Akmal

Pascal Mess

Akmal, porteur de souffre, à force de trajets chargés de poids, a développé dans sa personnalité, une capacité bien particulière.


Akmal est assis en bas, sur un rocher, un peu de répit, les tongs au pieds. Plus loin, plus haut, au sommet, le volcan. Ses jambes à la peau fatiguée et aux cicatrices parsemées en disent long sur ce qu'il endure. Il se remet en route.

Monter et monter encore, charger le souffre, celui qui vous brûle la gorge, vous pique les yeux, vous enflamme les poumons et vous vieillit trop vite.

Descendre, descendre encore, les reins cassés, la douleur qu'il n'écoute plus, ou presque. Avancer, porter.

Il croise les autres porteurs, il connaît chaque visage, chaque silhouette, chaque démarche. Le poids de la charge, le poids de la vie.

Quelques rares touristes se hasardent en cet endroit, admirent la force et le courage de ces hommes, 60 à 100 kilos sur le dos, plaignent leurs vies, s'émerveillent du vert émeraude bouillonnant du volcan, s'étouffent par son souffre.

Un jour cependant, l'effort se fait moins fort, la douleur plus juste. Akmal ne comprend pas, apprécie seulement ce changement qui l'anime. Et ses yeux sourient. Ses jambes parfois vacillantes se font maintenant légères et plus sûres. L'arrivée n'est plus languie, c'est seulement une finalité qui se fera, quand elle se fera. Plus d' étouffement par le souffre.

A la descente, son dos ne crie plus, la charge se pose comme un coussin, sans morsures.

Le jour suivant, les os revigorés, la chair reposée, la pluie dehors, le soleil en lui. Les aliments habituels ont meilleur goût, pas de raclements dans la gorge. Il lui semble, par moments, se coller à la montée, puis à la descente, au poids, à ce qu'il est, au volcan, à son coeur, au cratère.

Quelques jours s'écoulent, et ce "corps à corps" s'améliore. A un moment, furtivement, il aperçoit son image dans le liquide acide. Il se dit qu'il a rêvé, que ce n'est pas vérité. Il secoue la tête, prend la barre à mine et frappe, frappe de nouveau jusqu'à que le bloc de souffre se morcelle, qu'une partie rentre dans son panier. Et d'autres encore.

Puis il reprend sa marche. Malgré le poids important qu'il porte, il se sent léger. Sensation agréable et inquiétante à la fois, qu'il ne rejette pas. D'habitude, il se limite à deux trajets mais aujourd'hui, il va en faire un de plus. Pas uniquement pour un gain supplémentaire, surtout pour profiter encore de ces nouvelles sensations.

Le soir, Akmal s'endort comme un bébé. Un rêve le tient une grande partie de la nuit: Son visage se dessine dans l'eau bouillonnante, s'efface, revient, repasse, s'échappe, se fond. Son corps respire, se colore de lave sèche, devient circulaire, épouse la forme du cratère, bat d'un coeur acide et émeraude.

Il se réveille, apeuré, se prendrait il pour un volcan, le fou! Et de nouveau il s'abandonne, l'esprit vagabond, le corps en vagues. Au réveil, l'incompréhension se mêle au sourire posé sur ses lèvres.

Il mange de très bon coeur et reprend sa route. Son coeur brille sous un soleil absent, et ses muscles se tendent. Ce sera une belle journée.

Arrivé devant le cratère, il croit voir une forme le représentant, comme une part de lui-même, et il s'approche tant et tant, qu'il glisse inexorablement vers le liquide acide. Il se rattrape de justesse à un morceau de souffre et il sauve sa vie. 

Il repense aux soirées à écouter le diseur d'histoires, à le laisser séduire son imaginaire.

Et voilà le résultat! Il se confond avec la matière et manque de se tuer! Akmal jure alors ses grands Dieux qu'il n'assistera plus jamais aux racontages loufoques du Conteur du village!

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