Aimez-vous les uns les autres - même au resto vietnamien

poulpita

Scène de vie...

Vendredi midi. La baie d'Halong. Intérieur calme. Elle, brune, soignée, sportive, nickel. Lui, pantalon à poches, polo décathlon, lunettes années 90.

- Arrête, arrête de dire des choses, lance-t-il par-dessus sa salade vietnamienne. Sa voix est profonde. Il y a de la haine. Puissante. Et du mépris. Arrête de répéter des choses que des connards qui ne comprennent rien te disent. Arrête, arrête, arrête. Je peux plus. La force de la tension qui l'anime est palpable. Et puis arrête aussi de …

Elle le regarde impassible. Baisse un instant le regard vers ses nems et le méli-mélo de salade verte et menthe fraîche. Pour reprendre souffle.

Il se tait. Pose sa main sur la nappe en papier alvéolé recyclé. Elle regarde ailleurs. Un silence s'installe.

Dehors un chien aboie. Une femme lui crie de se taire. Le roquet hoquette.

Même la chanson Poupée de cire, Poupée de son de France Gall, reprise en version vietnamienne, ne parvient à égayer l'atmosphère à leur table. Il se tient la tête. Elle garde la sienne droite, vissée sur un cou raide.

Le serveur arrive en sifflotant avec les plats.

En l'absence de mots, il faudra donc avaler ce poulet curry et ce bœuf saté en quelques minutes. Elle respire à peine entre deux bouchées. Il cesse de manger après deux bouchées. Le serveur passe encore.

- Yaura-t-ildesdessertsmonsieurdame? Glace-litchies-nougats ?

- Non, dit il. Il articule à peine.

- Un café, commande-t-elle. Un sourire crispé.

Il garde la tête basse. Elle fait mine de savourer ce café – réputé le plus mauvais de la côte, elle ne trompe personne. A peine la tasse reposée sur la sous-tasse qu'il se lève et va payer.

- La serviette chaude ? Ha oui, merci. Il y plonge une seconde les mains, s'en débarrasse et sort, sans l'attendre.

Ils me laissent seule, avec leur brouillard épais. Et je pense en boucle. Les amis, aimez-vous les uns les autres, même au restaurant vietnamien. Au moins, parlez-vous les uns les autres. Sinon, quittez-vous les uns les autres. Personne ne vous oblige à subir ça. Ce silence épais infranchissable, qu'aucun mot ne peut dénouer. Je savoure l'instant présent et la solitude apaisante qui m'entoure.

 

 

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