui expliquer, et même si il avait conscience de différer en tout point des autres magiciens, il estimait son expérience aussi solide que celle d'un autre, et pas moins bénéfique à entendre.

Lorsqu'à l'occasion du solstice d'hiver, jour de réjouissance annuel des magiciens, druides, mages et autres créatures humaines, mutantes ou monstrueuses bienveillantes, il confia ses idéaux à un ami sourcier, il fut surpris d'entendre "Quand je cherche une source, ce n'est pas elle qui a besoin de moi, c'est moi qui dépend d'elle, pourquoi la chercherais-je sinon ?" Le magicien ressentit de l'incompréhension face à cette remarque qu'il jugeait simpliste "On ne peut comparer la raison d'un ruisseau avec celle d'un enfant, tu ne ressens pas ce besoin chaud et impérieux de donner de l'amour, d'aider une âme à grandir le mieux possible ?

- M'est d'avis que c'est ton âme qui as besoin de cet enfant. Comme j'ai besoin du fleuve que je dévies, lui n'a que faire de mon influence, mais son eau est vitale pour moi."

Pendant quelques temps cette conversation tourna dans sa tête, et il se rendit compte qu'il avait besoin d'amour, et peur d'en manquer. Il alla interroger ses collègues magiciens, déjà considérablement refroidis par cette histoire d'adoption. "Besoin d'amour ?! Ne me fais pas rire, un magicien a soif de connaissances, pas de futilités ! Retourne donc étudier, je ne te pensais pas si puéril"

"D'abord tu veux un enfant et maintenant tu voudrais des parents ! Je ne sais rien de l'amour, c'est contraire à mon éthique professionnelle, va donc interroger quelqu'un d'autre"

"Aucun besoin de ce genre ne m'est connu, la négociation et la peur sont mes seuls leviers, mais peut-être l'amour est-il efficace, pour asservir par exemple, tu me diras si ce genre de pouvoir fonctionne, je penserai presque à m'en inspirer..."

C'était une catastrophe, le magicien ne comprenait pas pourquoi son point de vue divergeait de l'ensemble de ses connaissances. Il se perdit dans la lecture, à la recherche d'un indice qui permettrait de légitimer son obsession et finit par tomber sur quelques romans, des futilités par excellence, venus du monde humain lambda, où les principaux soucis sont de fuir ces mêmes soucis sans jamais les régler. "Une stratégie d'évitement en soi, le problème nous suit, on court, on se cache, le problème passe, on souffle, puis on le revoit poindre à l'horizon... Il nous a vus, et on court, on se cache... Sans autre fin que la fin." Et tout à coup il eut un déchirement au coeur à l'idée d'avoir associé un mot aussi beau et doux que l'amour, à la futilité des humains normaux. Le paradoxe étant que les humains modifiés n'en semblait pas ressentir.

Il resta des jours dans un état de profondes réflexions incompréhensibles, n'en sortant que pour assouvir ses besoins vitaux. Insidieusement, une vérité se faisait plus présente, plus pressante: il possédait une faiblesse dont ses égaux étaient dépourvus. Le magicien devenait paranoïaque, à force d'isolement. Il soupçonnait ses comparses de lui cacher leur propre besoin d'amour, ou de vouloir utiliser sa faiblesse pour lui nuire, en tout les cas, il ne voulait plus se fier à personne. Au bout d'un an d'isolement, il se résolut à adopter. Il se rendit dans un bureau, chez les humains lambda, hirsute, sale, les yeux vagues. "Au royaume des borgnes, les voyants sont rois" se disait-il, lui même ayant des talents de médiumnité. On le reçut aussi froidement, on le scruta aussi implacablement et on l'envoya paître aussi bien que chez les humains supérieurs.

Au fond du gouffre, le magicien retourna dans sa grotte, ergotant des "C'est un complot, les magiciens ont dû contacter tout les bureaux d'adoption !" à voix haute, les yeux fous. Dans sa tanière creusée au fond d'une montagne et isolée avec du bois et de la chaume, un individu avait profité de son absence pour s'installer. Lové sur son lit, un jeune loup dormait paisiblement, il leva la tête à son entrée et ses yeux semblèrent dire "Tu avais besoin d'amour, et moi, j'ai besoin de toi." Le magicien plein de tendresse, réchauffa le coeur du loup, personne ne sut si ce fut avec plaisir, mais nul doute, tout devient tendre avec un peu d'amour.

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