ALICE

mascaret

ALICE


Jamais tu n’aurais cru cela possible si les faits par eux-mêmes ne t’avaient obligé à admettre l’évidence. Tu l’as vu, entendu, observé, disséqué. Puis sans plus attendre tu l’as analysé, méthodiquement, consciencieusement, scrupuleusement. Enfin, à partir d’hypothèses, tu as élaboré une théorie globale et synthétique que tu ne prétends pas ériger en doctrine mais qui te semble plausible et assez originale pour être évoquée ici.
La perfection du raisonnement n’a rien à envier à nos meilleurs savants et scientifiques ; la clarté et la logique, alliées d’une argumentation irréfutable, confèrent à l’exposé un réel intérêt.

Alice apporta une corbeille de fruits ; après l’avoir déposée à terre, elle se dirigea vers la bibliothèque. Ses yeux s’attardèrent sur une reliure particulièrement usée. La tranche en était si élimée qu’elle ne parvint à déchiffrer ni le titre ni l’auteur.
D’un geste lent, elle s’empara du livre qu’elle feuilleta ; c’était une écriture manuscrite, disgracieuse, entrecoupée de symboles et de dessins étranges.
Elle essaya de lire quelques lignes mais le sens des mots, la tournure des phrases empêchaient toute compréhension du texte.
Sans plus s’attarder, elle remit l’ouvrage à sa place.
Elle s’apprêtait à quitter la pièce lorsque son attention fut attirée par un objet qu’elle n’avait jamais remarqué. C’était une sorte de boule en bois, posée là, sur le guéridon.
Une attraction irrésistible poussa son corps, sa main saisit l’objet. Il n’était pas lourd et le contact du bois sur la peau était très agréable, douce la sensation de rondeur parfaite.

Alice contemplait la boule qui au bout de quelques minutes se fendit pour enfin s’ouvrir, laissant apparaître les mêmes dessins et symboles que lui avait révélés le livre qu’elle venait de découvrir auparavant.
Elle sentit des picotements dans le creux de la main ; ce n’était pas vraiment désagréable, plutôt chatouillant même. Alice ne pouvait s’empêcher d’observer les deux parties de ce qui constituait tout à l’heure un ensemble soudé et indissociable.
De sa main libre elle voulut s’emparer d’un des morceaux ; celui-ci s’effrita entre ses doigts et retomba en poudre fine. L’autre fragment, toujours intact, commença cependant petit à petit à augmenter de volume, tout en conservant la forme d’une moitié de pomme.
Les signes qui y étaient gravés se dissocièrent nettement de la surface qui leur servait de support. Les dessins prenaient forme et volume tandis que les symboles s’exprimaient, arrogants et revendicatifs.
Un brouhaha cacophonique accompagna le capharnaüm envahissant.
Le jour ne parvenait plus à filtrer entre les formes géantes.
L’air se raréfia et l’oxygène manqua à Alice qui, écrasée sous le poids des volumes, gisait à terre, un filet de sang s’écoulant de chacune de ses oreilles.

« C’est fini, allons-y ! »
L’ordre fut immédiatement suivi de bruits de chaises, de réflexions chuchotées et de portes qui claquent.

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